Arnaud Démare : Collectif rodé, spirale de confiance, calendrier calibré... les raisons de sa forme exceptionnelle
"Je me suis entraîné avec mon père, derrière le scooter, à faire le dernier coup de rein et là ça marche. J'ai la chance avec moi, c'est extraordinaire. Les jambes sont bonnes et c'est super !" On a pu deviner un large sourire derrière le masque d'Arnaud Démare en interview ce mardi dans les instants qui ont suivi sa victoire au sprint lors de la 3e étape du Giro 2020. Après avoir résisté au gros tempo imposé par les coéquipiers de Peter Sagan (Bora Hansgrohe) dans le Portella Mandrazzi (12.4 km à 5.2%), le Français s'est imposé à la photo-finish devant le Slovaque et Davide Ballerini (Deceuninck-Quick Step) à Villafranca Tirrena.
Ce succès, le 11e cette année, lui permet de consolider son avance en tête du classement des coureurs les plus victorieux en 2020, devant le vainqueur du Tour de France Tadej Pogacar et le prodige Remco Evenepoel (9). C'est peut-être moins qu'en 2014 (15 victoires) et il n'y a pas de monument à la clé, comme Milan-San Remo en 2016, mais Arnaud Démare n'a jamais paru aussi conquérant depuis le début de sa carrière. Après un début de saison sur l'UAE Tour, gâché par un confinement forcé, le coureur de 29 ans a su rebondir pour revendiquer le statut de meilleur sprinteur du moment.
• "La victoire appelle la victoire"
Sa réaction à la ligne d'arrivée et son air détendu, observable depuis maintenant plusieurs semaines, en disent long. "Cette année je repars de zéro psychologiquement", a rappelé Arnaud Démare après sa victoire sur la 3e étape du Giro ce mardi. L'année 2019 avait laissé des remords. Resté muet sur Paris-Nice, loin d'un top 10 sur les classiques flandriennes, battu par Pascal Ackermann (Bora-Hansgrohe) sur le Giro dans sa quête du maillot cyclamen, il avait ensuite appris sa non-sélection pour le Tour de France. Le bilan de sa saison avait été sauvé par sa victoire sur la 10e étape du Giro.
En s'imposant à Villafranca Tirrena, Démare n'était pas dans une quête de soulagement, comme cela a souvent été le cas pour lui ces dernières saisons, mais plutôt dans une suite logique. Car depuis le mois d'août, le Picard est irrésistible. C'est d'autant plus marquant qu'il avait mal commencé 2020, avec un confinement forcé à l'hôtel, après le l'UAE Tour (où il n'avait pas gagné). Rongeant son frein pendant un autre confinement, en France, le sprinteur de la Groupama-FDJ s'était ensuite fracturé le scaphoïde, ce qui lui avait valu une opération le 26 mai dernier.
C'est après une remise en route sur le Tour de Burgos (deux 2e places), que le Français a trouvé le déclic, sur Milan-Turin. Au terme d'un sprint conquérant, il avait battu d'un vélo le gratin du sprint mondial, dont Peter Sagan (Bora-Hansgrohe), Caleb Ewan (Lotto Soudal) et Wout van Aert (Jumbo-Visma). Démare a ensuite montré un beau visage sur Milan-San Remo, puis écrasé le Tour de Wallonie avec le gain du classement général et de deux étapes, dont la dernière face à des Greg van Avermaet (CCC) et Philippe Gilbert (Lotto Soudal), pourtant sur leur terrain.
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Champion de France en patron, il a convaincu Thomas Voeckler de revoir sa liste pour les championnats d'Europe, qu'il a terminés en deuxième position. Il s'est ensuite promené sur le Tour de Poitou Charentes (4 victoires) et glané un autre succès sur le Tour du Luxembourg. Le tout en moins de deux mois. "La victoire appelle la victoire et il est parti pour faire un gros score, s'est félicité sur la chaîne L'Equipe son manager Marc Madiot ce mardi. L'idée c'était de chercher au moins une victoire d'étape, et on l'a fait dès le premier sprint. J'ai envie de dire mission accomplie. Quand on court relâché et décontracté, c'est plus facile pour aller en chercher d'autres".
• L'impact d'une équipe rodée et dédiée à 100%
"En début d’année, Arnaud a dit qu’il voulait gagner n’importe quand, et n’importe où, mais qu’il voulait gagner. Cette mentalité, ce n’était pas que la sienne, c’était celle de tout le groupe". Fidèle poisson-pilote d'Arnaud Démare depuis 2017, Jacopo Guarnieri connaît son leader sur le bout des doigts, au même titre qu'Ignatias Konovalovas (depuis 2016) et Ramon Sinkeldam (depuis 2018). Ensemble, les trois hommes suivent le Français sur quasiment toutes les courses, ce qui leur a permis de travailler les automatismes au maximum.
Sur le Giro 2020, trois autres coureurs sont au service du Picard : Benjamin Thomas, Miles Scotson et Simon Guglielmi. D'après Guarnieri, le train de la Groupama-FDJ est "le mieux équipé" parmi toutes les équipes en lice sur le Tour d'Italie. "On l'a vu sur les dernières courses. Certains avaient beau avoir un ou deux coureurs pour les emmener, ils préféraient rester derrière nous", racontait l'Italien avant le départ de la course. Ce mardi, Démare a encore été emmené dans un fauteuil par un train qui a su se faire respecter au sein du peloton au fil des années.
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• Un programme calibré pour gagner sur le Giro
Ne pas courir plusieurs lièvres à la fois, tel a été le choix (judicieux) de la Groupama-FDJ. En 2020, le bouleversement des calendriers a rebattu toutes les cartes et Arnaud Démare a dû choisir entre le Giro et les classiques flandriennes, celles-là mêmes qui ont pris la fâcheuse habitude de lui saper le moral. "Tout a été axé sur le sprint", a confirmé Guarnieri sur le site de son équipe. Mobilisant des qualités différentes, le cumul des deux objectifs avait tendance à inhiber le plein potentiel du coureur.
Se focalisant à fond sur le sprint, Arnaud Démare n'en a pas oublié de garder de la fraîcheur, quitte à faire des sacrifices. "Après San Remo, notre objectif était d’arriver au Tour d’Italie dans les meilleures conditions possibles. C’est notamment pour ça qu’on n’a pas disputé Tirreno, qui arrivait trop tôt, mais le Tour de Luxembourg. On s’est privés de belles courses, de belles opportunités, mais on a tout mis en place pour être à 100% au Giro", explique Guarnieri.
Les résultats sont déjà là, dès le premier sprint massif. "Par le passé il avait beaucoup de difficultés à s'imposer dès les premiers sprints. Ce n'était pas dans ses habitudes. Il lui fallait souvent 2 ou 3 sprints pour se régler et se mettre dans le rythme. Dans les grands tours, souvent il attendait la 10, 12 ou 15e étape pour en décrocher une après beaucoup de douleurs et de souffrances", a fait remarquer Marc Madiot sur le plateau de L'Equipe. Mission accomplie, mais surtout cap franchi en 2020 pour le Picard.
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