Confinée en pleine campagne dans le Gers, Lise Arricastre joint l'utile à l'agréable
Comment se passe votre confinement et comment allez-vous ?
Lise Arricastre : "J’ai vraiment pas de quoi me plaindre ! Ça fait longtemps que je n’avais pas vécu un Tournoi des Six Nations avec autant de pépins physiques, plein de bobos. Je ne sais pas si c’est à cause de l’âge (rires, Lise a 28 ans, Ndlr) mais en tout cas, ce confinement a permis à mon corps de se reposer et ce n’est pas négligeable. Après avoir passé 15 jours chez moi, à Pau, dans mon appartement avec mon chat (ce n’est pas une présence insignifiante) je suis rentrée chez mes parents. Mon père est agriculteur, alors nous habitons à la campagne dans le Gers. Nous avons une grande exploitation où j’ai de l’espace. Je ne suis plus seule désormais, je n’ai pas le droit de me plaindre. A part ces trois derniers jours pluvieux, c’est top ici ! Je ne m’ennuie pas, j’essaye de trouver des occupations, ni virtuelles ou ni informatiques parce que je n’ai pas le temps. Je suis bien dehors et ici j’ai toujours quelque chose à faire."
C’était naturel pour vous de revenir chez vos parents durant cette période de confinement ?
LA : "Ah oui ! Je n’ai pas l’habitude d’être avec eux très longtemps. Ici on rigole tout le temps, c‘est comme ça chez nous, on rigole beaucoup. Rien que ça c’est un plaisir monstrueux : être ensemble. Je savoure chaque moment. Nous vivons dans un monde où on ne sait pas de quoi demain sera fait, alors profitons. (…) Ici, ce n’est peut-être pas bien ce que je vais dire, mais pour moi ce sont des vacances : pas de boulot, pas de rugby. Financièrement cela va peut-être être compliqué au bout d’un moment, mais là je me sens bien dans mon corps et dans ma tête. Pouvoir retourner aux bases, aller couper du bois, m’occuper de la maison, vivre une vie simple, ça me fait du bien !"
"Une relation très fusionnelle avec mes parents"
Comment se passe cette nouvelle cohabitation avec vos parents ? Vous vous occupez en famille ?
LA : "Nous avons une relation très fusionnelle avec ma famille. On s’entend excessivement bien ! Actuellement mes parents travaillent. Ma mère est secrétaire médicale, donc dans l’obligation de travailler et mon père est agriculteur. Quand ils rentrent à la maison le midi, le repas est près. Etant chez eux, je peux les aider sur ça et sur pleins d’autres tâches. Niveau cohabitation c’est parfait ! Côté occupation, certains adorent poser leurs fesses sur le canapé et regarder Netflix toute la journée. Moi franchement j’aime bien, mais un peu. Il y a des journées où je ne fais rien et c’est bien de savoir le faire aussi. Mais bon, j’ai besoin d’être active malgré tout. A Pau, je retapais mon appartement, je n’arrêtais pas de bricoler. J’ai fait tout ce que je pouvais faire avec le matériel que j’avais, ensuite j’ai trié toutes mes 'fringues' du XV de France pour les faire gagner sur mes réseaux sociaux. Ici, à la campagne, il y a toujours quelque chose à faire, on ne peut pas s’ennuyer. Mon père avait besoin de faire des travaux sur l’exploitation, mais il n’en avait pas forcément le temps, alors c’est moi qui fais. Je peux peindre le hangar, peindre les portails, nettoyer et rafraîchir les alentours avec le rotofil ou la tondeuse. C’est bête, mais du coup ça m’occupe et quelque part, avec toutes ces activités, je fais du sport. (Rires) Je suis plutôt une fille d’extérieur, je ne m’embête pas et je suis bien dehors."
On peut dire que vous êtes devenue un soutien pour vos parents, qui continuent de travailler malgré le confinement ?
LA : "Complètement ! Moi ce que je veux en étant là, c’est pouvoir les alléger. On compte tous les uns sur les autres. Et même si, en rigolant, je dis qu’on m’exploite, je fais tout ça avec plaisir ! Par exemple, j’ai bougé des tonnes de sojas pour mon père, à la pelle. Oui, c’est chiant. Mais il n’a pas eu à le faire et moi j’ai pu m’entretenir et ça m’a fait passer le temps.
