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F1 : anticipation, scénarios, undercut… Plongée dans les secrets de la stratégie avec Cyril Abiteboul, l’ancien patron de l’écurie Renault

Dans le monde feutré et mystérieux de la F1, la stratégie fait partie des secteurs les plus déterminants.

Article rédigé par Xavier Richard, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Cyril Abiteboul durant les essais de présaison de Formule 1, à Barcelone, en février 2020, lorsqu'il dirigeait l'écurie Renault. (DPPI / AFP)

"On se souvient des stratégies glorieuses, beaucoup moins des foireuses." Il en est une qui est restée dans la mémoire de Cyril Abiteboul quand il dirigeait Renault F1. Imola 2020. Au 51e des 63 tours du Grand Prix d’Emilie-Romagne, Valtteri Bottas éclate un pneu et provoque l’entrée de la voiture de sécurité. A la différence des autres pilotes, Daniel Ricciardo reste en piste avec ses pneus durs et remonte au 3e rang. La course reprend à cinq tours du drapeau à damier. Malgré ses pneus usés, l’Australien résiste et monte sur le podium. L’écurie française exulte : sa stratégie audacieuse lui offre son deuxième podium de la saison, le deuxième pour Renault depuis 2011.

Fruit d’une réflexion intense, d’une collection de données et d’une solide expérience, la stratégie est indissociable de la Formule 1. Elle se décide à l’abri des regards dans le plus grand des secrets. Red Bull est passé maître en la matière après des années à courir derrière les insolentes Mercedes. "Cette écurie a eu un avantage fort dans ce secteur", indique Cyril Abiteboul. "Quand on a tout à perdre ou tout à gagner, la capacité à prendre des risques est complètement différente. La position de Red Bull leur a permis d’être audacieux face à une équipe qui était très dominatrice." C’est tout le sel d’un sport où rien n’est jamais écrit à l’avance.

Saisons passées, essais libres... Quel poids sur les choix de course ?

La F1 est un roman d’anticipation. La réussite d’un dimanche prend sa source bien avant l’extinction des feux. "Il y a des décisions à prendre plusieurs semaines auparavant sur le choix des pneumatiques", explique Cyril Abiteboul. En arrivant sur un circuit, une écurie a déjà une multitude de données et de scénarios en poche, grâce aux acquisitions des éditions précédentes et au travail sur simulateur. "On se projette sur le tracé, la compétitivité de la voiture, ce qu’on connaît des gommes, de l’abrasivité du tarmac, notre position éventuelle sur la grille. Ces données sont accumulées d’une année sur l’autre. Une écurie, c’est un énorme capital intellectuel. Il faut être capable de capitaliser sur les années précédentes, sur ce qu’on a appris, afin de déterminer quel niveau de risque on veut prendre."

Cyril Abiteboul au Grand Prix de Monza, le 1er septembre 2017.  (JEAN MICHEL LE MEUR / JEAN MICHEL LE MEUR;DPPI MEDIA)

Tous ces éléments sont synthétisés et présentés lors d’une réunion à J-7 de la course où figurent les équipes d’ingénierie moteur, châssis, aérodynamique, fiabilité et stratégie de course. On y projette les différents scénarios et on rappelle l'historique de ce Grand Prix : "Ce sont des points de vigilance qui s’appuient sur des données statistiques importantes : les probabilités de pluie, les probabilités de safety car, les probabilités d’incident dans le premier tour..." Vient alors le temps du roulage en piste lors des essais libres. Là encore, les données récoltées se révèlent capitales. "Ce n’est pas forcément visible pour le grand public", glisse Cyril Abiteboul. "Ces séances ont trois objectifs : régler la balance aérodynamique et optimiser la voiture, préparer le pilote notamment sur son exercice de qualification, accumuler des données lors des longs runs pour permettre à l’équipe stratégie d’affiner tous les modèles et simuler les scénarios de course."

Plan A, changement de tactique... Comment s’établit la stratégie ?

