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Tour de France : Ineos, chronique d'une chute avortée

Depuis la fin de l'équipe Sky pour devenir Ineos en décembre dernier, tout semblait destiner la formation britannique à une fin de règne. Ce Tour 2019, marqué par l'avènement précoce d'Egan Bernal et un doublé au classement général est le parfait contre-pied à une destinée toute tracée vers le coup d'arrêt.
Article rédigé par Loris Belin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
 

12 décembre 2018. Cela aurait pu être le dernier jour du reste de la vie de la Sky. Le sponsor principal, devenu marque de fabrique des succès implacables sur les Tours des années 2010 annonçait son retrait des pelotons après dix saisons de domination sans véritable partage. Un rouleau compresseur aux méthodes contestées mais aux résultats infaillibles, en particulier sur le Tour de France. Que le vainqueur se nomme Bradley Wiggins, Chris Froome ou Geraint Thomas, le maillot jaune des Champs ne pouvait être qu'un homme à la tunique noire. Jusqu'à ce 12 décembre 2018.

Inconsciemment, la fin de l'aventure Sky a fait naître l'idée que cette équipe si sûre de sa force allait voir sa carapace se fendre. Pire, être dissoute si aucun partenaire ne pointait le bout de son nez. Sept mois plus tard, et malgré un acharnement d'aléas négatifs, celle qui est devenue Ineos est toujours confortablement sur le trône. En 2019, le vainqueur du Tour de France n'est pas britannique. Mais le Colombien Egan Bernal a renforcé le poids un peu plus lourd encore de son équipe sur la Grande Boucle. Il lui a peut-être même évité une sortie de route que tout semblait indiquer.

Des manifs écolos aux gros bobos

Depuis l'arrivée officielle d'Ineos comme nouvelle identité le 1er mai, rien n'est allé dans le sens de la formation de Dave Brailsford. Pour sa première sortie en rouge et noir sur le Tour du Yorkshire, elle a été reçue par des manifestants écologistes venus exprimer leur mécontentement de voir une des plus grandes entreprises chimiques du monde sur les liquettes d'hommes à bicyclette. Les cyclistes n'avaient probablement rien demandé, mais ils ont été reçus, pourtant sur leurs terres d'Albion et en dépit de la présence de Chris Froome, sous les quolibets et les pancartes de protestation. On a connu meilleur accueil pour une première. La suite sera bien moins anecdotique.

Quatre jours plus tard, lors d'un anodin samedi d'entrainement, Egan Bernal, la nouvelle grande étoile de la galaxie Ineos se fracture la clavicule gauche. Une semaine avant le Tour d'Italie, la formation perd son leader, celui qui devait se faire les dents sur les pentes italiennes avant à terme de devenir le patron à même d'être le prochain cador des routes hexagonales en juillet. Le plan si parfaitement orchestré tombait à l'eau avant même le premier Grand Tour de 2019. Non seulement le Giro allait se faire sans leader à même de jouer la victoire finale, mais les cartes étaient totalement rebattues pour le reste de la saison. Avec son grimpeur de 22 ans en sus de Christopher Froome et Geraint Thomas comme bottes en stock pour le Tour, abondance de biens allait presque finir par nuire.

Bien malgré lui, Froome s'est chargé d'alléger un peu les maux de tête de son directeur sportif. Une rafale et un mur heurté à pleine vitesse lors d'une reconnaissance du chrono du Dauphiné le 12 juin ont envoyé le triple vainqueur de la Grande Boucle vers une convalescence de longue durée. Le natif du Kenya devait être le principal soutien de Thomas dans la quête d'un doublé, et au pire servir de leader de substitution. Un rôle parfaitement à la mesure du talent d'Egan Bernal, de retour dans la composition pour le Tour.

"La stratégie a triomphé du chaos"

En un mois, tout était bouleversé avec des stars éclopées et des stratégies redessinées. Même le vainqueur du Tour 2018 a eu le droit à son lot d'ennuis avec des chutes sur le Tour du Pays Basque et plus inquiétant encore sur le Tour de Suisse juste avant le Tour de France, le contraignant à l'abandon. Rarement Sky/Ineos n'était arrivée en juillet avec si peu de certitudes quant à la réussite de son entreprise. Sans Froome, mais avec les inconnues des trois semaines pour Bernal et celle du physique pour Thomas, le décor était presque trop parfaitement installé pour un échec annoncé. Les excuses auraient même été toutes trouvées, surtout que la concurrence s'est montrée aussi dense que coriace lors de cette édition 2019.

Elle s'est finalement cassée les dents sur les mêmes obstacles qu'Ineos a dû surmonter les semaines précédentes. Le plus fort de leurs adversaires en montagne, Thibaut Pinot, a vu son organisme le trahir à l'avant-veille des Champs-Elysées suite à un coup du sort. Le plus remuant, Julian Alaphilippe s'est heurté aux manques de sa formation dans la gestion du maillot jaune, autant qu'à ses propres limites quand la route s'élève.

Alors quand le leader de la Groupama-FDJ et celui de la Deuceninck – Quick-Step ont laissé le champ libre, le duo Bernal – Thomas a senti l'odeur de la victoire comme un squale hume l'hémoglobine. Le naturel Ineos en somme. Le Colombien était sans aucun doute le meilleur sur les pentes lors de ce Tour, plus en tout cas que son coéquipier. Ce dernier a su capitaliser sur ses qualités de rouleur et une constance à ne jamais craquer, même sans briller. En 2019, c'était suffisant pour assurer un deuxième doublé depuis le Wiggins – Froome de l'édition 2012. Malgré toutes les péripéties et les contretemps. "Toutes les choses qui pouvaient mal se passer se sont mal passées, confirme Geraint Thomas. Même avant le Tour, cela a été compliqué, il y a eu des accrocs. J'ai dû rester positif, continuer à me battre. Le fait qu'Egan gagne rend les choses moins difficiles."

Il aura donc fallu à Ineos qu'une accélération de Bernal dans l'Iseran pour s'emparer de la tête du classement général. Les Kwiatkowski, Moscon et autres Poels n'ont pas eu besoin de jouer à la lessiveuse pour faire craquer le reste des cadors. On a même régulièrement plus vu de Jumbo-Visma dans le groupe des favoris, sans plus de résultat. A défaut d'être dominateur, Ineos s'est improvisée opportuniste. Cette adaptation pour rester au sommet a été la clé d'un nouveau succès, que le talent de son jeune protégé n'a fait que concrétiser. "A la fin, même si ce Tour 2019 était glorieux, la stratégie a triomphé du chaos et le travail d'équipe a primé sur les individualités" insiste Dave Brailsford. Difficile de lui donner tort, surtout après les derniers mois tumultueux de sa formation. Le château de cartes Ineos devait finir par s'effriter ? Ses fondations sortent de ce Tour avec plus de solidité encore.

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