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DEBAT. Fallait-il annuler l'édition 2020 du Ballon d'Or ?

Le Ballon d'Or ne sera pas décerné cette année, une première depuis la création de ce trophée honorifique par le magazine France Football, en 1956. L'organisateur de cette récompense explique son choix en mettant en avant la crise du Covid-19 et les conséquences de celle-ci, avec le report de l'Euro ou encore les suspensions provisoires ou non des différents championnats. Etait-ce un bon choix d'annuler cette 65e édition ? La rédaction de france tv sport s'interroge et vous propose ce débat. A vous de juger !
Article rédigé par franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
 

• Oui, il fallait annuler cette édition - Par Guillaume Poisson

Un peu de journalisme-fiction pour commencer. Nous sommes en décembre 2020. La cérémonie du Ballon d’Or a lieu. Un favori se détache : c’est Robert Lewandowski. Le Bayern a gagné la Ligue des Champions, c’est le meilleur buteur européen, et il fait partie des têtes de gondole d’un collectif consacré par tous comme le meilleur. Son mérite est indéniable. Et pourtant… il y a depuis quelques semaines une petite musique qui s’insinue parmi les commentateurs et les suiveurs. Et Kylian Mbappé dans tout ça ? Oui, parce que le Paris Saint-Germain est allé en finale de cette même Ligue des Champions, le Français y a inscrit le seul but de son équipe. Et si la Ligue 1 n’avait pas été annulée ? Qui dit que Mbappé n’aurait pas enfilé les buts et les exploits ? Certes, les matches face à Amiens ou à Dijon auraient eu, de toute façon, très peu de poids. Mais en termes de rythme, de préparation physique et surtout mentale, l'absence de championnat est lourd de conséquences. Paris serait peut-être arrivé dans une forme plus optimale face au Bayern, s’il n’avait pas eu deux mois entiers de compétition en moins par rapport aux autres clubs. Et les conditions d’entraînements ? Certes, tout le monde est d’accord pour dire que Lewandowski mérite de gagner. Mais beaucoup pensent que d’autres ne méritent pas de perdre, au vu des circonstances. 

  (SVEN HOPPE / DPA-POOL)

Retour au présent. Ce petit aparté fictionnel était tout sauf saugrenu. Car la question principale qui se pose derrière la tenue de cette récompense, est bien celle de l’équité sportive. Et du sens que l’on donne à la compétition à partir du moment où chaque concurrent n’est pas logé à la même enseigne. Fallait-il vraiment reprendre la Ligue des Champions, sachant que pendant que certains clubs jouent trois matches par semaine, d’autres reprennent doucement leur entraînement ? Le gagnant sera-t-il un vrai gagnant ? Ou ne se verra-t-il pas rétorquer, dans dix ans, "oui mais vous, vous avez gagné la Ligue des Champions Covid" ? On voit déjà fleurir ça et là des commentaires sur la possible finale "en carton" du PSG depuis le tirage au sort qui a placé, selon certains, le club français sur une autoroute jusqu’à la finale. En annulant son édition 2020, France Football a refusé par avance la dévaluation automatique de son champion. Le Ballon d’Or ne pouvait se permettre d’être, même une année, un Ballon d’Argent. 

Après tout, il n’y a qu’à voir à quoi ressemble le football depuis la reprise. Les stades vides où les seuls bruits que l’on entend après un but sont les jurons de l’entraîneur d’en face, les joueurs qui font mine de respecter les gestes barrières dans des parodies de célébration, des résultats tronqués par l’absence du fameux douzième homme qu’est le public… Certes, les championnats qui ont décidé de reprendre iront à leur terme, les chaînes télé ont pu satisfaire leurs téléspectateurs en manque de sport, les contrats de sponsoring ne sont pas tous tombés à l’eau. Le foot-business a pu limiter la casse. Mais le foot-passion, celui dont on se souviendra dans trente ans, le foot qui n’a pas besoin de poupées en carton ou d’ambiance enregistrée pour vous soulever les poils, est-il vraiment de retour ? Non. Et sincèrement, à quoi ressemblerait un Ballon d’Or élu dans un tel football aseptisé et bricolé de toutes pièces ? 

• Non, il fallait préserver cette édition - Par Loris Belin

France Football a raison, l'année 2020 restera quoiqu'il arrive "singulière", pour le sport comme pour la société toute entière. Il ne s'agit pas d'ignorer l'existence du Covid-19, ou encore moins d'en minimiser le poids. Cela signifie-t-il qu'il faille balayer d'un revers de la main son existence ? Il me semble bien trop tôt pour l'affirmer. Allez dire aux joueurs du Real Madrid ou du Bayern Munich que leur sprint effréné n'a pas de sens. Car le sacre national des Merengue, ou le doublé Bundesliga - Coupe des Bavarois est bien réel et aura un impact dans les carrières individuelles des uns et des autres. Et la Ligue des champions reste encore à disputer. L'occulter, c'est en éluder la valeur puisqu'elle ne sera pas le reflet des performances individuelles de ceux qui auront brillé.

Certains diront que la course était de toute façon faussée par l'absence d'égalité entre les championnats, qui est indéniable. Mais c'est aussi très hypocrite d'en faire l'argument pour ne pas décerner le Ballon d'Or, puisque c'est de toute façon déjà le cas, coronavirus ou non. Nombre de journées de championnat, installations en club ou en sélection, ou même climat qui peut dérégler la manière de jouer et le calendrier, etc… Il existe autant de dés pipés qu'il n'y a de raisons de se régaler d'exploits. Le Ballon d'Or, même s'il est hautement politique, a ça de bon qu'il met théoriquement tous les footballeurs sur une même ligne au départ. Peu importe ta nationalité, ton club, ton championnat, si tu es performant, tu peux le remporter, même si l'exercice de X n'a rien à voir avec celui de Y. 

  (DAMIEN MEYER / AFP)

Neymar ou Mbappé ont connu trois mois de coupure et pas Ronaldo ? Dans une saison normale, un joueur blessé au cours de la saison est tout aussi désavantagé, en dépit de la qualité de ses prestations. Même si un joueur du PSG a par exemple moins joué qu'un homologue de la Juventus, tous ont eu une chance d'aller au bout en C1, qui va être la valeur-étalon cette année en absence d'autre grande compétition internationale. Et que l'on ne me vienne surtout pas me faire croire que 11 journées d'une Ligue 1 au sort déjà plié allaient changer quoi que ce soit au Ballon d'Or, que des Strasbourg – Paris ou des PSG - Brest allaient faire pencher la balance in fine.

Si les Coupes d'Europe ne peuvent se disputer, mon regard sera forcément différent. Mais contrairement à ce que dit le communiqué de France Football, non, l'année 2020 n'est pas encore terminée et le football n'a pas existé que deux mois. Tant que le jeu continue, ce qui rend le football spécial aujourd'hui aurait aussi pu rendre spécial le Ballon d'Or cette saison. Et c'est dommage de le mettre à la poubelle avant d'avoir pu juger sur pièces.

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