29 septembre 1968, la naissance d'un mythe
Majestueuse mais inerte, la Matra 630M à l'arrêt dans son stand à cause d'un stupide moteur d'essuie-glace grillé. Son remplacement étant interdit et la pluie battante, Servoz-Gavin refuse de rouler au Mans dans ces conditions dantesques. Le patron de Matra maudit ces 24 Heures disputées en septembre à cause des évènements de mai 68. Il hésite puis fonce réveiller Pescarolo. Au beau milieu de la nuit, dans les mêmes conditions, le pilote au casque vert avait tourné comme une horloge. Sans trop y croire, Lagardère lui demande : "Servoz ne veut pas continuer, vous ne voudriez pas continuer par hasard ?"
Sans se poser de question, le futur quadruple vainqueur au Mans remet son casque et s'installe à bord de la 630. En route pour un énorme morceau de bravoure. "Rien ne vous y oblige", ajoute un Lagardère peu rassuré. Pescarolo n'entend déjà plus rien, absorbé qu'il est par la nuit, ses odeurs, ses vapeurs, ses angoisses. Cinq heures du matin vient à peine de résonner et le public, frigorifié et groggy, ne sait encore rien du miracle permanent, de cette forme d'inconscience, qui maintient le pilote sur la piste au mépris du danger.
"Dans un état second"
Si Pescarolo est sorti de son demi-sommeil, ce n'est pas pour faire de la figuration. Ses temps au tour (5'35" en moyenne) sont largement au dessous de ceux de l'Alfa Romeo N.39 (autour des 6') qui occupe alors la 2e place du classement derrière l'intouchable Ford GT 40. "Je trouvais ça stupide d'arrêter et je suis parti dans l'enfer, comme un abruti complet, raconte Pesca dans le livre Matra au Mans (*). Quelques tours plus tard, à la sortie de Mulsanne, j'ai vu un panneau me demandant de rentrer. Je rentre donc et Lagardère me demande si ça va. J'étais furieux qu'on m'arrête pour ça, j'ai claqué la portière et suis reparti en me disant à chaque tour que ce serait le dernier."
Les trois relais de Pescarolo, relayé par le mythique speaker du circuit Jean-Charles Laurens, établiront sa légende. Plus stressé par son avenir chez Matra que sur les dangers qu'il encourait, le pilote fût libéré par la demande de son patron. "Lagardère m'a enlevé mon frein psychologique. J'ai frôlé l'accident à chaque seconde tout en étant parfaitement décontracté, ce fut une libération totale, une sorte d'état second mais dans lequel je maîtrisais tout, sinon je ne serais pas resté sur la route. Jamais je n'ai revécu une expérience de ce niveau : c'était dantesque." Qu'importe si la 2e place récupérée dans la matinée à l'Alfa s'échappait au détour d'une crevaison destructrice, Henri Pescarolo venait de gagner ses galons de surhomme. Jean-Luc Lagardère saura s'en souvenir.
* Matra au Mans
Par François Hurel
Editions du Palmier
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