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Cyclisme : Le départ à l'étranger, un pari gagnant pour les Français ?

Romain Bardet dans une équipe étrangère, c’est une hypothèse désormais plausible. En se questionnant publiquement sur la suite à donner à sa carrière, le coureur français a suggéré un possible départ vers une formation étrangère, un cas rare aujourd’hui pour les Tricolores. Derrière l’exemple de réussite de Julian Alaphilippe, ils n’affluent pas pour tenter l’aventure loin de la France.
Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
  (MARCO BERTORELLO / AFP)

Faut-il partir pour réussir ? C’est la question sous-jacente - et volontairement provocatrice - qui s’invite après les déclarations de Romain Bardet mardi, au quotidien La Montagne. "J’arrive à un point clé de ma carrière où j’ai acquis pas mal d’expérience. Mais il me reste aussi quelques belles années où je peux tirer le meilleur de mes capacités. On réfléchit activement à trouver la meilleure façon chez AG2R ou dans une autre équipe pour y parvenir.", se projette le grimpeur d’AG2R La Mondiale. Ouvrir publiquement la porte à un départ à la fin de la saison marque-t-elle un aveu d’échec pour Bardet ? Non, bien sûr. Dans l'équipe de Vincent Lavenu, le grimpeur s’est forgé un des palmarès les plus réguliers et étoffés des années 2010. Mais elle pose un constat : à bientôt 30 ans, une aventure à l’étranger pourrait lui offrir un second souffle, lui qui a semblé en manquer l’année passée. 

S’il se décidait à franchir le Rubicon, Bardet détonnerait dans le paysage du cyclisme français : il serait un des rares Tricolores à tenter l’aventure étrangère. Julian Alaphilippe, Florian Sénéchal, Rémi Cavagna (Deceuninck-Quick Step), Alexis Renard, Rudy Barbier, Hugo Hofstetter (Israel-Start Up Nation), Kenny Elissonde et Julien Bernard (Trek) : ils ne sont que huit à évoluer dans une équipe World Tour étrangère en 2020. Un nombre famélique qui confirme une tendance : les Français sont craintifs à l’exode. 

L’ovni Quick Step

Pourtant, l’aventure a souvent du bon. Tony Gallopin, rapidement parti chez Radioshack en 2012 (puis Lotto-Belisol en 2014) après avoir débuté chez Auber-93 en 2008, a connu ses plus grandes heures loin des équipes françaises. Avant lui, Laurent Jalabert avait raflé ses plus beaux bouquets chez la formation espagnole ONCE. Sylvain Chavanel n’a jamais été aussi proche de gagner le Tour des Flandres qu'en 2011, alors chez Quick Step. La formation de Patrick Lefevere, polyglotte par excellence (14 nationalités différentes sur les 28 coureurs actuels) s’est d’ailleurs fait une spécialité de sublimer les coureurs étrangers. Ce n’est pas un hasard si le n°2 mondial Julian Alaphilippe y rayonne, que Florian Sénéchal y fait son trou et que Rémi Cavagna prouve que le manager belge a eu raison de le former.

La formation, justement. Sur les huit coureurs actuellement à l’étranger, cinq sont encore dans l’équipe qui les a couvé. Seuls Rudy Barbier, Hugo Hofstetter et Kenny Elissonde ont baroudé avant d’y atterrir. L’éclosion de Warren Barguil du moule Argos-Shimano, devenu Sunweb, est un autre exemple de formation réussie. Plus que partir, faut-il être formé à l’étranger pour y réussir ? "C’est dur pour un Français en cours de carrière de s’adapter à une équipe étrangère, analyse notre journaliste spécialiste, Alexandre Pasteur. D’ailleurs, des Français à l’export il n’y en a pas beaucoup. Quand on voit Alaphilippe, Cavagna, Sénéchal.. Même Gallopin, arrivé très tôt chez Radioshack, depuis qu’il est revenu en France, il est rentré dans le rang." La récente expérience mitigée de Pierre Rolland chez EF entre 2016 et 2019 (avec tout de même une victoire sur le Giro 2017) renforce ce sentiment : une fois leur carrière lancée, il est difficile pour les Français de s’adapter à un environnement parfois diamétralement opposé au moule tricolore. 

Immobilisme et adaptation

Le confort d'une équipe française a-t-il fait prévaloir l’immobilisme, au point de faire renoncer certains à s'exiler ? "On a une conception du vélo en France où on manque peut-être d’audace, notamment dans les programmations de course. On a moins cette culture de la gagne que dans d’autres équipes. Il y a plein de courses que les Français n’ont plus gagné depuis longtemps. Pour l’instant, c’est le modèle anglo-saxon qui domine et qui impose sa loi : Evans, Wiggins, Froome, Thomas… C’est dur de s’adapter à ce modèle quand on est Français. Au bout d’un moment on s’installe dans un confort , on ronronne.", observe Alexandre Pasteur.

Laurent Jalabert, obligé de rebondir après l'arrêt de sa première équipe Toshiba (anciennement La Vie Claire) en 1991, avait posé ses valises chez ONCE, pour en faire les (très) beaux jours pendant huit ans. Un changement forcé mais salvateur. "Tu te rends compte que le vélo est pratiqué ailleurs qu’en France, et que les gens savent aussi être très bons, voire même meilleurs dans des équipes étrangères. Lorsqu’on reste en France, on n'en a pas tout le temps conscience, on pense qu’on connaît ce qui se fait de mieux", explique le vainqueur de la Vuelta 1995.

La France attire aussi

L’exotisme a visiblement du bon, mais le niveau des formations françaises n’a plus grand chose à envier aux meilleurs formations mondiales. Les effectifs se garnissent de coureurs étrangers de renom (Stefan Küng et Sébastien Reichenbach chez Groupama-FDJ, Oliver Naesen chez AG2R La Mondiale, Elia Viviani chez Cofidis, Nairo Quintana chez Arkéa-Samsic), ce qui tend à une homogénéisation entre les conditions de vie des équipes. De quoi freiner les ardeurs françaises à s'expatrier en cours de carrière. "Aujourd’hui, toutes les équipes sont très pointues avec des entraîneurs, des diététiciens. Je ne dirai jamais qu’une équipe française est moins compétente qu’une étrangère", affirme Laurent Jalabert.

De ce point de vue, Romain Bardet prendrait un risque conséquent en quittant les Ciel et Terre, qui lui offrent un confort de course inégalable. Mais cela suffira-t-il à le retenir face aux sirènes d'un nouveau défi à l'étranger ? "J’aimerais bien retrouver le Bardet des premières années, qui partait de loin, qui courrait plus à l’instinct. Il a peut être un peu perdu ça chez AG2R. Thibaut Pinot a prolongé chez FDJ, Bardet aura-t-il l’audace de partir, d’aller voir une autre manière de courir, de penser la compétition ? S’il veut étoffer le palmarès, ça peut être le moment de tenter autre chose", conclut Alexandre Pasteur.

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