Rondeau, petit budget, grande victoire
Comme l'ont appris à leurs dépens Yves Courage en 1995 ou Henri Pescarolo en 2005, les occasions de gagner Le Mans ne se présentent qu'une fois. Pas si loin de l'exploit en 1979, Jean Rondeau disposait lui d'une deuxième chance en 1980. Malgré l'excellente fiabilité de ses autos, le Sarthois sait qu'il n'y arrivera pas sans faire des essais préalables à la course. Les vibrations du Cosworth sont telles que toute la mécanique est en souffrance. Grâce au soutien précieux de Le Point et ITT (merci Marjorie Brosse), l'équipe peut enfin réaliser des essais grandeur nature en février au Paul Ricard. Ils s'avèreront décisif. Face à Rondeau, les rivaux ne manquent pas, même sans représentation officielle de grands constructeurs. Bien entendu, le danger vient de l'armada Porsche. Toutefois, une seule est présente dans le Groupe 6 et semble capable de s'imposer. C'est la 908-80 de Ickx-Joest, identique à la 936-77/78 qui a hissé haut les couleurs de Stuttgart en 77. Comme prévu, la course va être âprement disputée avec 29 changements de leader ! Très présente en 1979, la pluie est aussi de la partie. Et pas qu'un peu. Plus violente, plus imprévisible, elle noiera beaucoup d'espoirs. Jean Rondeau lui-même en fera les frais sur les coups de 13h00. Parti en aquaplanning dans la courbe Dunlop, le Sarthois évita de peu la collision avec sa dauphine, la Porsche conduite par Joest. Rondeau frôlait la catastrophe après une course sage qui l'avait conduit à prendre le commandement au petit matin. Depuis le départ, les Porsche 935 et les BMW M1 avait tenu le haut du pavé. Mais le retour du soleil replaçait les groupe 6 en tête. La plus rapide des Rondeau (la N.15 de Pescarolo et Ragnotti avait réussi la pole) accédait au pouvoir après 6 heures de course mais son moteur rendait l'âme à minuit, joint de culasse cassé. Revenu en 2e position avant cet abandon, Rondeau prenait une claque. Déçu pour ses pilotes, il prenait de plein fouet la pression. "Quand j'ai vu que le poids de notre résultat au Mans reposait sur nos épaules, à Jean-Pierre et à moi, je me suis dit -bon, ben ça devient sérieux-", avoua-t-il.
La grinta du duo Ickx-Joest faisait merveille. La N.9 recolla et tenta l'échappée. Rondeau et Jaussaud répliquaient avec des tours entre 3'45 et 3'50. Epoustouflant pour un pilote qui ne court qu'un fois l'année ! Entre la Porsche et la Rondeau, le mano-à-mano durait toute la nuit. Poussée dans ses retranchements, la 936 grinçait des dents. Vers 10h00 du matin, un pignon de boîte de vitesse coûtait 27 minutes à la voiture allemande. Pour la première fois, le succès était en vue. David allait terrasser Goliath. Dans le ciel, les gros nuages accompagnaient cette symphonie victorieuse. Ils finissaient par éclater, envoyant Rondeau dans le rail à la Dunlop. Par chance, le contact était léger. Collé au rail, le Sarthois n'est plus étanche. Sa vie de pilote défile pendant que de précieuses secondes s'écoulent. La réalité le rattrapait au galop, sa M 379 refusant de redémarrer. Récalcitrant depuis quelques heures (les mécaniciens devaient l'asperger d'eau pour qu'il remplisse son rôle), le démarreur s'amuse avec les nerfs de Jean Rondeau. Après avoir frôlé l'accident avec la Porsche de Joest, le V8 daigne enfin reprendre du service. Quelle est douce la voix rauque du Cosworth ! Exténué par la fatigue et la pression, Jean n'est plus dans le tempo. Son stand décide de l'arrêter. A son retour dans le box, il s'évanouissait. "J'ai craqué, raconta Rondeau par la suite. J'ai craqué nerveusement ou physiquement, ou les deux à la fois. J'étais complètement lessivé. Je n'y arrivais plus, je n'étais plus chez moi." Rondeau qui ne vibrait que pour ces "24 heures de vraie vie par an" était servi.
Toujours dans le coup, Jaussaud conduirait les deux derniers relais. Vainqueur avec Renault en 1978, "papy" Jaussaud (44 ans en 1980) répondait présent. Sous la pluie revenue une dernière fois embêter les acteurs de cette 48e édition, le Normand partait à son tour en tête à queue dans la nouvelle portion. L'expérience sauvait Jaussaud. Pas de dégât. Pas de voiture calée. "Nous étions vraiment les élus du ciel", confiait le double vainqueur, deux fois plus lessivé à l'arrivée qu'en 1978 mais tout aussi heureux. 16 heures retentissait enfin. Le pari était gagné ! Rondeau reconnaissait les talents de son binôme : "Il a fait pour nous un boulot extraordinaire. Il a été rapide, il a conduit longtemps, il a parfaitement ménagé la voiture." Les honneurs et la gloire, ils reviennent pourtant à un seul homme : Jean Rondeau. Premier et seul artisan-pilote à avoir inscrit son nom au palmarès, le Sarthois a écrit l'une des plus belles pages de l'épreuve. Avec son équipe d'une dizaine de fidèles, Rondeau a tout simplement renversé une montagne. La plus haute. La plus inaccessible. La plus belle.
Hommage à Rondeau
30 ans après, l'Automobile Club de l'Ouest et l'association "L'épopée Inaltéra-Rondeau" ont décidé de rendre hommage à Jean Rondeau, disparu tragiquement le 27 décembre 1985. Une exposition aura lieu le vendredi 11 juin à Mulsanne avec plusieurs prototypes Rondeau (trois Inaltéra, deux M379, quatre M382 et une M482). Ces autos feront trois tours sur le grand circuit samedi. Pour l'occasion, d'anciens mécaniciens et pilotes feront le voyage jusque dans la Sarthe.
Par ailleurs, un ouvrage de notre confrère Michel Bonté, "Rondeau, une histoire d'hommes", vient de paraître aux Editions Le Mans Racing (29,90 ). Il retrace de façon approfondie le parcours de Jean Rondeau.
Les citations de cet article sont issues du livre "Rondeau, victoireau Mans !" d'Eric Bhat et Christian Courtel aux Editions SIPE (tirage épuisé)
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