Les quatre vies de la 908
2005-2006 : La génèse
Que de chemin parcouru entre le 15 avril 2007 à Monza et sa dernière à Zhuhaï ce 7 novembre 2010. Mais avant de briguer les lauriers, il a fallu faire des simulations, des choix, des essais. Un long processus obligatoire. Avenue de la Grande Armée, on voit les choses autrement. Le WRC mis au placard en 2006, comment ne pas couper les ponts avec la haute technologie et la compétition ? Accélérer le timing du projet 908. "La 908 a été conçue en un temps très court, révèle Bruno Famin, le Directeur Technique de Peugeot Sport. Elle devait initialement effectuer ses premières 24 Heures du Mans en juin 2008 mais la Direction Générale a décidé que ce projet devait finalement débuter en juin 2007. Il a donc fallu compacter toutes les phases de conception de la voiture. Ce ne fut pas un exercice simple car nous partions d'une feuille totalement blanche tant sur le projet de la voiture que sur celui de l'équipe à composer. Les premières décisions structurantes ont été prises à l'automne 2005 (choix architecture moteur et voiture). Nous avons travaillé sur un monocylindre pour la partie moteur, sur une maquette en bois échelle 1 sur une maquette de soufflerie afin d'optimiser chaque phase. Le 30 septembre 2006 à 2 heures du matin, nous avons démarré le V12 HDi FAP pour la première fois au banc à Vélizy, c'était l'un des très grands moments de la genèse de la 908. L'assemblage a débuté le 11 décembre 2006 et le premier démarrage de la voiture complète sur chandelles le 22 décembre pour un premier roulage le 31 décembre. Ce fut un énorme challenge relevé !" Même balbutiante, la LMP1 de Peugeot était prête à plonger dans grand bain de l'endurance.
2007 : Entre deux eaux
Bruno Famin l'a révélé, sa 908 n'est pas prête pour gagner Le Mans en si peu de temps. L'objectif réel a beau être une victoire aux 24 Heures en 2008, la Lionne se pique au jeu de la compétition. Elle se fait les crocs en limant le bitume des Le Mans Series et sur le billard sarthois. Mais les dents sont sur pivot car rares seront les courses où toutes les 908 verront le drapeau à damiers. Beaucoup de casse au niveau de l'embrayage ou des arbres de roues. La puissance du couple a ses avantages et ses défauts. Mais heureusement pour l'équipe de Michel Barge et Serge Saulnier, la 908 est bien née. A défaut de fiabilité, elle se montre d'emblée extrêmement rapide. En LMS (6 victoires en six courses), cela suffit à dompter la faible concurrence. Au Mans, c'est autre chose. Pour s'y être frotté avec succès au début des années 90, Peugeot sait combien il est difficile de s'imposer dès sa première course. Malgré les excellents chronos signés en qualifs (pole pour la N.8 de Sarrazin-Lamy-Bourdais en 3'26"344), le poids du mythe s'abat sur les trois voitures engagées et c'est Audi qui devient le premier constructeur à faire gagner un diesel dans la Sarthe. Peugeot sauve l'honneur en terminant 2e à dix tours de l'invincible Audi R10. Le rendez-vous est pris pour l'année prochaine.
2008 : Pole, impair et casse
Les milliers de kilomètres se sont accumulés pour le 12 cylindres sochalien. L'apprentissage est terminé. Peugeot est prêt à se battre avec l'ogre d'Ingolstadt. L'endurance renaît de ses cendres et se prépare à de belles années. Audi, taulier de l'endurance accepte l'invitation de son rival à le rejoindre en LMS. Les deux constructeurs se battront comme des chiffonniers jusqu'au dernier virage de Silverstone, théâtre de la conclusion de la saison. L'expérience des troupes du Dr Ullrich a raison de la fougue des Peugeot Boys. C'est la soupe à la grimace dans les stands tricolores mais rien en comparaison du fiasco manceau. Cinq mois plus tôt, le team a connu sa plus grosse désillusion depuis son retour à la compétition. En trustant les trois meilleurs temps des qualifications avec notamment la pole canon de Stéphane Sarrazin, moyenne sur un tour la plus rapide de l'histoire du Mans (3'18"513 à 247,160 km/h de moyenne), Peugeot avait annoncé la couleur. Un gouffre sépare même les 908 des vieillissantes Audi R10 : 5-6 secondes en qualif, 2-3 secondes en course. Dès le départ, les Lionnes s'envolent. Malgré quelques incidents mineurs, elles resteront en tête jusqu'aux dernières heures de la nuit. Mais l'arrivée de la pluie chamboule le tableau de marche. La belle mécanique des 908 s'enraye et se grippe. Vaillantes et véloces sur piste mouillée, les Allemandes prennent le pouvoir. Elles ne le lâcheront plus jusqu'à l'arrivée. "Ce fut une bagarre exceptionnellement intéressante et une course superbe, passionnante, expliquait Bruno Famin après la course. Rien ne remplace la course, en particulier ici sur le circuit du Mans. Nous manquions d'expérience." Deux années plus tard, cet échec demeure la plus grosse déception du directeur technique de Peugeot Sport, surtout au regard de son incroyable niveau de performance. Il laissera des traces dans l'état-major du team...
