Wiggins et la révolution Sky
Les meilleurs partout
De la piste à la route, il n’y a qu’un boyau. Ce grand saut vers l’extérieur, David Brailsford l’a fait en 2009, au lendemain des JO de Pékin. Que faire de ce savoir-faire qui a permis à la piste britannique de conquérir sept médailles d’or sur 10 en Chine ? L’exporter mais pas plus loin que les côtes de Plymouth. Le projet sera « national » ou ne sera pas. Une sorte d’Euskaltel à la gelée même s’il n’est pas question de verser dans l’équipe 100 % britannique. Sous l’impulsion de la chaîne Sky, le projet est devenu concret avec des pistes bien précises. Il n’était pas question de monter une équipe à l’ancienne. « La base de notre philosophie, c’est l’entraînement. J’ai repris la même méthode qu’on avait établie pendant dix ans avec la piste dans notre programme olympique », explique David Brailsford le manager général de Sky. Plus rustique que d’autres sports, le cyclisme a mis du temps pour sortir de sa coquille, sauf peut-être pour le dopage, produits et contrôles compris. Le poids de la tradition ne doit pas y être étranger. « Tous les autres sports deviennent plus rigoureux, plus propres, plus dynamiques, plus sophistiqués, c’est normal que le vélo y arrive un jour, avance Stephen Roche, auteur du triplé Giro-Tour-Mondial en 1987. L’équipe Sky a mis en place une rigueur, un système hyper pro. Plus pro que pro. » Leur force vient d’une rigueur incroyable et d’une optimisation de tous les détails. « Je m’entoure des experts dans chaque domaine. Je suis un peu le chef d’orchestre. Je ne sais pas jouer de violon mais j’ai le meilleur violoniste dans mon équipe. J’essaye de faire jouer tout le monde ensemble avec les meilleures solutions dans chaque discipline. »
A la mode F1
Si on ne voit pas encore de motorhome sur les parkings des étapes, c’est surtout pour une question de place. Chez Sky, la Formule 1 est un modèle à suivre. L’équipe mise beaucoup dans la recherche de la perfection. « Notre force, c’est d’abord de bien analyser ce qu’on veut faire pour gagner le Tour, raconte Bailsford. Ensuite, on regarde où on est sur ce programme et comment on peut creuser l’écart. J’aime tout planifier. » Du bus au matelas des lits des hôtels, rien n’est laissé au hasard. Tous les jours, en course ou à domicile, les coureurs doivent dormir avec un sur-matelas. A l’hôtel, on refait le ménage avant l’arrivée des cyclistes et on annexe les cuisines. Un chef suit l’équipe et propose ses propres produits frais à table pour éviter toute contamination. Les vélos comme les méthodes d’entraînement sont eux à la pointe de la technologie. C’est une approche très scientifique du cyclisme qui commence à faire tâche dans le milieu. Les Australiens d’Orica-GreenHedge partagent ainsi de nombreuses valeurs avec les Sky nous confiait récemment le directeur sportif Lionel Marie. Ils aimeraient aussi partager leur budget estimé à vingt millions d’euros. En sport, c’est devenu le nerf de la guerre. L’argent permet, s’il est bien dépensé, d’ouvrir de nouveaux horizons et d’attirer les meilleurs coureurs. Là aussi Sky a mis le paquet.
Une équipe construite pour le Tour
Objectif ultime de l’année, le Tour de France demandait neuf guerriers capables de travailler les uns pour les autres et tous au service de Bradley Wiggins. Même Mark Cavendish, recruté à prix d’or après le retrait des HTC, a été sacrifié. Plus question de lui fournir un train pour les sprints. Le Cav s’est donc débrouillé seul récoltant trois chutes et trois victoires. Autour de Wiggo, Bailsford a préféré des cadres très forts en montagne et dans la plaine. « On a dessiné la meilleure équipe dans chaque étape », souligne Brailsford. Sont donc sortis du chapeau des leaders en soumission qui ont préféré jouer la carte Sky plutôt que la leur dans une autre équipe. Ces hommes clés sont Porte, Rogers et surtout Froome. Tout l’hiver, ils ont limé les pentes du côté de Ténérife avant de répéter leurs gammes dans le Dauphiné. Le succès de Wiggins dans toutes ses courses à étapes a conforté le staff de Sky dans ses choix. Ce Tour de France n’est que l’heureuse conclusion de cette gestion humaine parfaite.
