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Coronavirus : "Il faudrait arrêter de tester les sportifs pour revenir aux bases de la médecine", affirme le professeur Jean-François Toussaint

Dans une tribune au Parisien, 35 médecins ont critiqué la communication du gouvernement autour du Covid-19, jugée trop anxiogène. L'un d'eux, Jean-François Toussaint, professeur de physiologie et directeur de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes), explique à France tv sport en quoi cette conception du gouvernement a eu un effet sur le monde du sport.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
 

Vous estimez dans une tribune que la communication du gouvernement autour de "la deuxième vague" est trop anxiogène par rapport à la réalité sanitaire. Les sportifs de haut niveau sont soumis à un protocole strict, quitte à mettre en suspens leur participation-même à ces évènements. Sommes-nous en train de paralyser le monde du sport pour rien ?
Jean-François Toussaint :
 "Il n’y a aucune deuxième vague en Europe. L'augmentation du nombre de cas positifs observée chaque jour, inclut un grand nombre de faux positifs et de personnes non contagieuses, qui présentent des fragments de virus. Chez les athlètes, le constat est le même : les cas positifs ont la même probabilité d'être des faux positifs (plus de 80 footballeurs américains ont été réintégrés dans leur équipe après vérification). Les tests utilisés montrent aussi que l’organisme a reconnu le virus, qu'il s'est défendu et qu'il possède les défenses nécessaires pour lutter contre le virus. Mais ces tests ne montrent pas les charges virales élevées, pour les personnes à surveiller en priorité. Kylian Mbappé et Benoit Paire ne sont pas des tueurs potentiels, comme on veut le faire croire. ​​​​​​

L'application des protocoles est la déclinaison des règles sanitaires édictées par les gouvernements. Il ne faut pas en rendre responsables les acteurs du sport, mais ils peuvent les remettre en question s'ils les jugent inappropriées."

Quelle est la probabilité qu'un sportif dit "positif" soit un faux positif ?
JFT :
"Il y a énormément de cas et d'études, chez les sportifs comme au sein de la population générale, qui montrent que ces tests sont trop puissants. Ils décèlent des fragments de virus, des restes, et ne font pas la différence entre un positif à charge virale faible, et un autre à charge virale élevée. On se retrouve ainsi avec des gens qui sont complètement sains, mais se voient imposer des changement drastiques dans leur vie quotidienne alors qu’ils ne  sont pas atteints ni même transmetteurs dans la plupart des cas." 

Comment expliquez-vous alors que des épidémiologistes comme Catherine Hill préconisent, à l'inverse, des huis clos systématiques et une politique de tests généralisés ? 
JFT :
"Le Conseil scientifique lui-même a montré que cette stratégie était un échec. Nous avons discuté avec Madame Hill dans un entretien croisé (à La Voix du Nord, ndlr) et elle est d'accord : il faut comprendre pourquoi la létalité de ce virus a diminué de 99 %, par rapport à la période de mars ou d'avril. Pourquoi les cas positifs sont-ils aujourd'hui quasi systématiquement soit des asymptomatiques, soit des cas peu graves." 

Voulez-vous dire que les tests ne sont pas fiables ? 
JFT :
"Le résultat des tests n'est pas faux : c'est sur l'interprétation que l'on se trompe. Qu'un Mbappé soit positif, par exemple, montre surtout à quel point l'environnement est viral et bactérien.

C'est la charge virale qui est le facteur-clé, c'est-à-dire la quantité de virus que vous pouvez transmettre lorsque vous éternuez ou toussez. Elle est bien plus faible lorsque vous êtes asymptomatique. Quand, au printemps dernier, on confinait tout le monde, c'était avec une population "naïve", c'est-à-dire une population qui n'a pas encore rencontré le virus, avec plein de super-transmetteurs capables de contaminer les gens les moins armés pour se défendre. Ce n'est plus le cas, on peut le voir : les cas positifs ont augmenté dans toutes les tranches d'âge, les jeunes comme les moins jeunes, et dans le même temps, il n'y a pas d'augmentation des décès." 