2009 : Freiner plus pour gagner plus
Crise financière oblige, il faut se serrer la ceinture. Les Japonais se sont fait Hara-kiri en F1 et en WRC. En endurance, les coûts sont peut-être moins élevés mais les fins de mois tout aussi difficiles. Peugeot n'y échappe pas et boucle un budget minimum pour ne disputer que quatre courses dans la saison (Sebring, Spa, Le Mans et Road Atlanta). L'échec du Mans 2008 a provoqué la chute de Michel Barge et Serge Saulnier. Peugeot change son fusil d'épaule et intronise Olivier Quesnel qui débarque avec sa double casquette de patron de Citroën Sport (WRC) et Peugeot Sport. Le nouveau patron apporte la culture de la gagne des "Rouges", serre quelques boulons, confie une auto à Pescarolo Sport et croise les doigts. Dimanche 14 juin 2009. 16h00. Peugeot respire. Le trio Alexander Wurz, Marc Gené et David Brabham a enfin trouvé le Graal manceau au terme d'une course parfaitement maîtrisé et d'une semaine de polémique (Peugeot avait porté plainte pour non conformité de l'Audi R15). C'est même un doublé pour Peugeot, avec la 908 N.9 des "guerriers", devant la N.8 partie en pole position samedi à 15h00, celle des "sprinteurs" Bourdais-Montagny-Sarrazin, selon les surnoms donnés par Olivier Quesnel. Après trois années d'efforts, l'équipe touche une juste récompense. La 908 accède elle au panthéon de la classique mancelle. "C'est vrai que le team avait échoué l'année dernière et l'équipe avait été largement décriée, racontait un Quesnel aux anges après l'arrivée. C'était un énorme challenge, on l'a relevé. Pour le groupe Peugeot, il y aura une très grande fierté. Par ces temps difficiles, cela ne peut que faire du bien." Sur sa lancée, le team français s'impose une première fois au Petit Le Mans en septembre, faisant oublier la déception des dernières 12 Heures de Sebring où Audi avait imposé sa nouvelle R15.
