Giro : comme l'estime Arnaud Démare, les grimpeurs sont-ils toujours favorisés ?
"C’est toujours favorisé pour les grimpeurs." Au micro de L’Equipe, Arnaud Démare n’a pas caché sa déception et son désarroi face à la fronde d’une partie du peloton, refusant ce matin de prendre le départ de la 19e étape du Tour d’Italie. Alors que le sprinteur français se disait « prêt » à parcourir les 258 km initialement prévus entre Morbegno et Asti, de nombreux coureurs ont protesté afin de raccourcir ce qui devait être la plus longue étape de ce Giro. La majorité des équipes du peloton a demandé au CPA, le syndicat des coureurs, d’exiger le raccourcissement de l’étape à cause d’une troisième semaine gargantuesque. Cette 19e étape devait être la quatrième de suite de plus de 200 km alors que les trois dernières ont tiré sur les organismes avec plus de 4 500 m de dénivelé positif. La pluie au départ de Morbegno n’a rien arrangé et les coureurs sont remontés dans leurs bus respectifs après le départ fictif pour avancer de 140 km le départ réel.
"On n'a rien dit quand on avait le Stelvio à monter"
Une situation ubuesque donc, mais toutes les équipes ne semblaient pourtant pas favorables à raccourcir l’étape. C’est vraisemblablement le cas de Bora-Hansgrohe et d’Ineos-Grenadiers. Arnaud Démarre, déjà vainqueur de quatre étapes sur ce Giro 2020, ne goûtait pas non plus ce changement de parcours. "Certains gueulent un peu parce qu'il y a 260 kilomètres à se taper sous la pluie mais nous, on n'a rien dit quand on avait le Stelvio à monter, a par ailleurs contesté le Picard au micro de L’Equipe. Personnellement, j'étais préparé à cette longue étape." Dans ce "nous", Arnaud Démare englobe la caste des sprinteurs qu’il estime lésés. Mais dans les faits, les grimpeurs sont-ils toujours favorisés ?
Ce qui est certain, c’est que les profils taillés spécialement pour les sprinteurs se réduisent peu à peu comme peau de chagrin sur les grands tours. Les grimpeurs sont évidemment toujours à la fête et c’est plutôt logique puisque c’est dans les dénivelés positifs que se créent les écarts, mais les sprinteurs, eux, voient leurs occasions de briller s'amenuiser au fil des ans. Si l’on regarde de plus près le profil des étapes sur les grands tours, les tracés parfaitement plats sont de moins en moins nombreux, même si les sprinteurs profitent aussi désormais d'étapes plus accidentées mais nous y reviendrons.
Une seule étape plate au Tour de France en 2016 et 2019
Concernant les profils linéaires, les chiffres sont d’ailleurs assez éloquents et on observe une bascule flagrante après 2015. Prenons l’exemple du Tour de France. De 2011 à 2015, la Grande Boucle proposait en moyenne 6,4 étapes au profil parfaitement plat contre 5,2 étapes depuis 2016. La différence n’est certes pas énorme mais les éditions 2017 et 2018 relèvent particulièrement la moyenne avec respectivement 11 et 9 étapes plates. A l’inverse, une seule étape véritablement taillée pour les sprinteurs était proposée en 2016 et 2019.
Les écarts sont encore plus flagrants sur le Giro et la Vuelta. Pour le Tour d’Italie, les profils plats passent de 4,6 étapes en moyenne entre 2011 à 2015 à seulement 2,6 depuis 2016. Pour le Tour d’Espagne, réputé pour ses dénivelés vertigineux, on est passé de 4 étapes plates en moyenne de 2011 à 2015 à 1,8 seulement depuis 2016. Certes l’édition 2020 a été rabotée à dix-huit étapes au total pour alléger un calendrier déjà dantesque.
"Si on a un parcours prédisposé à un sprint, à 99 % on arrive au sprint. Il n’y a plus d’incertitude, se justifiait dans Le Monde Thierry Gouvenou, directeur technique du Tour de France en charge du parcours. Il n’y a même plus de tentatives, on ne voit plus d’attaques dans les cinquante derniers kilomètres."
Des sprinteurs qui doivent maintenant passer les bosses
Puisque les profils parfaitement plats sont réduits à la portion congrue, un nouveau type de parcours est à la mode : celui dit "accidenté". Entendez par-là un profil ni complètement montagneux ni complètement plat. Un des ces profils qui tiraillent les jambes et obligent les sprinteurs à passer les bosses pour tirer leur épingle du jeu. "Ce que je ressens, c’est que même quand ça arrive au sprint, il y a forcément une petite bosse dans le final pour les puncheurs", confirme Cyril Barthe, jeune sprinteur (24 ans) de l’équipe bretonne B&B Hotels Vital Concept. C’est la grande mode, ces petites côtes assez raides, peu éloignées de la ligne d’arrivée et le fait que le meilleur puncheur du monde, Julian Alaphilippe, soit Français n’est certainement pas étranger à certains choix de parcours lors de la Grande Boucle.
Les sprinteurs doivent donc absolument réussir à passer les bosses, ce qu’on appelle aussi la moyenne montagne pour ne pas seulement se contenter des profils parfaitement plats, autrement dit des miettes. Arnaud Démarre, tout comme Peter Sagan, se régalent d’ailleurs de ces profils accidentés dans lesquels ils peuvent lâcher des purs sprinteurs moins aptes à passer les bosses comme Fernando Gaviria ou Elia Viviani que l'on a vus à la peine durant ces trois semaines de Giro dès que la route s’élevait davantage.
Ce qui ne joue évidemment pas en la faveur des sprinteurs, c'est qu'ils ne se battront jamais pour le maillot jaune, rose ou rouge de leader d'un grand tour. Ce n'est d'ailleurs pas ce qu'on leur demande. Mais les grimpeurs, eux, luttent pour la victoire finale et restent ad vitam æternam dans les livres d'histoire. Les sprinteurs, on l'a compris, les jalouseraient presque. A juste titre puisque la caste des grosses cuisses pourrait, si l'on continue d'empiéter sur son terrain de chasse, devenir une espèce en voie d'extinction...
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