Après la seule frustration que j’ai en étant ici, c’est de ne voir personne. D’ordinaire, quand je suis dans le Gers, je n’ai pas trop de temps, je reste le week-end et je ne peux voir personne. Mais là ça fait des semaines que je suis rentrée et je ne peux voir ni mes amis, ni mes grands-parents, ni ma famille. C’est ça certainement qui est le plus frustrant pour moi, mais c’est pour tout le monde pareil."
Les manques : les apéros, les amis, pas le rugby
C’est ça qui vous manque le plus aujourd’hui ?
LA : "De ne pas voir mes proches ? Oui. C’est ce qui me manque le plus, les proches et les copines, pas le rugby, parce qu’avoir un mois de coupure, ça fait du bien ! Peut-être que dans trois mois je ne tiendrais pas le même discours, mais à l’heure actuelle ce n'est pas le rugby qui me manque ce sont mes copines, les apéros, les repas, tous ces moments d’avant et après entrainement, notre complicité entre nous toutes."
Vous ne faites donc pas partie de ces sportifs qui ont hâte de retrouver le chemin des entraînements ?
LA : "Non, j’en bouffe tous les jours (rires). Je sais qu’il y a des coéquipières de l’équipe de France ou du club à qui ça manque, c’est certain. Le rugby, en soit, ne me manque pas. Avoir terminé le Tournoi comme ça, ni par une défaite, ni par victoire mais sur rien, c’est dur mais ce n’est pas si grave. C’est du rugby, c’est du sport. Il y a plus grave ! Ça ne manque pas parce que je sais que cette situation n’est pas définitive. Aujourd’hui c’est une pause. Je continue à faire du sport et à me mettre la tête à l’envers avec de gros entraînements, ici, chez mes parents. (rires) Je vais être honnête, pour le moment, le rugby ne me manque pas. »
Comment avez-vous réagit à l’arrêt de votre championnat et par conséquent à votre saison ?
LA : "Dégoutée ! Mais avant cette annonce, j’aurai mis ma main à couper qu’ils prendraient cette décision. C’était quasiment sûr. Nous étions dans une situation sanitaire compliquée et que nous n’avions jamais vécue. Nous étions dégoutées, mais ça reste du rugby. Moi, ce qui me préoccupe le plus, c’est l’aspect financier, vis-à-vis des clubs professionnels mais aussi des petits clubs amateurs. Financièrement ça va être très compliqué ! Les clubs comptent sur les matchs pour faire rentrer des sous et sur les sponsors, mais les sponsors eux mêmes n’ont pas de rentrées d’argent. Nous allons vivre une situation inédite et très compliquée.
"Il faudra des années pour s'en sortir"
On entend dire qu’il faudra des mois pour se reconstruire, mais je pense qu’il faudra des années pour s’en sortir et pour les petits clubs, certains étaient très précaires, désormais ça va vraiment être difficile. J’espère que les joueurs de ces clubs ou de fédéral vont mettre la main à la pâte ! Ça va être compliqué pour eux de payer les joueurs, donc j’espère qu’ils vont s’asseoir sur leurs payes et sur leurs primes de match, au début, pour pouvoir renflouer les caisses. Dans le rugby amateur, quand on touche de l’argent c’est un plus, on n’est pas censé compter dessus pour vivre. J‘espère qu’ils seront solidaires envers leur club et qu’ils n’iront pas réclamer cet argent. On nous parle des valeurs du rugby : là elles devront être mises en avant par les joueurs, les dirigeants, les supporters et tout le monde. Ce n’est pas que dans le rugby que ça devra fonctionner, mais pour tous les sports, toutes les associations de sport. J’espère qu’on fera les choses non pas pour notre intérêt personnel, mais pour celui des associations."
Malgré la paralysie du sport professionnel et de haut niveau vous devez continuer de vous entraîner, quel est votre programme d’entrainement à la campagne ?
