Cet article date de plus de quatre ans.

Ça s'est passé un 29 avril 1970 : la naissance d'Andre Agassi, ce champion qui détestait le tennis

Ce 29 avril, Andre Agassi fête ses 50 ans. L’un des plus grands champions de l‘histoire du tennis, détenteur de 8 titres du Grand Chelem, est aussi réputé pour sa personnalité un peu schizophrène, entre ombre et lumière. Son anniversaire est l’occasion de se pencher sur ce qui lui a fait dire, dans son autobiographie "Open" publiée en 2008, qu’il “détestait” le tennis.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
 

Nous les premiers, journalistes sportifs, usons et abusons de superlatifs lorsqu'un champion lève les bras : "Il l'a fait" , "...au septième ciel" , "le plus grand bonheur de sa carrière". Quand Andre Agassi, qui fête donc ses 50 ans ce 29 avril, a affirmé avoir toujours "détesté" le tennis dans son autobiographie Open, personne n'a compris. Quoi, mais alors que signifient les larmes de sa victoire à Roland-Garros en 1999 ? Celles de sa première victoire en Grand Chelem à Wimbledon ? Tout ça ne pouvait pas être faux...Et pourtant. Il y avait, au moins, une partie d'insincérité dans les discours du divin chauve du tennis. Car, depuis sa plus tendre enfance, le tennis n'est que la douloureuse relique d'une violence cachée. Celle, originelle, dont a fait preuve Mike Agassi envers le petit Andre, en le forçant à frapper des balles pour enquiller les dollars. Celle, inévitable quand on a grandi avec l'obligation constante de faire ses preuves, du regard des autres. 

Avec papa, c’était “dragon” et “pilules blanches”

Une grande bouche, noire, obscure, crachant des boules de feu. Le "dragon". Alors qu’il a sept ans, son père, Mike Agassi, se procure une machine lance-balles. Le petit Andre va la surnommer “dragon”. Dragon comme ce monstre qui effraie les enfants, dragon car la machine lui fait peur, elle projette des balles, beaucoup de balles, 2500 par jour exactement, "car ça fera 1 million de balles frappées en un an, et un enfant qui frappe un million de balles en un année deviendra imbattable”. Mike a beaucoup misé sur Andre. Le plus doué de la fratrie avec la raquette, et de loin. “Je pense dire à mon père que je n’aime pas le tennis (...) Mais de mauvaises choses arrivent quand mon père est en colère” confiera-t-il plus tard.

Il lui faudra trente ans pour extérioriser son vrai sentiment sur le tennis. Trente ans durant lesquels il a tout gagné, est devenu l’un des meilleurs du monde, mais au cours desquels son rapport à la petite balle jaune n’a pas changé d’un iota. Car qu’y a-t-il de si différent entre la balle qui lui a permis de remporter son premier Grand Chelem à Wimbledon en 1992, et la 2500ème balle qu’il renvoyait exténué, “en pleurs” parfois, et qui revenait inlassablement ? Qu'y a-t-il de moins terrifiant dans le fait de battre son rival historique Pete Sampras en finale à l'US Open, et le fait de vaincre cette grande bouche noire, obscure, crachant des boules de feu ? 

La peur de son père ne se traduira pas seulement dans les vagues relents de son enfance tourmentée. Il sera accompagné, pendant longtemps, partout sur le circuit, par ce paternel tyrannique. D'abord chez les juniors, où il lui fait ingurgiter d'étranges "pilules blanches", recette secrète pour gagner lui dit-il. Est-ce ces pilules blanches qu'il entrevoit quand il décide, en 1997, d'user de métamphétamines ? Il joue plusieurs tournois drogué. En gagne quelques-uns. Avec toujours, à la fin, ce sourire infini et ses bras levés. Il sera même contrôlé positif la même année, mais l'ATP n'en dira rien ; il ne fallait pas qu'un scandale éclate et brise l'image d'une des stars du circuit. La machine à billets devait continuer à tourner, coûte que coûte. 

Look de rebelle, vraiment ? 

Est-ce aussi cette remarque, cinglante, de son père, quand il se plaint de la sévérité de son entraîneur Nick Bollettieri : «Tu le mérites, tu t'habilles comme un pédé», qui le conduira, dans ses jeunes années, à tout faire pour se distinguer ? Andre Agassi restera dans l'histoire pour la révolution vestimentaire qu'il apportera dès ses premières saisons sur le circuit. Il débarque en short en jeans, en bandana multicolore, les cheveux cascadant jusqu'aux épaules comme un vrai rockeur grunge. Son look, sa personnalité de rebelle, lui confèreront, très tôt, avant même ses succès sportifs, valeur de star de son sport. Mais comme il l'avouera dans son livre : "Je n'arrive pas à comprendre que tous ces gens s'efforcent de ressembler à Andre Agassi alors que, moi, je ne veux pas être Andre Agassi". D'autant que, sur sa coupe de cheveux, il avouera qu'il s'agissait en fait d'une perruque camouflant sa calvitie précoce. 

Si Andre Agassi a réalisé le Grand Chelem en carrière, il n'a jamais réussi à trouver un rythme de croisière en termes de titres ; ses années de haut niveau ont été une suite de sommets, de très hauts sommets, et de chutes, de lourdes chutes. Comme si, après chaque sommet gravi, quelque chose le ramenait plus bas que terre. Quand il remporte son premier à Wimbledon à 1992, personne ne s'est douté de la claque qu'il a ensuite reçue en coulisses. Comment réagir quand Mike, son père, son vrai dragon, a pour première remarque : "ce 4e set, tu n'aurais pas dû le perdre" Dans la foulée, il perd en quarts de finale à l'US Open. Se blesse au poignet. Manque plusieurs mois de compétition, chute à la 24e place fin 1993 alors qu'il n'était jamais sorti du Top 10 depuis 1988. Le dragon avait-il de nouveau frappé ? 

Destin logique

A chaque fois, cependant, il se relève. Repart de l'avant. Et de quelle manière ! Il remporte l'US Open en 1994, puis l'Open d'Australie, et la Coupe Davis. S'il détestait tant le tennis, où trouvait-il une telle motivation ? "C'était ma vie, et même si ce n'était pas moi qui l'avais décidé, la certitude de cette perspective était ma seule consolation. Au moins le destin avait-il une logique." La conviction qu'il avait une destinée, déjà inscrite dans le marbre quelque part, dans un endroit où il n'y aurait ni dragon ni perruque, voilà ce qui lui a, à de nombreuses reprises, permis de se transcender, malgré la haine de son sport. Roland-Garros, 1999. Andre Agassi affronte son double en finale, Andrei Medvedev.

Ce jour-là, il s'apprête à accomplir ce qui restera probablement comme son plus grand exploit : remporter les quatre titres du Grand Chelem sur quatre surfaces différentes. Bien après Rod Laver qui les gagnait trois fois sur gazon. Bien avant Roger Federer, Rafael Nadal, ou Novak Djokovic et qui, eux, les gagneront sur des surfaces bien plus uniformisées. La finale est loin d'être gagnée. Il perd les deux premiers sets en passant totalement à côté de la finale. Dans le troisième, la pluie interrompt le match. Il admettra après-coup qu'il l'avait plus vécue comme un signe du destin que comme un hasard météorologique. Encore ce "destin", comme s'il ne pouvait pas lui-même, seul, accomplir tout ce qu'il a accompli. Il remporte les trois derniers sets facilement. Medvedev est terrassé. Le dragon est à terre.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.