Cyclisme : Les arrivées au sprint sont-elles suffisamment sécurisées ?
Ce mercredi, après la grave chute de Fabio Jakobsen sur la 1re étape du Tour de Pologne, les réactions de choc et d'inquiétude ont été majoritaires. Mais rapidement, l’horreur a fait place aux premières saillies d’indignation. Comment cela a-t-il pu arriver ? Première réaction évidente : revoir les images et remarquer l'indéniable mouvement de Dylan Groenewegen pour empêcher Jakobsen de le dépasser et, ainsi, le pousser vers la barrière. La pluie de tweets demandant son éviction ou sa suspension n'ont pas tardé, et la décision des commissaires de la course non plus : Groenewegen a effectué un geste dangereux, il est disqualifié de l'épreuve.
Parallèlement cependant, certains n'ont pas manqué de soulever des problèmes dans la manière dont organisateurs et institutions (UCI en tête) entendent protéger les coureurs de tels accidents.
Le Tour de Pologne, course dangereuse ?
D’abord, le Tour de Pologne n’en est pas à son premier accident majeur. Il y a un an, la course était endeuillée par la mort de Bjorg Lambrecht. Le coureur belge, déstabilisé par un réflecteur routier, avait heurté une structure en béton sur le bas-côté de la route avant d’être projeté. La sécurité de la course avait alors déjà été pointée du doigt.
Mais les éléments soulevés ne s'arrêtent pas là. D’après certains coureurs, le peloton aborde chaque année la course avec une certaine appréhension. Simon Geschke (CCC) s’est ainsi indigné après la chute de Jakobsen : "Chaque année, le même stupide sprint en descente sur le Tour de Pologne. Chaque année, je me demande pourquoi l’organisation pense que c’est une bonne idée. Les sprints sont déjà suffisamment dangereux, pas besoin d’une arrivée en descente à 80 km/h". Sean Kelly, ancien coureur professionnel, évoque lui "une arrivée en descente complètement folle".
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D’après le profil de l’étape mis en ligne par le site officiel du Tour de Pologne, le dernier kilomètre présente en effet un dénivelé de 20 mètres.
Depuis 2014, le Tour de Pologne a systématiquement prévu une arrivée en sprint à Katowice, la ville où a eu lieu le sprint de ce mercredi. Dans cinq cas sur six, le profil de l’étape montre une même arrivée en descente, après une étape favorable aux sprints massifs.
En plus de l’arrivée en descente, la solidité des barrières mises en place le long de l’arrivée pose question. Elles n’ont pas du tout résisté au choc avec Fabio Jakobsen. Elles ont volé en éclats et se sont étalées sur la chaussée, causant d’autres chutes parmi le peloton. Une comparaison peut être faite avec une arrivée du Tour de France 2017, où Mark Cavendish heurte des barrières à pleine vitesse après un accrochage avec Peter Sagan. Le coureur britannique s’effondre, mais les barrières ne cèdent pas.
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L’arrivée se situait qui plus est en parallèle d’une voie ferrée. La feuille de route indique ainsi que la ligne d’arrivée se trouvait au croisement des avenues Korfantego et Rozdzienskigo, au pied d’un stade. Soit pile à la jonction de la voie de tram et de la route.
Sur cette vidéo, postée par un spectateur, où l’on aperçoit le stade en arrière-plan, on voit clairement Fabio Jakobsen tomber sur les rails après être passé par-dessus la barrière.
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Johan Bruyneel, l’ancien directeur sportif de la controversée US Postal, estime que l’UCI devrait travailler sur les itinéraires de course en amont : "La première chose que l’UCI doit faire est d’investir dans l’inspection et la validation des courses. De nombreuses situations dangereuses pourraient être avortées".
Prévenir les gestes dangereux ?
Le problème de la sécurité des arrivées en sprint n’est en effet pas l’apanage du Tour de Pologne, loin de là. Ces dernières années, des chutes similaires sont survenues. Hormis le problème de l’itinéraire, il y a, à maintes reprises, le scénario du sprinteur qui ferme la voie à un concurrent sur le point de le dépasser. C’est le cas entre Daryl Impey et Theo Bos sur le Tour de Turquie, c’est le cas également pour Nacer Bouhanni sur le GP de Fourmies en 2019 même s’il finit par se faire tomber lui-même, et ce fut aussi longtemps le cas pour le célèbre sprinteur Djamolidine Abdoujaparov.
Surnommé "l’Express de Tachkent" en raison de sa vitesse, mais aussi de sa propension à sprinter tête baissée sans faire attention à ne pas empiéter sur les trajectoires de ses adversaires. Sur le Tour de France 1991, il joue des coudes pour empêcher Johan Museeuw de le dépasser. Celui-ci manque de tomber mais finit par se rattraper de justesse, avant de lever les bras de fureur. "C’est toujours la même chose avec lui, fulmine-t-il après la course. Quelque chose doit être fait pour stopper ça, sinon quelque chose de grave pourrait arriver".
29 ans plus tard, les réactions au geste de Dylan Groenewegen résonnent comme un écho à cette période. "Groenewegen devrait être suspendu à vie pour ce qu’il a fait" a ainsi lancé Remco Evenepoel, coéquipier de Fabio Jakobsen. "C’est un acte criminel" a lancé Patrick Lefèvère, directeur de la Deceuninck Quick - Step, l'équipe du sprinteur gravement blessé. Comment prévenir ces gestes ? L’UCI spécifie bien dans son règlement qu’il est "strictement" interdit pour un sprinteur de "dévier de sa trajectoire" et ainsi de "mettre ses concurrents en danger".
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La sévérité des sanctions, elle, varie. A Sam Bennett, qui avait mis des coups d’épaule à Nairo Quintana et Rudy Barbier dans le final de la 3e étape de Paris-Nice, l’UCI avait infligé une amende et 40 points de pénalité. Pour Peter Sagan, la commission du Tour avait décidé une expulsion du Tour de France après une bousculade avec Mark Cavendish. L'UCI avait jugé quelques semaines après que cette exclusion "était une erreur". Dans son communiqué publié quelques heures après l'accident de Fabio Jakobsen, l'instance indique avoir ouvert une enquête contre Dylan Groenewegen. La Commission disciplinaire rendra sa décision dans les prochains jours.
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