Reportage Tour de France 2021 : un public au septième ciel dans les pentes lunaires du Mont Ventoux
Cinq ans après son dernier passage, le Tour de France a fait son retour sur le Mont Ventoux. Et plutôt deux fois qu’une.
Hors norme, le Mont Ventoux est un temple du cyclisme, un lieu de pèlerinage qui a fait la grandeur de la Petite Reine. Mais aussi un monument auquel le Tour n'avait plus rendu visite depuis 2016, et les mythiques images d'un Chris Froome à pied, maillot jaune sur le dos, son vélo cassé après une chute contre une moto prise au piège dans la foule.
Cinq ans plus tard, pour éviter de nouvelles scènes de chaos sur les pentes du Mont chauve, son accès était fermé aux véhicules depuis plusieurs jours. Ce qui n'a pas empêché des milliers de fidèles de venir y célébrer le Tour et ses héros ce mercredi 7 juillet.
Procession matinale sur les pentes du géant
Dès le début de journée, la vie s'est arrêtée dans la plaine, où tous les yeux étaient déjà rivés vers les cimes du Ventoux. Il règne un parfum de fête dans la commune de Bédoin, bientôt traversée par la Grande Boucle, et déjà prise d'assaut par des milliers de cyclistes amateurs décidés à dompter le géant avant de s'y positionner pour encourager les coureurs.
Tout au long des 20 kilomètres de montée, la procession forme un long cortège de cyclistes plus ou moins rapides, perchés sur leurs vélos plus ou moins adaptés, qui évitent les randonneurs mais aussi les voitures accréditées, autorisées à monter. Le tout prenant vite des airs de colonie de vacances sur cette route fermée, qui serpente la forêt.
Les routes fermées aux véhicules ?
— Adrien Hémard (@AdrienHemard) July 7, 2021
Aucun problème pour des milliers de spectateurs qui s'attaquent au Ventoux en vélo.
Le peloton est sans fin. #TDF2021 pic.twitter.com/hHTWjw1SZ0
Parmi ce flot ininterrompu, Daniel et ses amis américains et allemands, venus de Grasse. "On est partis lundi, c'est la 7e fois qu'on se retrouve ainsi sur une étape en faisant tout le trajet en vélo. J'étais surpris de voir autant de monde sur la route", avoue Daniel, qui a voyagé léger. "Toutes nos affaires et le ravitaillement tiennent dans une sacoche".
Un peu plus bas, d'autres l'ont joué encore plus dure : Romain, Philippe et Michaël ont escaladé le Ventoux en VTT électriques, par des sentiers oubliés. "C'est plus dur que par la route, mais on était libres, il n'y avait personne et on sera tranquilles au retour pendant que tout le monde s'entassera sur le bitume", explique Michaël en finissant son jambon-beurre.
En face de lui, c'est taboulé et salade de pâtes au menu pour les petits Timéo et Roméo. "Ça fait 20 ans qu'on fait le Ventoux à chaque fois, on voulait montrer aux petits l'ambiance que c'est", raconte Bruno, père de l'un, oncle de l'autre, qui regrette que le Géant de Provence ait été fermé aussi tôt aux véhicules du public. "On ne retrouve pas l'ambiance habituelle, survoltée, même si on comprend les raisons sécuritaires et sanitaires", assure le papa en gardant un œil sur son fiston, parti à la conquête de goodies. Il conclut : "Le Tour, ce n'est pas que le passage des coureurs, c'est aussi les heures et jours qui précèdent. Et là, c'est raté."
Une foule internationale
Certains ont toutefois eu le temps de profiter, puisqu'ils sont là depuis plus d'une semaine : les camping-caristes. Les deux seuls parkings dédiés affichent complets depuis samedi, témoigne Jean-Louis qui, après avoir vu le Tour sur le pas de sa porte à Lorient, a pris la route pour le Ventoux : "On est là depuis une semaine, mais quand on aime, on ne compte pas . C'est un bel endroit, bien ensoleillé, avec des voisins sympas : c'est passé vite". Pour ces mordus, les autorités avaient mis en place un camping temporaire, complet depuis cinq jours, avec cuves à vidanges et toilettes. Parmi les pensionnaires, Damian et ses cinq amis Slovènes.
