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Ce que cache l'affaire d'abus sexuels dans le tennis

L'ancien entraîneur Régis de Camaret, accusé de viol par certaines de ses joueuses, est jugé depuis jeudi. Mais cette affaire n'est pas représentative des violences sexuelles dans le sport.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'ancien entraîneur de tennis Régis de Camaret, lors de son arrivée au tribunal de Lyon (Rhône), le 15 novembre 2012.  (JEFF PACHOUD / AFP)

SPORTS – Une vingtaine d'anciennes élèves de Régis de Camaret l'accusent de viol. Parmi elles, l'ancienne n°2 française Isabelle Demongeot, qui a raconté son histoire dans un livre au titre évocateur, Service volé. Les histoires de ces anciennes apprenties championnes se ressemblent : elles ont vécu dans un internat dédié au tennis dans leur adolescence, et accusent leur entraîneur, leur "gourou", de viol. La nuit, il poussait la porte de leur chambre et se décrivait comme "le loup dans la bergerie", rapporte Paris Match. Cette affaire est-elle représentative des dérives du sport ? Oui, car les sportifs n'hésitent plus à briser la loi du silence, ce qui est nouveau en France. Non, car les scandales qui sortent ne sont pas typiques de ce qui arrive le plus souvent.

Les violences sexuelles dans le sport, un problème connu

La première affaire sortie dans la presse en France, c'est celle des lanceuses de marteau, en 1991. Une affaire représentative de décennies de tabous et de politique de l'autruche. Les médias découvrent le problème : "Depuis l’écroulement du communisme à l’Est, la France est le dernier pays où l’athlétisme vit sous le régime du droit de cuissage", constate alors France Soir, cité dans ce PDF (p.16). Deux lanceuses de marteau ont raconté les coulisses cauchemardesques d'un stage de préparation à Gueugnon (Saône-et-Loire). L'une d'elles, Catherine Moyon de Baecque, a notamment dû danser en sous-vêtements devant les autres athlètes, avec la bénédiction des entraîneurs, dans un bar. "C’était pour qu’il y ait plus de chaleur dans le groupe”, explique le patron de l'établissement (PDF, p.4).

Ce n'est que le début : Catherine Moyon de Baecque racontera les attouchements d'autres lanceurs dans son livre (des extraits ici). L'affaire, que la fédération d'athlétisme a cherché à étouffer, débouchera sur des condamnations légères et des relaxes en 1993. L'essentiel pour la fédération était sauf : les lanceurs impliqués ont pu participer aux Jeux olympiques de Barcelone. En revanche, les lanceuses ont été écartées de l'équipe.

L'entraîneur montré du doigt… souvent à tort

Le cas des lanceuses de marteau s'apparente plus à un bizutage entre équipiers qu'à une relation non consentie entre entraîneur et entraîné. C'est pourtant ce stéréotype qui est inscrit dans l'inconscient collectif quand on évoque les cas d'abus sexuels dans le sport. L'ancien bloc communiste a été soupçonné de pratiquer le dopage par l'avortement (lien en anglais)… De l'autre côté de l'Atlantique, la championne de judo Kayla Harrison expliquait avant les Jeux olympiques de Londres au New York Times (lien en anglais) : "Ce n’est pas un secret : j’ai été violée par mon premier coach. Et c’est vraiment la chose la plus difficile que j’aie dû surmonter."

Contrairement aux idées reçues, les violences sexuelles de la part des entraîneurs ne représentent qu'une infime minorité des cas, 9%. "Quelle erreur ! On a tendance à stigmatiser les entraîneurs alors qu’ils sont au contraire les mieux placés pour mettre en place des actions de détection ou de prévention", explique à francetv info Greg Décamps, coordinateur de l'étude de référence menée sur le sujet par l'université de Bordeaux-Segalen en 2009 et président de la Société Française de Psychologie du Sport.

Bien souvent, ce sont les autres sportifs du groupe d'entraînement qui agressent sexuellement leurs équipiers (55%). "Les garçons sont davantage exposés en situation de bizutage, notamment pour les actes de harcèlement, tandis que les filles sont davantage exposées en situation d'isolement avec l'agresseur, notamment pour des actes de voyeurisme / exhibitionnisme", détaille l'étude bordelaise (PDF, p.104). 

Le rapport au corps dans le sport, au cœur du problème

"Le sport est un milieu à part, explique Sabine Afflelou, responsable du Centre d'accompagnement et de prévention pour les sportifs, à Libération. Le rapport au corps y est particulier. Il y a des disciplines comme la gymnastique où l’entraînement suppose un contact. Et les parents sont parfois moins vigilants sous prétexte que le sport, c’est bon pour la santé." S'y ajoute une omerta toujours en vigueur, explique Greg Décamps : "Dénoncer des violences sexuelles dans le sport est un processus complexe, car les victimes restent convaincues que dénoncer de telles violences compromet la suite de leur carrière."

Tous les sports sont touchés. Un article édifiant de L'Equipe montre que petits garçons et petites filles, dans le judo, le foot ou le patinage artistique, ont connu des attouchements ou des viols. L'étude de l'université de Bordeaux met en évidence certains sports à risque. "Cinq disciplines sportives présentent des taux d'exposition générale supérieurs à celui obtenu pour l’ensemble de la population étudiée : le judo (28,4% de victimes), le volley-ball (16,7%), le rugby (14,3%), le handball (12,8%) et le tennis (11,8%)" (PDF, p.90). Greg Décamps est néanmoins très circonspects concernant ces chiffres : "Il serait ridicule de penser que certaines disciplines sont plus à risque que d'autres. Ces résultats ne sont probablement que des effets statistiques dus à certaines spécificités de l'échantillon. Ce que ces chiffres enseignent avant tout, c'est qu'il n'y a pas de discipline 'type' qui soit concernée par les violences : sport individuel, collectif, de combat, de raquettes, etc. toutes doivent se sentir concernées et contribuer à la lutte contre ce phénomène".

Les choses ont-elles changé depuis l'affaire Moyon de Baecque ? D'autres scandales ont éclaté en France, souvent à des niveaux inférieurs. Mais il a fallu attendre la médiatisation de l'affaire Régis de Camaret, en 2007, pour que la Fédération française de tennis, puis le ministère des Sports, mettent en place une charte. "Que peut-on faire de plus ? se demande le ministère dans L'Equipe. Après, cela relève du judiciaire." Greg Décamps n'est pas d'accord : "Ça n'est pas suffisant. J’ai l’impression que la participation d’athlètes connus à des campagnes de médiatisation est nécessaire. Sans forcément que ces athlètes soient des victimes. Mais le monde sportif a sûrement besoin de voir certaines de ses élites prendre position par rapport à ces agissements inacceptables."

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