Ça s'est passé un… 23 mars 1594 : le coup double d'Henri IV en Jeu de paume
Du règne d’Henri IV, on retient souvent l’édit de Nantes de 1598 qui mit fin aux guerres de religion. Et lorsque que l’on parle de paume dans l’Histoire de France, on pense plutôt au Serment du Jeu de paume de 1789, qui fût un des événements majeurs de la Révolution française. Mais la grande Histoire est faite de petits événements, parfois tout aussi révélateur qu’une bataille. Ainsi, elle associe Henri IV et le Jeu de paume dans un épisode méconnu. En effet, avant de promulguer son célèbre édit, Henri de Navarre a dû batailler pour s’imposer sur le trône de France, et notamment pour se mettre la capitale dans la poche. Et pour cela, quoi de mieux qu’une partie de Jeu de paume ?
Une relation compliquée avec Paris
D’abord, revenons sur le contexte. “En mars 1594, Henri IV vient d’abjurer, et il s’est fait sacrer à Chartres. Le contexte est encore difficile”, éclaire Pauline Valade, professeure d’histoire agrégée, spécialiste de l’époque moderne. Elle poursuit : “Depuis le début de son règne, il passe son temps à chevaucher d’une ville à l’autre avec son armée pour affirmer son autorité contestée, du fait qu’il soit un ancien protestant, plusieurs fois converti”. De plus, c'est un souverain venu de Navarre, une lointaine province du sud du royaume, ce qui n'augmente pas sa cote de popularité.
Par ailleurs, Henri IV a tenté de prendre Paris dès 1590, par un long siège : “Il avait pris les petits villages alentours pour mettre en place un embargo et affamer les gens. En 1594, les Parisiens ont donc l’image d’un roi autoritaire qui les a vaincus par la force”, résume Pauline Valade. Quatre ans après ce siège finalement manqué, la situation militaire a évolué en faveur du roi contesté, et il peut enfin faire son entrée dans Paris, le 22 mars 1594. Dès le lendemain, il effectue sa première sortie dans la Capitale pour… aller jouer au Jeu de paume.
Un sport royal et populaire
Avant toute chose, rappelons ce qu’était cette discipline, ancêtre du tennis et de tous les sports de raquette. Le jeu de Paume consiste à se renvoyer une balle au dessus d’un filet en simple ou en double. Au départ, les joueurs jouent à mains nues ou portent un gant de cuir pour frapper la balle, avant l’apparition des raquettes au XVI° siècle. "C’était extrêmement physique, bien plus fatiguant et compliqué que le tennis" précise Elisabeth Belmas, docteure en histoire moderne, professeure à l’université de Sorbonne-Paris Nord, et auteure de plusieurs ouvrages sur cette discipline.
A l’époque moderne, c’était surtout un sport majeur, très populaire. Elisabeth Belmas développe : "Tous les rois de France ont été des joueurs de paume, ça faisait partie de leur éducation royale et de l’éducation guerrière des gentilshommes". Ainsi, on a compté jusqu’a 250 salles de Jeu de paume dans Paris à l’époque moderne, dont beaucoup de salles publiques appelées "tripots", même si les nobles et certains prélats possédaient leur propre salle dans leurs résidences.
"Petit à petit au XVIIe, on a considéré que c’était un jeu indigne d’un gentilhomme, à partir du moment où une forme de dignité s’est insérée. On lui a alors préféré le billard par exemple. Après, les souverains préféraient assister à des parties de paume jouées par des professionnels, un peu comme Roland-Garros aujourd’hui" sourit Elisabeth Belmas.
Asseoir sa victoire grâce à son revers
Ainsi, la pratique de la paume par Henri IV s’inscrit dans une tradition royale. Toutefois, lui, plus que tout autre monarque français, était un vrai mordu de paume, selon Elisabeth Belmas : "Il y jouait dès qu’il le pouvait. C’était un grand joueur, qui aimait aussi les dés et les cartes, mais il était bien meilleur en paume et l’a transmis à son fils, Louis XIII". Alors, quand Henri IV entre enfin dans Paris le 22 mars 1594, cela paraît logique de le voir, dès le lendemain, aller taper quelques balles. Mais ce n’est pas anodin pour autant.
Le 23 mars 1594, le roi ne choisit pas une salle au hasard. Il aurait pu jouer dans son palais, ou dans la résidence d’un noble parisien, mais au lieu de cela, il se rend dans un tripot parisien, vraisemblablement à la Sphère. "Henri IV était un monarque très rusé, extrêmement malin, un homme pragmatique, politique. Alors, cette partie de paume au lendemain de son arrivée à Paris, c’est à la fois pour se distraire, mais aussi pour faire un geste de conciliation envers les Parisiens" raconte Elisabeth Belmas. "Il ne faut pas oublier qu’il les avait assiégés", rappelle Pauline Valade.
Ce jour-là, aucune trace de l’adversaire ni même du score. Peu importe pour Henri IV, surtout venu faire preuve de son autorité. "C’était un joli “coup double” comme on dit au Jeu de Paume, justement. D’une part, il tendait ainsi la main vers les Parisiens. De l’autre, il se donnait en spectacle et témoignait de sa force physique car à l’époque, l’autorité royale était liée à la force du roi", précise Elisabeth Belmas. Pauline Valade complète : "Après sa victoire militaire, il est venu attester physiquement de son autorité grâce à cette partie de paume au cœur de Paris. D’autant qu’il succédait à Henri III, un roi assez efféminé, donc jouer à ce jeu physique devant les Parisiens, c’était démontrer sa virilité et sa force".
Plus qu’une rencontre sportive, ce 23 mars 1594 était alors autant un divertissement pour le roi qu’un geste politique calculé d’affirmation de la monarchie, et de réconciliation avec les Parisiens. "Avec lui, tout était réfléchi, conclut Elisabeth Belmas. Par exemple, quand il jouait à la paume au château, c’était devant un parterre de dames venues l’admirer. Par conséquent, il jouait avec des chemises déchirées plutôt qu’avec le costume typique, pour laisser apparaître ses muscles". Entre les dames de la cour ou les Parisiens, finalement, plus que du sport, pour Henri IV la paume était surtout un jeu de séduction.
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