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Brésil : Les supporters de foot unis contre Bolsonaro

Ils se déchirent dans les stades, mais s’unissent aujourd’hui dans la rue pour protester contre la politique du président Jair Bolsonaro et sa gestion jugée catastrophique de la crise sanitaire. En pleine pandémie du Coronavirus, les supporters de foot des plus grands clubs du Brésil bravent le confinement pour une cause qui leur a toujours été chère: défendre la démocratie brésilienne.
Article rédigé par franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
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Du stade à la rue, il n’y a qu’un pas. Flamengo, Vasco, Corinthians… Dimanche dernier à Sao Paulo, comme autant de petites taches de couleurs venues donner un peu de force à cette foule habillée de noir, ils sont des centaines de supporters à avoir rejoint le cortège antifasciste qui défile contre le président Jair Bolsonaro. La plupart lèvent le poing au ciel en hommage aux victimes noires de violences policières. Car si l’étincelle a pris feu à Minneapolis aux Etats-Unis, où George Floyd a trouvé la mort sous le genou d’un policier, ici au Brésil, c’est tous les jours que des dizaines de noirs des favelas tombent injustement sous les balles et les poings des forces de l’ordre. Et ce n’est pas la pandémie qui a changé cela. 

Rivaux dans les stades, les "torcidas", ces fameux clubs de supporters, s’unissent aussi et surtout aujourd’hui contre la politique du président brésilien. Le président du club des Gavioes da Fiel et leader du mouvement des supporters pro démocratie de Sao Paulo prend le mégaphone avec autant de force que pour hurler contre l’adversaire:  "Dans les stades, on peut s’injurier, mais ici on est réuni ensemble pour prouver que nous, on n’injure pas la démocratie".

Car pour Danilo Passaro, originaire de Brasilandia, l’un des quartiers de Sao Paulo les plus touchés par le coronavirus, l’heure est grave: son pays est en danger. Selon lui, en minimisant la crise sanitaire et en bloquant des fonds destinés aux hôpitaux des Etats, le gouvernement de Jair Bolsonaro aurait un comportement "génocidaire". Mais sa rage va bien au-delà de la gestion de la pandémie. 

"L’union fait la force"

Leur union est née en discutant sur les réseaux sociaux. "Ça s’est fait de manière très spontanée. Nous nous sommes rendus compte que nous étions tous indignés par le comportement du président et de ses partisans qui font régulièrement l’apologie de la dictature dans leurs manifestations. Des professionnels de santé sont agressés, des journalistes aussi… c’est une montée en puissance autoritaire qui nous inquiète". Depuis l’élection de Jair Bolsonaro en octobre 2018, l’ancien capitaine de réserve n’a eu de cesse d’exalter ses partisans favorables à une intervention militaire pour faire barrage au congrès et au tribunal suprême fédéral (STF) qui "empêcheraient" le président de faire correctement son travail. Plus de 30 demandes de destitution ont été enregistrées, entre autre pour "crime contre la santé publique", un chiffre qui ne fait que grandir depuis le début de la pandémie. 

"Né pour combattre le fascisme"

Du haut de ses 27 ans, Danilo a la triste impression de faire revivre les années les plus sombres de son club de supporters des Corinthians. "Notre groupe, les Gavioes da Fiel, est né en 1969, en pleine dictature militaire. Il est né avec l’objectif de combattre le fascisme et le régime militaire instaurée au Brésil." En 1979, lors d’un match désormais historique entre Corinthians et Santos, devant plus de 100 000 spectateurs, c’est  le club de supporters des Gavioes da Fiel qui a déplié une immense banderole "Amnistie générale et liberté" pour les prisonniers de la dictature.

 

Les couleurs du drapeau brésilien, vert et jaune, sont devenues l’étendard des défenseurs de Jair Bolsonaro, qui manifestent d’ailleurs au même moment à quelques kilomètres de là. Avec son t-shirt aux couleurs de la sélection brésilienne, Danilo sait qu’il détonne, mais il souhaite envoyer un message aux partisans de Jair Bolsonaro: "Ce maillot, c’est nous, il rassemblent tous les supporters de tous les clubs, c’est un symbole qu’on ne laissera pas à cette extrême droite". 

"Engagés contre Jair Bolsonaro et contre le Coronavirus"

A Rio de Janeiro, au même moment, marchant dans le cortège qui se rend au mythique stade du Maracana, Roberto Almir porte fièrement les couleurs rouge et noire de son club: le Flamengo. Engagé contre Jair Bolsonaro, il l’est aussi contre le coronavirus. 

A défaut de match, tous les week-ends quand il ne manifeste pas, avec des membres du club, il distribue de la nourriture aux sans-abri du centre-ville de Rio de Janeiro. Leur bus est devenu célèbre pour annoncer son arrivée en diffusant l’hymne du club. Quand on se targue d’avoir "le plus grand nombre de supporters au monde", les dons affluent… "On fait le boulot que l’Etat ne fait pas!" hurle-t-il collé à son téléphone en pleine transmission en direct sur Facebook. 

 

Ce jour-là, comme le dimanche d’avant, les deux rassemblements finiront par des affrontements entre policiers et manifestants. Les clubs de supporters sont accusés par les partisans du président "d’exacerber les tensions et d’attiser la violence contre la police". Danilo et ses amis balaient d’un poing ces "mensonges" :  "Le foot n’est pas violent, c’est l’âme de notre pays, il fait partie de chaque Brésilien et il a eu un rôle très important à la création de notre démocratie. C’est donc à nous d’empêcher que son histoire ne se reproduise pas. On ne veut pas revivre les tortures, les assassinats, et les disparitions d’opposants… Une époque où la vie humaine avait peu de valeur… la même valeur que Jair Bolsonaro accorde aujourd’hui aux victimes du coronavirus".

Ces supporters de plus en plus nombreux à protester à Sao Paulo et Rio de Janeiro ont donné naissance à un mouvement défendu par de nombreuses personnalités du monde du sport. Ana Moser, Rai, Fabi, Gustavo Kuerten… Ils sont plus de 60 à avoir signé le manifeste: "Sport pour la démocratie". Pour que l’histoire ne se répète pas.

De nos correspondantes au Brésil : Fanny Lothaire, Augusta Lunardi

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