2010 : Une ombre au tableau
Pour sa dernière saison programmée avant le lancement de la mystérieuse 90X, la 908 entame une tournée d'adieu victorieuse avec les 12 Heures de Sebring (sans Audi). En quatre ans, et malgré plusieurs restrictions de l'ACO, le proto français n'a pas pris une ride et s'avère toujours aussi rapide. Dans son jardin de Spa, Bourdais accroche enfin une victoire avec Peugeot. Tout est prêt pour l'apothéose mancelle. Elle démarre sous les meilleures auspices puisque quatre 908 (trois officielles + 1 Oreca) trustent les deux premières grilles de la ligne de départ. Avec sa R15 plus, Audi a revu sa copie mais semble inférieur aux protos français. Le début de course donne raison aux chronos des essais. Mais un mal profond affecte tour à tour les 908. Trois moteurs cassent et clouent les voitures sur place. Les rideaux se baissent pendant qu'Audi décroche un triplé aussi flamboyant qu'inespéré. Au passage, la R15 s'offre le mythique record à la distance établi par la Porsche 917 en 1971 (5 335, 313 km parcourus). Peugeot décrète le blackout total jusqu'à investigation. "Nous avons très rapidement eu la confirmation que les trois avaient souffert du même problème : une bielle cassée, mais sur des cylindres différents, a révélé Bruno Famin. Des investigations approfondies viennent de mettre en lumière que les conditions particulièrement sévères rencontrées au Mans cette année ont généré une surcharge fatale de notre V12. Après trois participations au Mans, nous pensions avoir un cahier des charges pertinent. La preuve est faite que ce nétait pas le cas et que même avec une expérience croissante, il est difficile de tout maîtriser. Les conditions rencontrées lors des 24 Heures du Mans changent tous les ans et les contraintes mécaniques avec. Il est clair que nous devons renforcer notre processus de validation." Pour ces "avions de chasse" sur circuit, la descente est brutale. L'air vient à manquer. Il revient sous la forme d'un nouveau et dernier défi : l'Intercontinental Le Mans Cup. Trois épreuves sont au programme (Silverstone, Petit Le Mans et Zhuhaï). Elles se soldent par trois brillants succès devant l'ennemi intime. En quatre saisons, la 908 s'est imposée sur tous les terrains aux quatre coins de la planète. Seul bémol cette unique victoire aux 24 Heures du Mans 2009 alors que trois trophées lui tendaient les bras. "Elle a marqué l'Histoire en établissant des nouveaux records et en étant une référence, a reconnu, un pincement au coeur, celui qui la connaissait le mieux, Stéphane Sarrazin, sur le site endurance-info.com. Audi, malgré trois voitures différentes R10, R15 et R15 plus n'a pu être au même niveau de performance pure. Peugeot a construit une auto fantastique et a su la faire évoluer durant quatre ans malgré les changements de règlement."
Pescarolo et Oreca : Deux privés dans la course
Muscler son jeu pour mater Audi , cela revient à augmenter l'effectif des 908 d'une unité. L'idée d'Olivier Quesnel est simple, en confiant une voiture à un team privé, cela offre une possibilité supplémentaire de gagner et ajoute de la pression dans le camp adverse. Au Mans, l'expérience s'appelle Henri Pescarolo (33 participations en tant que pilote et 8 en tant que team manager). Avant le retour du Lion, son équipe avait tenu la dragée haute aux clients Audi et avait déjà noué un partenariat avec le constructeur sochalien (un moteur Peugeot équipait les voitures de Pescarolo Sport de 2001 à 2003). En 2009, c'est le choix du coeur en quelque sorte. Malheureusement, après un contact dans les stands après le départ avec une 908 officielle, la lionne verte terminera sa course dans un mur de pneus au milieu de la nuit mancelle. Voiture détruite et espoirs envolés. En 2010, c'est Oreca qui investit sur une 908 privée. Malgré une étroite collaboration avec Peugeot Sport qui se poursuivra l'an prochain, les résultats ne sont pas à la hauteur. Moteur cassé au Mans et abandons en cascade en LMS. Dur d'être un client.
Les statistiques de la 908 HDi FAP
28 courses (Monza 2007-Zhuhaï 2010)
24 pole positions
19 victoires
9 doublés
25 meilleurs tours en course
2007 : 7 courses, 7 pole positions, 6 victoires, 2 doublés, 6 meilleurs tours en course
2008 : 8 courses, 7 pole positions, 4 victoires, 1 doublé, 8 meilleurs tours en course
2009 : 4 courses, 3 pole positions, 2 doublés, 3 meilleurs tours en course
2010 : 9 courses, 7 pole positions, 6 victoires, 4 doublés, 8 meilleurs tours en course
Victoires à Le Mans, Monza, Valencia, Nüburgring, Spa, Silverstone, Portimao, Interlagos, Sebring, Road Atlanta, Zhuhai
Titres :
Le Mans Series 2007, 2010
Intercontinental Le Mans Cup 2010
Les caractéristiques techniques de la Peugeot 908 HDi FAP
Catégorie: Le Mans Prototype (LMP1)
Châssis: monocoque en fibre de carbone
Moteur: V12 diesel bi-turbo
Cylindrée: 5,5 litres
Puissance supposée: +700 CV
Couple: +1200 Newtons/mètre (Nm)
Injection: directe à rampe commune HDi
Capacité du réservoir: 81 litres
Carrosserie: fermée en carbone
Poids total: 930 kg
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