Grâce à tout ce travail, la boîte à datas est bien pleine. Il n’y a plus qu’à en extraire la bonne tactique de course. Celle-ci émerge à l’issue des qualifications. "C’est le point culminant dans l’élaboration de la stratégie", tranche Cyril Abiteboul, même si "elle est souvent entérinée de manière définitive le dimanche matin." Comment en arrive-t-on à un plan A et aux options de substitution ? Pour mieux comprendre, il faut distinguer les scénarios déterministes et probabilistes. "Dans les premiers, vous faites la course tout seul, sans aucune autre voiture. Vous démarrez avec les caractéristiques de votre voiture, votre allocation de pneus, les données météo et vous déterminez quelle sera la course la plus rapide."

Ce scénario idéal sans concurrence n’a de sens que s’il est confronté aux "interférences" que vont produire les autres voitures. "On fait tourner des dizaines de milliers de cas, de scénarios liés aux 'what-list'. Que se passe-t-il s’il y a un crash, si telle voiture s’arrête au tour 5, si elle ne s’arrête pas... " Tous les incidents créent des simulations, dites probabilistes, qui vont permettre à l’écurie d’adopter la meilleure stratégie et prendre plus facilement une décision pendant la course. "On ne retient que quelques scénarios à la fin, puis un seul pour le début de course avec des scénarios de back-up sur lesquels on peut se rabattre en fonction d’évènements de course identifiés. Ça peut être des safety car, une dégradation plus ou moins rapide des pneumatiques, de la pluie..."

Entre stratège et pilote, qui prend la décision en course ?

Chaque écurie dispose de son équipe de stratégie course. C’est elle qui décide du plan et de ses ramifications avant le départ, et en course. "Si on doit évoluer dans la stratégie vers un autre scénario qui a été anticipé, la décision est la responsabilité du groupe stratégie à 90 %", précise Cyril Abiteboul. Chez Alpine, elle est du ressort de Matthieu Dubois et son équipe. Recruté du temps de Renault F1, il est aujourd’hui arrivé à maturité. "On a capitalisé sur lui", explique Cyril Abiteboul. "Il y a une courbe d’apprentissage très importante." Ces hommes clés sont très recherchés et ne bougent plus une fois en poste comme c’est le cas chez Mercedes ou Red Bull.

Leur expertise s’avère précieuse mais quand un scénario imprévu arrive, la décision peut remonter jusqu’au sommet de la pyramide. "Il faut être capable d’interagir entre les différentes composantes de l’équipe pour prendre une décision rapide. En fonction du degré de risque et d’opportunité, ça peut monter jusqu’au team principal."

"Fernando Alonso a une intelligence stratégique incroyable. Tout le monde se demande comment il peut avoir une telle perception de la course de là où il est."

Cyril Abiteboul, ancien patron de l'écurie Renault F1

à franceinfo: sport

Concentré sur sa course, le pilote intervient peu sur la stratégie. En revanche, ses informations sont capitales sur la réalisation ou non de la stratégie imaginée. "Eux seuls peuvent savoir à quel point ils économisent la voiture et les pneus pour arriver là où ils sont."

Dans son baquet, il est le mieux placé pour choisir les pneus en cas de pluie ou de piste séchante. Sa vision sur la sortie d’une voiture de sécurité est prise en compte. "Ils ont une grande compréhension de ce qui se passe autour des safety car, un paramètre extrêmement important cette année car les écarts se sont resserrés. Ça peut faire gagner 5, 10, 15 secondes. Dans un peloton très compact, ça peut faire cinq places." Mais tous n'apportent pas autant : "Tous les pilotes ne sont pas identiques et n’ont pas tous la même acuité sur la stratégie", précise Cyril Abiteboul. 

Devenu une arme tactique depuis plusieurs saisons, qu’est-ce que l’undercut ?

Dépasser un adversaire sans le doubler en piste, c’est possible. Fruit d’un choix stratégique audacieux mais calculé, l’undercut est devenu une arme redoutable. Le principe est simple : rentrer au stand un ou deux tours avant son rival et profiter de l’avantage de ses pneus neufs pour grignoter suffisamment de temps afin de rester devant lui quand il reviendra en piste après avoir changé ses pneus à son tour.

"C’est passionnant de voir qui va être suffisamment courageux pour plonger le premier dans les stands. C’est un moment assez jouissif, un jeu intellectuel de se dire à partir de quand on peut y aller avec suffisamment de chances pour que cela fonctionne. C’est très puissant et déterministe. Mais ça marche vraiment.

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