"Rush" : la F1, c'était vraiment mieux avant
Le film de Ron Howard, en salles mercredi, retrace l'incroyable saison 1976, qui vit s'affronter le play-boy tourmenté James Hunt et le froid et méthodique Niki Lauda pour le titre de champion du monde.
"Prenez la saison du championnat du monde F1 1976 et faites-en un scénario de film. Les gens diront : 'Ne soyez pas ridicule, toutes ces péripéties ne peuvent arriver aux mêmes pilotes la même année.' Et pourtant, c'est la pure vérité !" Si le boss de l'écurie McLaren de l'époque, Alastair Caldwell, fait cette confidence amusée au site spécialisé TopGear.com (en anglais), c'est que l'histoire contée dans le film Rush, sur les écrans mercredi 25 septembre, paraît trop hollywoodienne pour être vraie.
Mais la F1, dans les années 70, c'était bien du grand spectacle tous les week-ends. La preuve.
Des pilotes hauts en couleur
Rush raconte l'épilogue de la saison 1976. Il n'y a plus que deux pilotes en lice pour le titre : l'Anglais James Hunt, qui court chez McLaren, et l'Autrichien Niki Lauda, pilote Ferrari. Deux pilotes qu'on a opposés à tort, alors qu'ils étaient amis et ont même partagé un appartement à Londres au début de leur carrière.
James Hunt est un pilote entré dans la légende avant tout pour des raisons extra-sportives. "Pour me préparer au mieux à un Grand Prix, je ne connais pas de meilleur remède que d'arrêter l'alcool pendant trois jours, le temps des essais", déclare-t-il, un rien bravache. Considéré comme un bon pilote sans être un crack, Hunt traîne le surnom de "The Shunt", le chauffard. Sa fâcheuse tendance à écraser l'accélérateur, sans doute. Pourtant, Hunt, terrorisé par la mort, vomit parfois dans son cockpit, raconte son biographe Roger Donaldson dans James Hunt, the Biography (en anglais). On prête au pilote 5 000 conquêtes, dont sept pendant un week-end de course, et une autre quelques minutes avant le départ d'un Grand Prix.
N'allez surtout pas classer Niki Lauda, surnommé "l'Ordinateur", au rayon des ennuyeux. L'Autrichien était beaucoup moins expansif que l'Anglais, réglant sa voiture lui-même, attachant beaucoup d'importance à la préparation de la course. Mais Lauda a reconnu dans une interview avoir été "30% du play-boy qu'était Hunt". Faites le calcul...
Des circuits redoutables
Le moment fort de la saison intervient début août, lors du Grand Prix du Nürburgring, en Allemagne. Un circuit long de 20 km, avec de longs passages dans des bois et énormément de virages : 178. Trop ? "A chaque virage, ça me fait l'effet d'un film porno", se souvient le pilote suédois Gunnar Nilsson dans le livre de Roger Donaldson. L'avis du pilote écossais Jackie Stewart, double champion du monde, est un peu différent, dans une interview à MSN (en anglais) : "On roulait à 300 km/h alors qu'il n'y avait pas de barrières, au milieu de la forêt. Je me rappelle qu'on a couru alors qu'on n'y voyait pas à 50 mètres. Et à chaque tour, à cause des virages, la voiture quittait le sol." Stewart lui trouve un surnom : "L'enfer vert".
Niki Lauda en fait l'amère expérience, lors de l'édition 1976 de la course. La Ferrari du pilote autrichien sort de la route, s'encastre dans le mur, et prend feu.
Lauda n'a pas le temps de sortir, les secours n'arrivent pas, au point que ce sont les autres pilotes qui l'extraient de sa voiture. Il est amené à l'hôpital dans un état critique. Un prêtre lui donne l'extrême-onction. Et pourtant, il survit. "Quand ma femme m'a vu pour la première fois après l'accident, elle s'est évanouie", raconte Lauda. Le pilote autrichien y laisse ses cheveux, ses sourcils et la moitié d'une oreille - "ça rend plus facile l'usage du téléphone". Lors de chaque apparition publique, il portera une casquette. Un espace publicitaire qu'il fera fructifier.
Dans les années 70, la sécurité n'est pas la préoccupation première en F1. L'usage de la ceinture de sécurité n'est rendu obligatoire qu'en 1972. Un statisticien britannique, interrogé par la BBC (en anglais), a calculé que les pilotes avaient 0,35% de probabilité de mourir au départ de chaque course, 4,4% sur la saison, 20% s'ils courent pendant cinq ans. Chaque année ou presque dans les années 60 et 70, un pilote meurt un week-end de course. Jackie Stewart se souvient, toujours sur MSN : "En 1968, je gagne le Grand Prix du Nürburgring avec quatre minutes d'avance. Quand je sors de ma voiture, ma première réaction est de demander si on a perdu quelqu'un. La mort faisait partie de la routine."
Des voitures futuristes
Il n'y a que dans les années 70 qu'on a osé inventer une F1... à six roues (qui remporte même deux Grands Prix).
Sans oublier la voiture avec ventilateur à l'arrière chez Brabham.
Des patrons mégalomanes
Le plus pittoresque, et de loin, c'est Lord Hesketh, un millionnaire de 21 ans désœuvré qui se lance en F1 en prenant sous son aile James Hunt. Sa première décision : choisir des tenues bariolées (pour l'époque) aux couleurs de l'Union Jack. La deuxième : inscrire sur les combinaisons le nom de chacun. Ou plutôt le surnom. Il choisit "Le Patron" (en français dans le texte) pour lui, et "Superstar" pour Hunt, alors que ce dernier n'a encore rien prouvé.
Les voitures sont fabriquées dans les écuries du manoir familial, et arborent un nounours casqué à l'avant, raconte ESPN F1 (en anglais). A chaque Grand Prix se déroulant en Grande-Bretagne, il invite son équipe, les habitués du circuit et des jeunes femmes peu farouches dans son château à la campagne. Ou sur un yacht, à Monaco, pendant... quatre jours. Et le pire, c'est que ça marche : la Hesketh se mêle à la course au championnat du monde 1975 avec Hunt au volant. Une fois ce dernier parti chez McLaren, les résultats périclitent, entraînant les finances de l'équipe dans leur chute. Pas Hesketh, nommé à la Chambre des Lords et éphémère ministre sous John Major.
Cette époque est révolue. La sécurité est devenue le maître mot de circuits où l'on ne se dépasse plus guère. La F1 est devenue un business avec des centaines de millions d'euros en jeu. Les pilotes rock'n'roll sont rentrés dans le rang. Le mot de la fin pour Jackie Stewart : "Dans les années 60-70, tous les pilotes prenaient le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner ensemble. Aujourd'hui, c'est à peine si deux pilotes de la même équipe se parlent, sauf peut-être pour les briefings."
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