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Cyclisme sur piste : les pistards, ces fauchés du sport

La France brille dans cette discipline aux Jeux olympiques. Mais ses champions ne voient guère la couleur de l'or. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Les pistards français à l'entraînement sur le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines (Yvelines), le 17 février 2015.  (LOIC VENANCE / AFP)

Les médailles d'or ne rapportent pas d'argent, ou presque. C'est le paradoxe du cyclisme sur piste, dont les championnats du monde se déroulent du 18 au 22 février, à Saint-Quentin-en-Yvelines (Yvelines). Bienvenue dans un monde où un triple champion du monde gagne moins qu'un footballeur de National. Ou presque. 

Le vice-champion olympique habite chez ses parents

"Je suis au smic au quotidien, je ne fais pas d'excès." Confession du pistard français Michaël D'Almeida, dans Le Parisien, qui est revenu chez ses parents, avec femme et enfants. Vice-champion olympique de poursuite, il peine à joindre les deux bouts. Les plus grosses stars tricolores de la discipline ne roulent pas sur l'or. Beaucoup ont recours à des partenariats, notamment avec l'armée de Terre.

Interrogé dans le JDD après ses deux breloques argentées aux JO de Londres, Grégory Baugé la jouait bon père de famille : "Je ne suis pas du genre à flamber. C’est seulement la deuxième fois que je vais toucher une si grosse somme [40 000 euros de prime de l'Etat]. Après Pékin, j’avais consacré cet argent à payer en partie ma maison. Là aussi, ce sera une dépense plus sérieuse que futile." Accumuler des médailles ne paie pas : la prime pour le bronze aux Mondiaux de Copenhague, en 2010, dépassait à peine les 800 euros. 

Auteur d'un triplé inédit aux championnats du monde de Cali (Colombie) en 2014, François Pervis ne s'est pas offert un jet privé. De son propre aveu, son niveau de vie s'est amélioré, mais son salaire n'en a pas doublé pour autant. Les sponsors ne se bousculent pas. "Le cyclisme sur piste a une image un peu vieillotte sur le marché français", regrette Cyrille Jacobsen, directeur marketing de l'Union cycliste internationale sur BFM Business.

Un record du monde qui coûte 200 euros

Sur sa page Facebook, on voit François Pervis emballer son vélo lui-même dans un carton, pour l'expédier en Colombie, théâtre des derniers championnats du monde. Dans une interview au site Matos vélo, il confie une anecdote qui en dit long sur le dénuement de ces sportifs de haut niveau. "Un exemple tout bête : c'est la fédération anglaise qui paie le forfait téléphonique de ses athlètes. Moi, après mes records au Mexique, il a bien fallu que je réponde aux sollicitations des médias restés en France, et j'en ai eu pour plus de 200 euros hors forfait. Un Anglais n'a pas à se soucier de ça."

Les Anglais. La référence du cyclisme sur piste. Ils ont tout : l'argent (six fois plus que la Fédération française), les vélodromes, sept mécaniciens quand l'équipe de France n'en compte qu'un, des diététiciens, et une équipe qui leur assure un soutien financier, la toute-puissante team Sky (qui est aussi présente sur route avec Christopher Froome, vainqueur du Tour 2013). Quand il faut se préparer aux Jeux de Pékin et à l'atmosphère humide de la capitale chinoise, ils ont les moyens de reproduire parfaitement les conditions climatiques dans le vélodrome de Newport.

Peter Keen, l'inventeur du système de financement du sport d'élite britannique grâce à la loterie nationale (une fraction des sommes misées est reversée au mouvement sportif), a fait cette confidence indécente à la BBC, en 2008 : "Un des pires problèmes a été d'apprendre à gérer tout cet argent !" Chaque pistard britannique susceptible de briller aux Jeux touche environ 60 000 euros par an. De quoi s'ôter les soucis matériels de la tête quand les sprinters français doivent démarcher les sponsors de leur côté.

"Je suis champion du monde, mais je n'ai pas d'argent"

L'eldorado du pistard fauché a un nom : le keirin. Il s'agit d'une épreuve de piste spécifiquement japonaise, pour laquelle les gens sont autorisés à parier sur les coureurs, qui portent des combinaisons de couleurs criardes pour mieux être suivis par les parieurs. Ne se lance pas en keirin qui veut. La Fédération japonaise trie sur le volet les impétrants. Pour participer aux compétitions sur place, il faut passer un diplôme, avec de la théorie, sur les bancs d'une salle de classe, et des entraînements à la japonaise - la quantité plutôt que la qualité. Frédéric Magné, le pionnier des cyclistes français à avoir tenté l'aventure, ironise, dans L'Humanité, en 1995 : "Les fusiliers marins, c'est de la rigolade à côté du régime que les jeunes sprinters suivent là-bas".

Les coureurs sont payés en fonction de leurs résultats sur chaque course. Mais la vie dans l'un des pays les plus chers du monde rogne méchamment le bénéfice, même en se confinant dans un studio de 20 m², qui fait aussi office de garage à vélo. "Mes frais d'hébergement, d'interprétariat, de matériel et de transport s'élèvaient à 20 000 euros. Mes gains se sont montés à 30 000", expliquait au Monde, en 2011, François Pervis, qui a tenté l'expérience pendant cinq mois au Japon. Là-bas, les étrangers sont considérés comme des vaches à lait. Avant chaque course, les vélos des concurrents sont contrôlés par les commissaires. Devant les caméras de Canal +, François Pervis se voit contraint de changer ses pneus, à peine usés. Il se tourne vers un de ses rivaux japonais : "Je suis champion du monde, mais je n'ai pas d'argent. Toi, tu es champion de keirin, tu es plein aux as. Donne-moi un pneu !" Lassé de parlementer, il finit par en racheter, pour 100 euros. 

François Pervis fête son titre de champion du monde du sprint, lors des Mondiaux de Cali (Colombie), le 2 mars 2014.  (BRYN LENNON / GETTY IMAGES)

Le public comme planche de salut

Le salut viendra-t-il du nouveau vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines ? L'essor de la piste britannique remonte bien à l'enceinte de Manchester, en 1995. Les pistards français veulent y croire, eux à qui on promet un vélodrome en région parisienne depuis Pompidou. La piste des Yvelines offre déjà un complément salarial aux champions grâce une idée originale. N'importe quel badaud se rendant au vélodrome peut demander son baptême de la piste en compagnie d'un coureur de l'équipe de France (18 euros de l'heure). "C'est une bouffée d'oxygène pour eux, confie à L'Equipe Magazine Arnaud Zumaglia, le directeur d'exploitation du site. Cela leur rapporte entre 5 000 et 10 000 euros supplémentaires par an." D'autres financent une partie de leur budget sur des sites de crowdfunding.

Les pistards ne sont pas seuls dans cette situation. Le secrétaire d'Etat aux Sports, Thierry Braillard, réfléchit à créer un statut qui permettrait aux sportifs de haut niveau de bénéficier de meilleurs financements et d'une couverture sociale. Un rapport qui lui a été rendu, mercredi 18 février, souligne le fait que 40% des sportifs français touchent moins de 500 euros par mois de leur activité sportive.

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