"Il n'est pas logique qu'on soumette les sportifs à des protocoles aussi stricts"

Faut-il donc arrêter de tester les sportifs, puisqu'ils ne sont pas dans la population fragile et a priori symptomatique ?
JFT :
 "Oui, il faut arrêter tous les tests pour les sportifs. Il faut revenir à la base de la médecine. Qui se plaint ? De quoi se plaint-il ? Est-ce bien les symptômes ? Pour l'instant, dans le monde du sport, ceux qui se plaignent sont seulement ceux qui ne peuvent pas exercer. Il n'est pas logique que l'on soumette les sportifs à des protocoles aussi stricts alors qu'ils sont la population la moins à risque. Depuis mars, toutes les fédérations, tous les "Pôle France", ont multiplié les tests. Aucun sportif n'a de symptôme grave, la plupart sont asymptomatiques."

Les sportifs ne sont peut-être pas en danger, mais ne risquent-ils pas de mettre leurs proches fragiles en danger, s'ils voyagent, côtoient en permanence d'autres sportifs, sans se faire tester, ou confiner si besoin ? 
JFT : "Il faut revenir à la définition du risque. Si un individu a une charge virale infinitésimale, est-ce qu’il est à risque pour ses grands-parents ? Non. Est-ce qu'il peut être testé positif ? Oui, avec les tests utilisés partout dans le monde aujourd'hui. Il n'y a quasiment pas de risque pour vos proches si vous êtes déclaré positif, avec une charge virale faible. Or, il a été démontré que les populations jeunes sont majoritairement asymptomatiques, et que les asymptomatiques ont généralement une charge virale très faible. Les sportifs sont jeunes, en bonne condition physique, donc très probablement à charge virale faible." 

En mai, certains médecins et cardiologues du sport étaient sur leurs gardes pour les sportifs de haut niveau, craignant des traces laissées par le virus sur les poumons, et d'éventuelles complications cardiaques lors des efforts intensifs. Les sportifs sont-ils vraiment une population moins à risque ?
JFT :
 "C'est vrai, nous avons été très prudents au début, justement car nous ne savions pas grand chose de ce virus. A l'Insep par exemple, tous les sportifs ont fait une batterie de tests et un suivi systématique en cas de test positif. Depuis, nous avons fait le bilan : il n’y a pas eu le moindre impact myocardique. On avait imaginé le contraire, par précaution, mais la réalité a prouvé que les sportifs n'étaient pas plus à surveiller que les autres, au contraire. Oui, il y a beaucoup de cas positifs  depuis la reprise, on en entend presque tous les jours, mais c’est parce qu’on teste énormément les sportifs.

Aujourd'hui, on pourrait même dire que le sport, l’activité physique, est la seule thérapeutique efficace contre le coronavirus.  Car c'est la seule qui dépende de nous : il suffit de courir le matin cinq minutes, d'avoir une activité physique régulière, et cela renforce nos capacités musculaires, mais aussi immunitaires. Le sport a des effets démontrés sur le diabète, les maladies cardiovasculaires etc. Une bonne condition physique rend un individu moins exposé aux formes graves de la maladie."

Vous le disiez vous-même : les acteurs du sport ne font que suivre les recommandations nationales quand ils organisent et mettent en place des protocoles sanitaire stricts. Que peuvent-ils faire de plus, ou de moins ?
JFT :
 "Le monde du sport doit prendre conscience qu’il faut remettre en question certaines recommandations. En ce moment, il y a des petits clubs de rugby,  des petits clubs d’aviron qui sont en train de mourir. Ce sont autant de portes qui se ferment pour ceux qui voulaient découvrir la joie d'un sport ou pour s'entretenir. Tout ça est en perdition, et les choix du conseil scientifique et du gouvernement pourraient s'avérer redoutables sur la santé des générations futures. C'est une faute professionnelle de leur part. A cause de ces règles, les acteurs du sport, comme ceux de tous les pans de l'économie nationale, se mettent en danger le plus souvent pour rien." 

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