Sport universitaire : un monde d'écart entre la France et les Etats-Unis
Quand les bancs des universités françaises sonnent bien creux depuis des mois, les facs américaines bruissent à nouveau des chaussures qui crissent sur le parquet. La March Madness, la folie du basket universitaire chez l'Oncle Sam, annonce deux semaines pendant lesquelles la balle orange sera reine. Les playoffs de la NCAA, le championnat des facultés et écoles supérieures outre-Atlantique, figurent en bonne place parmi les événements sportifs les plus attendus du calendrier. A l'opposé, dans l'Hexagone, le sport universitaire français pâtit d'un sérieux déficit de visibilité, loin, très loin du mastodonte étatsunien.
Ce ne sont pourtant pas les étudiants qui manquent. Avec 2,73 millions d'inscriptions dans l'enseignement supérieur en France en 2019-2020, la France fait partie des champions européens. Un tel contingent pourrait supposer son lot d'athlètes, à même de porter haut le sport universitaire français.
Des grandes compétitions, les sportifs universitaires français peuvent en disputer. La Course croisière EDHEC, une régate nautique de haut niveau et des épreuves sur terre, est souvent considérée comme le plus grand événement sportif étudiant d'Europe. Son ampleur est comparable à la NCAA par son nombre de participants. Mais elle regroupe des équipes du monde entier, contrairement à la March Madness, uniquement disputée par les facultés nord-américaines. Il en va de même pour les Universiades, sortes de JO des universités. Si de grands noms du sport français y ont brillé dans leurs jeunes années (Jean Galfione, Tony Estanguet, Alain Bernard, Raphaël Ibañez ou encore dernièrement Yannick Borel), c'est avant tout parce qu'ils étaient d'abord des athlètes en devenir qui avaient choisi de poursuivre des études en parallèle de leur carrière.
Deux modèles opposés
En France, le modèle est celui du sport-études. La détection permet aux jeunes athlètes - comme les basketteurs - d'intégrer des centres de formation et des structures fédérales dans lesquelles on leur distille les leçons sur les terrains comme en classe. Une fois leur bac en poche à la sortie du lycée, ils sont en âge de passer professionnels. Et dans un monde où les places sont chères, le plus tôt est le mieux. Aux Etats-Unis, le passage par la case fac est intentionnalisé depuis des décennies. Il est même devenu quasi obligatoire pour tout espoir de la balle orange. Depuis 2006, la NBA a imposé aux joueurs un âge minimum pour la draft, la sélection des meilleurs espoirs du monde du basket qui a lieu avant chaque saison. Depuis cette date, les joueurs doivent impérativement avoir 19 ans pour être éligibles, et avoir passé une année postérieure au lycée. La voie royale qu'était le championnat NCAA s'est un peu plus imposée alors comme le chemin des rêves pour tous les jeunes basketteurs de la planète.
"L'image que l'on a du sport ici est le problème", déplore Claire Chanay, fondatrice d'Athletic USA, agence spécialisée dans le recrutement d'étudiants sportifs français pour vivre l'expérience américaine. "En France, on dévalorise le sport, ce avant même l'université, par rapport à d'autres disciplines. Aux Etats-Unis, il est reconnu au même titre que des études. Vous êtes scolarisé avec un programme adapté, avec des classes en demi-journée et entraînement tous les jours. Ici, si vous faites des études, vous n'avez pas le temps de vous entraîner autant et de participer aux compétitions. Dénigrer le sport, n'en faire que deux heures au lycée parce qu'on se sent obligé, ce n'est pas le reconnaître."
"Le modèle n'est pas qu'universitaire", abonde Christophe Millard, directeur national adjoint de la Fédération française du sport universitaire (FFSU), en charge du basket. "La culture et la place du sport dans la société américaine, c'est bien plus large."