LA : "Il faut savoir que, nous officiellement, nous sommes en chômage technique ou en chômage partiel. Donc tous les salariés de la fédération ne sont pas censés travailler, ce qui voudrait dire que les joueuses ne sont pas censées faire de sport. Mais si nous ne faisons pas de sport, je pense qu’au prochain rassemblement de l’équipe de France, ça va être joli : de brave ventrêche dans une poêle. (rires) C’est pas possible pour nous d’arrêter, donc on doit continuer de s’entraîner. (…) Il y a quelques mois, la Fédération nous a proposé de suivre des cours d’anglais. J’ai accepté, pour renforcer mon lexique et parce que je trouve ça génial. Du coup, je commence ma journée dès 7h30 avec une de ses séances en direct avec un professeur. Ça me force à me lever, sinon j’aurais tendance à rester au lit. Ensuite, j’enchaîne sur une séance de sport. J’adapte mon entrainement en fonction de mon état physique, de mon humeur et de mon envie, mais aussi du matériel que j’ai à disposition.
Le plus dur : trouver la motivation
Là, ça fait trois jours qu’il pleut donc, même si le rugby est un sport d’extérieur, je n’ai pas vraiment mis le nez dehors pour aller courir. Je fais mes séances sur la terrasse, à l’abri. Autour de la propriété nous avons des chemins de terre où je peux courir. J’entends le chant des oiseaux et parfois même je peux voir des chevreuils passer dans les champs. Ici, nous ne sommes pas en plaine, donc quand je cours c’est sur des côte, je finis le capo ouvert très vite (rires). Les entraînements, je les fais aussi par plaisir et pour ma forme physique. Je n’ai pas beaucoup de matériel, mais je trouve de quoi m’occuper : des pneus de tracteurs, un pack d’eau, des élastiques. Le plus dur c’est surtout de trouver la motivation, parce que même si je n’ai rien à faire, il faut se bouger et vouloir le faire toute seule. Ce n’est pas toujours facile."
En quoi est-ce compliqué de se retrouver seule ?
LA : "Physiquement c’est compliqué parce qu’il faut se donner des objectifs et quand on a pas d’échéances c’est dur, très dur. Moi mon objectif c’est de rester en forme pour le prochain stage, pour la reprise du XV de France. A l’heure actuelle, je suis la seule internationale du club de Lons. Je me dois de montrer l’exemple ! Quand je vais revenir, je devrais être en forme. Là j’essaye de faire une séance le matin et une l’après-midi. Quand j’ai passé du temps à couper du bois avec mon père, je ne fais pas de sport après. Vu que c’est compliqué de se maintenir toute seule, j’ai motivé ma mère. (Rires) Tous les deux soirs, on fait des séances ensemble, un peu plus tranquilles que les miennes et ça nous permet de faire une activité toutes les deux et de garder notre complicité."
A quoi ressemble une séance de sport avec sa maman ?
LA : "Alors on y va doucement (rires) ! Elle a 60 ans et a eu quelques problèmes cardiaques il y a quelques années, donc on fait attention. Mais elle est impressionnante ! Quand je lui fait faire des séances de gainage on se donne toujours des objectifs. Elle n’en peut plus, mais elle tient et là je réalise que ma mère a un mental d’acier, je la découvre autrement. A la maison, quand je vois tout ce qu’elle fait entre le jardin, la basse-cour, quand elle doit bouger les brouettes et le motoculteur, je me rends compte qu’elle en fait déjà du sport. Elle n’a pas besoin de mes séances. Mais la première fois qu’on s’y est mise toutes les deux, elle a eu mal aux jambes pendant trois jours, alors que je pensais y avoir été gentiment. Dans ces moments là, nous rigolons beaucoup, ça lui vide la tête. Elle n’est pas en première ligne comme les médecins, les infirmières ou les urgentistes, mais malgré tout, elle y est quand même tout le temps. Ce n’est pas facile, elle a des gens malades au téléphone tous les jours. Psychologiquement c’est compliqué parfois. Je fais tout pour lui changer les idées et l'aider à évacuer."
Est-ce que vous avez déjà pensé à la première chose que vus aimeriez faire une fois le confinement terminé ?
LA : "[Rires] Ouais, je pense que la première des choses que je ferai si je suis encore dans le Gers, c’est de faire un coucou à ma famille. Je ne vais pas sortir faire la fête, aller dans des bars ou des boites parce que ça sera fermé. Je pense aussi que ce n’est pas parce que le confinement sera terminé que le microbe ne sera plus dans l’air et que le virus sera éradiqué. Mais ce qui me tarde, c’est d’aller faire un resto avec mes copines. Alors un resto, ça sera compliqué, mais on se rassemblera à faire un picnic en extérieur, passer du temps avec mes potes, profiter, sortir et avoir un semblant de vraies vacances."
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