"On est triste pour Roglic, mais on doit tout donner pour Pogacar maintenant. On n'est pas venu de Slovénie pour le voir perdre le jaune aujourd'hui."
Damian, Slovèneà franceinfo
Après avoir pris la pluie à Tignes, les six amis apprécient le soleil provençal, avant de rentrer voir la fin du Tour chez eux, près de la frontière italienne. "C'est notre 4e Tour, et on sait que Pogacar va gagner. On n'est pas étonnés, il était déjà monstrueux quand il était petit", raconte Damian. Avec leurs maillots de la Slovénie sur le dos, et leurs 7 drapeaux, les Slovènes marquent leur territoire comme le maillot jaune dans la montagne. Ils le font aussi vocalement, au passage de la caravane.
Les goodies pleuvent, et l'ambiance monte encore d'un cran. À l'ombre sous sa tonnelle bariolée de drapeaux allemands, Jan, 27 ans, assure l'animation avec ses amis : "Je viens de Fribourg, mais mes deux amis sont partis après l'étape de Tignes. J'ai rencontré d'autres Allemands au camping du Chalet Reynard mardi soir après avoir monté le Ventoux en vélo". À renfort de vieilles musiques électro allemandes un peu douteuses, Jan et ses amis improvisent une battle de danse contre des Belges tout aussi frais. Le moment est venu de prendre un peu de hauteur, direction le sommet du Mont Chauve.
Paysages lunaires, ambiance stratosphérique
L'ambiance y est plus calme. Et pour cause, à ce niveau, on ne croise que des cyclistes ou randonneurs courageux. Assis, ces autres forçats du Ventoux récupèrent. Le vent se lève, les cuissards de cyclistes deviennent insuffisant pour rester au chaud, alors on sautille sur place en attendant le peloton. D'un coup, l'atmopshère se réchauffe : les nuages se dégagent et un arc-en-ciel, tout sourire, apparaît. C'est Julian Alaphilippe. Membre de l'échappée, le champion du monde français boucle en tête le premier passage au sommet. La foule exulte.
Julian Alaphilippe tout sourire au moment de virer en tête au premier passage en haut du Ventoux. #TdF2021 pic.twitter.com/MrRTDoxd8l
— Adrien Hémard (@AdrienHemard) July 7, 2021
Les poursuivants défilent, et l'euphorie générale retombe : le second passage est prévu dans une heure. Le moment est venu pour certains d'aller chercher un autre angle de vue, en amont ou en aval. D'autres se précipitent vers l'écran géant : "On se chronomètre pour savoir quand repartir pour être dans les temps au second passage", lance Michel, malin. Le vent se lève de plus en plus sur les pentes lunaires du Ventoux, où le soleil joue à cache-cache avec les nuages.
Et puis la douche froide : rien à voir avec la météo, mais Radio Tour annonce qu'Alaphilippe est lâché alors que la plupart des portables sont à court de batterie. C'est Wout van Aert qui passe seul en tête. Ovationné, le champion de Belgique file vers une victoire d'anthologie au pied du géant. En chasse derrière Vingegaard, Pogacar reçoit l'accueil qu'on réserve au maillot jaune. Mais à l'applaudimètre, le vainqueur de l'étape, c'est bien Alaphilippe.
"Alaf" fait le show, dansant à moitié sur son vélo, tenant le guidon à une main dans les derniers hectomètres. De quoi récompenser un public survolté qui a confirmé que sur les paysages lunaires du Ventoux, côté ferveur, on est bien sur une autre planète. Mais la grande messe est terminée, et les fidèles reprennent leur procession. Vers le bas, cette fois.
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