Sport d'élite versus sport de masse
Avec le deuxième sport collectif le plus pratiqué en France derrière le football (710 000 licenciés en 2019), le basket dispose d'un terreau pour faire naître une pratique universitaire dense. Mais sans approche de l'université comme d'une pépinière de talents à la sauce US, impossible de voir germer ces jeunes pousses. Imbriqué dans l'enseignement supérieur français, le sport est vu comme un service public, au même titre que la fac. "On est ouvert, et on en est heureux", se félicite Christophe Millard. "En France, tout le monde a accès au sport. Aux Etats-Unis, cela reste réservé à une élite qui a eu le droit à une bourse. On a ce décalage culturel et structurel. Le sport chez nous est un passe-partout du sport-loisir à la compétition. Aux Etats-Unis, c'est performance, médaille…"
Passée par les Etats-Unis pour étudier et continuer la pratique du tennis après un cursus STAPS en France, Claire Chanay tempère. "Même un athlète moyen se voit offrir des bourses jusqu'à 35 000 dollars l'année. Reconnaître des gens qui ont un niveau régional ou national pour pouvoir en faire des pros, c'est normal là-bas. Chez nous, l'université est publique, on n'a pas ces dépenses-là. On pourrait pourtant imaginer que ces moyens, que vous ne donnez pas de cette manière, pourraient servir à payer le logement, la nutrition des étudiants athlètes… J'aime mon pays et je n'en changerais pour rien au monde. Mais pour le sport, c'est catastrophique."
"A rendre jaloux l'organisation du sport en France, pas juste le modèle universitaire"
Le contraste est assez saisissant. Aux Etats-Unis, les terrains de basket sont pratiquement à tous les coins de rue, alors qu'en France, il faut souvent en passer par une inscription en club pour avoir accès aux installations. A l'université, le rapport s'inverse : d'un côté, une pratique très "scolaire" dans des salles disponibles à n'importe quel étudiant en France; de l'autre, l'élite des athlètes-étudiants bénéficie de conditions d'exception de l'autre côté de l'Océan Atlantique. "Quand on voit les outils, les équipements des universités, c'est à rendre jaloux l'organisation du sport en France, pas juste le modèle universitaire", valide Christophe Millard. Alors que le basket français tire la langue pour trouver des diffuseurs à la Jeep Elite, la March Madness réunissait en moyenne 10,5 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis en 2019 pour observer des équipes constituées majoritairement des joueurs inconnus et qui ne deviendront jamais professionnels.
"Même dans les universités lambdas, sur tous les campus, vous avez des infrastructures mises à disposition", raconte Claire Chanay. "Salles d'entraînement avec appareils de musculation, des terrains de foot, de baseball, des courts de tennis, des piscines… Sans compter les centres médicaux et les staffs dédiés à ça. Avoir un kiné à disposition alors qu'il y a un paquet d'athlètes, même dans des centres de formation, on n'a pas ça parfois en France."
Rudimentaire championnat de France universitaire
Face à ce constat, le sport universitaire hexagonal essaie de faire bonne figure avec ses moyens, sans jalousie, ni dénigrement. Non sans envier non plus la réussite d'un modèle qui a su allier la réussite académique et la pratique sportive à haut niveau. "Le changement majeur que l'on peut espérer, c'est qu'on doit pouvoir suivre sa vocation sportive à l'école d'un bout à l'autre et être accompagné", concède volontiers Christophe Millard. "Certaines universités le font très bien avec des aménagements d'études comme à Bordeaux, ou à l'INSA Lyon. Oui, c'est dur de mener les deux. En France, en basket, en Nationale 2 – Nationale 3 (les quatrième et cinquième divisions, ndlr) on parle de précarité. Si tu deviens pro à 18 ans, c'est génial. Mais si à 27 ans, tu te blesses... Aux USA, on valorise la double-excellence. Même si tu te plantes dans le sport, tu as un bagage académique."
"Le sport universitaire US ne fonctionne pas comme le sport universitaire en France, il n'est pas duplicable à l'étranger", assène le directeur national adjoint de la FFSU. D'un côté, la March Madness et ses 68 formations en lice pour le titre. De l'autre, le rudimentaire championnat de France des universités et ses douze participants pour toute la saison. Claire Chanay explique avoir bien essayé "de faire bouger les choses", en vain. "Le système est ancré depuis tellement longtemps", assure-t-elle. Christophe Millard, lui, ne désespère pas non plus de voir les choses évoluer. Une prise de conscience pour un changement en profondeur ? "On a le droit de rêver. La place du sport est un sujet, à tous les niveaux. On espère que Paris 2024 aidera…"
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