Une tactique sans faille
Evans ? Assommé. Nibali ? Ecoeuré. Van den Broeck ? Résigné. Le Tour de France 2012 a vécu sur un faux-suspense pendant près deux semaines. Tout en maîtrise, les Sky ont malicieusement entretenu l’illusion d’un improbable retournement. En prenant le maillot jaune dès la Planche des Belles Filles, le colonel Wiggo avait passé la bague au doigt du Tour. Le reste n’était qu’une longue et lente procession jusqu’à la cérémonie nuptiale des Champs-Elysées. Entouré d’une garde rapprochée de coureurs qui seraient leaders dans de nombreuses équipes (Froome, Porte et Rogers), Bradley Wiggins n’a pas eu besoin de forcer son talent tant ses bons soldats ont épuisé les maigres attaquants de ce Tour. « Tout le monde l’attendait au départ mais personne n’a rien fait pour le déstabiliser, avance Didier Rous, l’un des directeurs sportifs de Cofidis. Sur n’importe quel autre tracé, Wiggins aurait gagné. On aurait pu arriver en haut du mont Ventoux ou ailleurs, il était plus fort que les autres. La preuve, Nibali a essayé et s’y est cassé les dents. Les seuls moments où il a pu créer la différence, c’était en descente… On peut gagner le Tour en descente …si le leader tombe. Il n’y avait pas de coureur qui avait la capacité physique pour déstabiliser Wiggins. » Trop fort cet ancien pistard reconverti à la route ? Les doutes existeront toujours dans le cyclisme. Le Britannique est formel : « Je ne me doperai jamais. »
Maillot noir mais pattes blanches
La UK Postal. La comparaison a fâché les Sky pendant quelques jours. A sa manière de contrôler la course et d’imposer un gros tempo en montagne, on a presque revu les images de l’US Postal de Lance Armstrong. Bien entendu, les Sky refusent cette analogie à cause du trouble qui entoure toujours les sept victoires du Texan dans le Tour de France. L’équipe britannique a même fait de la lutte contre le dopage son cheval de bataille. Aucun ancien dopé ne pourra porter le maillot noir à ligne bleue ni faire partie de son encadrement. L’Ecossai David Millar en a ainsi fait les frais malgré son statut de repenti en croisade. « Trop souvent quand une équipe marche, on a le doute, explique Stephen Roche. On se demande ce qu’il prend. On ne se demande jamais ce qu’ils font. J’espère ne pas être naïf mais je suis convaincu que c’est la victoire d’une organisation et pas d’un produit. Là, si les Sky dominent, c’est parce qu’ils ont un bon système physique plutôt que biologique. C’est très enrichissant pour tout le monde car les jeunes savent que la base c’est eux. » Lassé de la suspicion et des questions douteuses en conférence de presse, Bradley Wiggins y est allé de sa tribune dans le Guardian pour donner sa vérité sur le dopage. « Ces insinuations me mettent en colère parce que je pensais que les gens regarderaient mon histoire personnelle et les choses que j'ai pu dire, s’est lamenté le Londonien. Se doper n'en vaut pas la peine. Ce n'est que du sport. Le sport ne compte pas autant que le reste de ma vie. Ce que j'aime, c'est faire de mon mieux et travailler dur. Je préfère m'arrêter demain plutôt que de me doper, je préfère encore courir le dimanche et travailler chez Tesco. » Les propos sont aussi clairs que ses analyses. Aussi clairs que sa première victoire dans le Tour de France.
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