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L'échappée impossible ?

Intenses pendant les dix derniers kilomètres menant au sprint massif, les étapes de plaines sont souvent les plus ennuyeuses du Tour de France. Rares sont les coups qui vont au bout lors de la première semaine. Un fait gravé dans le marbre ?
Article rédigé par Xavier Richard
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Julien Simon a fait partie des échappés de la première semaine du Tour

La fin du théorème de Chapatte

Le cyclisme, c’était mieux avant. Plus romantique sûrement. Plus propice aux grandes épopées assurément. La petite reine des Coppi, Bobet, Anquetil, Merckx, Hinault ou encore Fignon avait ce côté imprévisible. Les scénarii n’étaient pas connu à l’avance. Chacun avait sa chance en partant à l’aventure de bon matin. Surtout, ça roulait beaucoup moins vite dans le final des étapes. Cycliste reconverti journaliste, Robert Chapatte avait alors instauré une règle presque infaillible pour évaluer les chances d’une échappée. En concédant une minute par tranche de dix kilomètres, les hommes de tête avaient quasiment course gagnée. Il suffisait de prendre assez d’avance pour gérer ce capital en bon père de famille. Aujourd’hui, cette minute s’est allongée de plusieurs secondes. « Le Chapatte est encore un peu vrai mais ça roule beaucoup plus vite qu’avant, explique Vincent Lavenu, manager d’AG2R-La Mondiale. A la différence du cyclisme d’il y a vingt ou trente ans, tous les coureurs ont un bon niveau. Avant il y avait une grosse différence entre les champions et les « petits » coureurs. Aujourd’hui, tout le monde à la même base d’entraînement, la même diététique et du coup le niveau global du peloton est devenu très élevé. Dans le cyclisme moderne, les coureurs sont capables de rouler à 60 km/h pendant plusieurs kilomètres. » Le principal obstacle vient donc du « paquet », intraitable pendant la première semaine du Tour. Les équipes de sprinteur verrouillent toutes possibilités. Les trains ne passent pas tous les jours dans une grande boucle. « Le gros problème aujourd’hui est que le peloton ne se laisse plus faire, confirme Stéphane Heulot, patron sportif de Saur-Sojasun. Dès que l’écart dépasse les cinq minutes, du travail commence à être fait pour que l’écart ne grandisse pas plus que ça. » Marc Madiot est lui plus tranchant. Il se montre assez résigné alors que ses coureurs font régulièrement partie de ces forçats de la première semaine. « Il faut juste que le peloton roule moins vite que l’échappée. Après, il faut un concours de circonstances favorables mais le destin fait beaucoup… »

C’est mieux à plusieurs sous la douche

Pour provoquer la chance, il faudrait d’abord s’y mettre à plusieurs. Depuis une vingtaine d’années, combien de coureurs ont réussi à s’imposer en solitaire sur une étape de plaine ? Aucun. A partir de 5-6 hommes, les coups ont davantage de chances de réussir selon Stéphane Heulot. C’est mathématique. On se fatigue moins si on prend moins de relais et on s’entend mieux qu’à une dizaine. Pour Stéphane Augé (Cofidis) et Vincent Lavenu (AG2R-La Mondiale), l’union fait la force. A dix voire quinze, on pourrait tenir le peloton à distance jusqu’au bout. Si ce paramètre là dépend de la motivation des équipes et des bons de sortie du peloton, d’autres éléments comme la météo et les chutes sont susceptibles de favoriser une échappée. « Les facteurs extérieurs peuvent désorganiser un peloton, ajoute Heulot. Un changement de temps, un orage. C’est ce qui s’est produit l’an passé quand Thomas Voeckler prend le maillot jaune à St-Flour. Une méga-chute (Vinokourov avait lourdement chuté dans une descente et s’était broyé la hanche, ndlr) a complètement arrêté le peloton par solidarité. » En 2009, Thomas Voeckler, toujours lui, avait profité des bordures qui avaient morcelé le peloton pour s’imposer en solitaire à Perpignan. « C’était une étape toute plate, se souvient Heulot. Il avait fini avec le peloton juste derrière. Généralement ça arrive après plusieurs jours de course. Pas en première semaine (c’était la 5e étape, ndlr). Quand des équipes ont déjà gagné. Du coup, en tête du peloton, on ne sait pas trop qui doit rouler. »

La tactique du pêcheur à la ligne

Un dernier aspect entre en ligne de compte dans la réussite d’une poignée d’homme face à la meute des grands requins blancs. L’intelligence de course. Avant l’instauration des oreillettes, un peloton pouvait se dompter plus facilement. Désormais, les équipes ont des yeux et oreilles partout. Il faut ruser. « On doit essayer d’endormir le peloton, lui donner le sentiment que tout est possible à tout moment, nous apprend Heulot. C’est une gestion. Si ça s’énerve derrière il faut laisser un peu revenir. Si ça mord on ferre puis on relâche un petit peu et on essaye de l’épuiser. Quand on sait que le peloton est lancé et qu’il ne se relèvera pas, il faut avoir bien géré car commence un contre-la-montre par équipes sur 30-40 kilomètres. » Stéphane Augé demande à ses hommes de « prendre le maximum de temps quand le peloton ne roule pas. » Chacun prend des infos et un petit jeu du chat et de la souris s’installe « mais en général on ne gagne pas », peste-il. Reste alors une dernière carte, l’as des as, le super champion ! « Quand un peloton se déchaîne pour aller chercher des échappés, seul un super champion devant peut espérer aller au bout, estime Vincent Lavenu qui a compté dans ses rangs des finisseurs comme Vinokourov ou Dessel ». Ceci est dans un monde idéal car on sait très bien que si des gros rouleurs comme Grivko (Astana) s’échappent, le peloton va très vite réguler les écarts. Dans la plaine, les sprinteurs font leur loi. Il n’y a plus qu’à déposer les armes à l’entrée de la ville.

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