Dans la lignée du mouvement Black Lives Matter, une prise de position rare des sportifs français
"J’ai mal à ma France". C’est par ces mots qu’Antoine Griezmann a pris la défense, sur Twitter, de Michel Zecler, un producteur de musique, noir, passé à tabac par plusieurs policiers dans la soirée du samedi 21 novembre. Depuis que les images de l’agression, captées par un système de videosurveillance, ont été révélées par Loopsider, les réactions de sportifs français affluent sur Twitter. Kylian Mbappé dénonce des "violences inadmissibles", Benjamin Mendy s’interroge sur ce qu’il se serait passé si la scène n’avait pas été filmée: "On aurait préféré croire la version des policiers sous serment ?" En plein débat sur la loi « sécurité globale », le basketteur Rudy Gobert appelle à continuer de filmer les forces de l’ordre: "Ceux qui font bien leur boulot auront une bonne image. Et les lâches et menteurs continueront d’être exposés".
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Ces prises de position sur des sujets politico-sociaux par des sportifs sont rares en France: "Il y a une tradition d’apolitisme dans le monde sportif", remarque Patrick Mignon, sociologue du sport. "Il y a tout de même eu des prises de parole par le passé, mais le plus souvent par des athlètes qui étaient à la retraite. Les sportifs en activité peuvent être sanctionnés par des fédérations, leurs clubs ou leurs sponsors quand ils expriment un message politique", explique Carole Gomez, chercheuse en géopolitique du sport à l’IRIS. Longtemps, et c’est encore parfois le cas aujourd’hui, les athlètes ont été renvoyés à leur métier, jugés illégitimes et incompétents pour donner leur point de vue sur les questions sociales et politiques, "et c’est encore pire pour les footballeurs, dont l’imaginaire collectif considère qu’ils n’ont pas grand chose dans la tête " note Patrick Mignon.
Mais le sociologue observe depuis quelques années une "rupture de la tour d’ivoire" dans laquelle s’enfermaient les sportifs: "On a fait jouer un rôle aux Bleus champions du monde, en leur faisant porter des messages d’unité de la nation. L’équipe de Didier Deschamps a dit qu’elle était consciente de son rôle citoyen, maintenant, elle le montre". Ces prises de position sont facilitées par les réseaux sociaux, nouveau terrain d’expression des sportifs en dehors des stades. Certains n’ont d’ailleurs pas hésité à interpeller directement sur Twitter le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à propos des bavures policières: "C’est un pas supplémentaire qui traduit une maturation d’une nouvelle génération de sportifs de haut niveau", explique Patrick Mignon.
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Dans la lignée du mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis, mais avec moins de résonance
En août, plusieurs équipes de NBA avaient boycotté les play-offs du championnat de basket américain pour protester contre les violences policières envers les Afro-Américains, notamment après le meurtre de George Floyd et l’agression de Jacob Blake. Cette prise de position serait-elle transposable en France ? Cela semble compliqué pour Carole Gomez: "Le sport a une place beaucoup plus importante dans la culture politique aux Etats-Unis qu’en France. On a toujours tendance à considérer que le sport, ce n’est que du sport, en dépit des études qui montrent qu’il a des impacts sur l’économie, dans la diplomatie etc.". Patrick Mignon note aussi un retard de notre pays dans la prise de conscience des problèmes de racisme : « Aux Etats-Unis, la question raciale est bien plus historique, avec la ségrégation, et bien plus présente qu’en France, où l’on semble seulement la découvrir avec l’émergence de violences raciales ces derniers temps ».
Autre obstacle à une mobilisation semblable à celle du mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis: la dispersion des sportifs français, et notamment des footballeurs les plus populaires, dans les championnats étrangers. "Les porte-paroles de ces messages contre le racisme ne jouent pas nécessairement dans le championnat de France, qui est aussi composé de beaucoup de joueurs étrangers qui ne prennent pas part au débat politico-social français", justifie Patrick Mignon. Si des actions collectives ne semblent donc pas prêtes d’aboutir à court terme, les prises de position des sportifs français pourraient se traduire par des initiatives individuelles et avoir un effet boule de neige, comme lorsque le footballeur américain Colin Kaepernick s’était agenouillé pendant l’hymne américain en 2016. Un geste qui s’est popularisé jusqu’à devenir un symbole de protestation contre les violences policières envers les minorités.
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