Au centre sportif du Val d'Oise, les soignants "retrouvent la paix" après la fureur
Tous les matins, Estelle Leroy se lève à 6h15. Elle prend son café, s'habille, prend sa voiture et file au travail gérer l'accueil de jeunes espoirs du sport français au CDFAS. Depuis le 14 mars, ce centre sportif est fermé aux résidents à cause du confinement. Mais la routine est la même pour Estelle : se lever à 6h15, café, voiture, accueil : "Bonjour, bienvenue au CDFAS !". Un seul changement, et pas des moindres : ce ne sont plus des sportifs qu'elle accompagne dans leur installation, mais des infirmiers, des directeurs d'Ehpad, des étudiants en médecine. Plus de baskets et joggings ; mais des blouses blanches. Beaucoup de blouses blanches. Le CDFAS s'est transformé, le temps du confinement, en base arrière des établissements de santé du Val d'Oise. Ainsi, si certains soignants viennent de province, spécifiquement pour aider les établissements du département à gérer le surplus de malades du Covid-19, ils bénéficient d'une solution d'hébergement et de restauration à proximité. "Il y a des hôpitaux, cliniques privées, ehpad, dans un rayon de 15 kilomètres autour du centre", précise Arnaud Zumaglia, directeur de l'établissement.
Cette mise à disposition par le département du Val d'Oise fait partie d'un plan plus large initié par le Ministère des Sports dès le début de la crise. L'INSEP et sept CREPS du territoire, soit les établissements de formation et d'hébergement des sportifs de haut niveau en France, sont à disposition des Agences régionales de santé (ARS) et des différentes collectivités locales en cas de besoin dans la lutte du Covid-19. Le raisonnement est simple : ces infrastructures, souvent immenses, dotées de service d'hébergement, seront entièrement vacantes pendant le confinement. Autant les mettre à profit pour le personnel soignant des établissements de santé alentour.
Le luxe de ne pas rentrer chez soi
Au CDFAS, ils sont environ une trentaine de soignants par jour à circuler dans les couloirs et à vivre dans les chambres de la résidence. Parmi eux, Dalloba, vingt ans, étudiante infirmière à l'IFSI (Institut de formation en soins infirmiers) d'Argenteuil. Normalement, elle vit avec sa famille à moins de 20 minutes de l'hôpital où se déroule, exceptionnellement, son stage. Mais elle a choisi de quitter sa famille le temps du stage, "pour ne pas les exposer". "Ma mère a plein de comorbidités : elle fait de la tension, elle est diabétique. Mon frère est asthmatique. Alors j'ai fait le choix de ne pas les exposer. Au début, ma mère ne comprenait pas du tout que j'aille vivre dans une résidence à quelques kilomètres de chez elle, surtout dans une période comme celle-ci. Elle voulait être avec moi. Mais aujourd'hui je crois qu'elle comprend mieux. Moi, ça va, je gère, je suis du genre indépendante."
Mélanie, elle, gère beaucoup moins. Elle a 24 ans, elle est aussi étudiante-infirmière, mais elle souffre de ne pas être aux côtés des siens. "Ma famille est dans le Sud. J'aurais évidemment préféré être avec eux." Mélanie loge, le temps de ses études, chez des proches à Argenteuil. Mais elle a eu la même réflexion que Dalloba. "Et s'il n'y avait pas eu le CDFAS, j'aurais payé un logement de ma poche. Je ne veux pas les exposer à ça."
"Vivre dans une résidence, ça aide à se sentir moins seul quand on rentre de l'hôpital"
Solution donc sur mesure pour ceux et celles qui souhaitent s'éloigner de leurs proches le temps de la crise. Les hébergements du sport français sont aussi, pour certains, l'occasion de retrouver, après de longues heures à "vivre avec la mort" à l'hôpital, des collègues ou des amis qui vivent la même expérience. "On est plusieurs à être à la même école d'infirmiers et à travailler de nuit", explique Mélanie. Donc quand on rentre, même si on n'est pas dans les mêmes chambres, on aime bien se retrouver. C'est sûr que par rapport à un appartement individuel, on se sent beaucoup moins seul."
Des sportifs aux soignants : un nouveau monde
Si la présence des soignants n'est que furtive - généralement, ils rentrent pour dormir puis ressortent pour aller à l'hôpital - le personnel du centre a tout de même le temps de les côtoyer un minimum. Et de percevoir certaines choses. "On voit qu'ils sont très, très fatigués. Ça se voit à leur visage, ils ont les traits tirés, ils n'ont qu'une envie en arrivant ici, c'est de reprendre des forces", estime la responsable de l'accueil Estelle Leroy. Pour elle, comme pour les six autres membres du personnel volontaire, les tâches ne diffèrent pas vraiment de leurs habitudes. C'est le public qui appartient à un autre monde. "On a l'habitude de travailler avec de jeunes sportifs, adolescents souvent, ou des cadres du sport en formation, assure Estelle Leroy. Là, on côtoie ceux qui vont sauver des vies tous les jours. On est dans une autre dimension... Dans dix ans, je suis sûre que je vais repenser à ces jours en me disant que j'ai vécu quelque chose d'enrichissant, une forme de leçon de vie."
Le défi du retour des résidents sportifs
Aujourd'hui, les mesures de sécurité sanitaire sont simples à appliquer entre les quelques membres du personnel (ils sont six à se relayer) et les soignants, plus exposés au virus. Mais qu'en sera-t-il une fois que le Ministère des Sports va donner le signal pour rouvrir les infrastructures de haut niveau ? "On fera les choses de manière progressive, en collaboration avec le Département, assure Arnaud Zumaglia. Il ne faudrait surtout pas que les soignants se retrouvent du jour au lendemain sans solution de logement. La structure nous offre la possibilité de segmenter l’établissement en deux parties : un côté pour les soignants, et l’autre pour les sportifs. Il suffira de dissocier leur parcours." Et il y a fort à parier que d'ici là, Estelle sera fidèle au poste : réveil à 6h15, café, voiture, accueil des résidents sportifs. Et des soignants.
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