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Tout est-il vraiment pourri au royaume de l'athlétisme ?

La Russie et le Kenya collectionnent les médailles et les titres mondiaux, mais aussi les scandales de corruption et de dopage. Faut-il pour autant crier "tous pourris" ? Eléments de réponse.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Les athlètes russes Maria Savinova et Ekaterina Poistogova fêtent leurs médailles olympiques sur 800 m à Londres (Royaume-Uni), le 11 août 2012. (FRANCK FIFE / AFP)

Depuis trois semaines, l'athlétisme vit au rythme quotidien des scandales de corruption et de dopage. Lundi 30 novembre, trois dirigeants de la fédération kenyane ont été suspendus pour avoir détourné de l'argent de sponsors. Une affaire de plus après la suspension de la Russie, les forts soupçons sur le Kenya et la statistique effrayante affirmant qu'entre 2001 et 2012, un tiers des médailles a été attribué à des athlètes dopés. Faut-il pour autant tomber dans la paranoïa et crier "tous pourris" à ceux qui transpirent sur la piste ? 

Le rapport de la commission indépendante de l'Agence mondiale antidopage pointe du doigt la Russie (avec des anecdotes rocambolesques qui semblent tirées d'un roman d'espionnage de John le Carré). La chaîne allemande ARD épingle aussi le Kenya. Deux pays qui trustent les podiums dans les épreuves de demi-fond et d'endurance.

La Russie, le Kenya et les autres

Et c'est tout ? D'autres pays soupçonnés de dopage généralisé de leurs athlètes sont à peine évoqués dans le rapport.  Le patron de l'athlétisme britannique Ed Warner livre un indice, dans une interview à la BBC : "Je pense qu'il y a quatre, cinq ou six pays où il y a un problème." Même son de cloche chez son homologue australien, interrogé par The Roar (en anglais) : "Je serai vraiment surpris que la Russie soit la seule concernée." 

Les statistiques des violations du code mondial antidopage (détention de produits, absence lors de plusieurs contrôles, fausses ordonnances, etc.) pour l'année 2013 donnent une idée des autres pays potentiellement concernés : 

"Je savais que je courais contre des robots"

Le plus dur à restaurer sera la crédibilité des compétitions. "Le public va généraliser et croire que tous les sports sont pourris, a reconnu Dick Pound, un des auteurs de l'étude au cœur du scandale, dans le Guardian (en anglais). Si vous ne pouvez plus croire les résultats, il y a un sérieux problème de crédibilité."

Depuis les révélations fracassantes de l'Agence mondiale antidopage (AMA), début novembre, des témoignages d'athlètes floués ont fleuri un peu partout. "Je savais que je courais contre des robots", s'est lamentée la coureuse de 800 m Alysia Montaño dans le Washington Post (en anglais). L'Américaine a échoué à la cinquième place aux JO de Londres en 2012. Elle a ainsi publié sur Twitter le palmarès qu'elle aurait dû avoir :

Faut-il écrire alors, comme le décathlonien néo-zélandais Nick Willis, que l'athlétisme est devenu "une vaste blague" ? Cela dépend des disciplines, à en croire le Sunday Times (en anglais), qui avait donné des chiffres en août dernier. Il y a un gouffre entre les 54% de médaillés suspects sur les podiums des 1 500 m masculin et féminin, et les 11% des épreuves de décathlon.

La championne américaine du 400 m DeeDee Trotter a déjà rencontré le problème... dans un avion, en 2006. Elle raconte la scène au magazine du Smithsonian Museum : "Un rang devant moi, un type lisait le journal et commentait, pour son voisin : 'Ils sont tous chargés'. Je suis intervenue : 'Excusez-moi, mais c'est faux ! Je suis une athlète professionnelle et je ne suis pas dopée. Je ne l'ai même jamais envisagé.'" Elle a lancé la fondation Test Me I'm Clean ("contrôlez-moi, je suis propre"). DeeDee Trotter a remporté trois médailles olympiques entre 2004 et 2012 sans faillir aux contrôles antidopage. 

Des dopés à la marge ou "la partie émergée de l'iceberg" ?

Pour appuyer la sprinteuse américaine, le nombre de médaillés avec des produits suspects dans le sang en athlétisme semble en légère diminution, toujours d'après les chiffres du Sunday Times

Et l'amoureux d'athlétisme doit garder en tête que pour un athlète russe pris en flagrant délit, une écrasante majorité court à l'eau claire. "Nous estimons que seuls 4,2% des athlètes se dopent, la moitié involontairement", nuance Herman Ram, le patron de l'antidopage aux Pays-Bas, cité par The Sport Integrity Initiative.

Reste que les révélations du Sunday Times, de l'ARD et de l'Agence mondiale antidopage ne concernent que le dopage sanguin dans le demi-fond et le fond, et ciblent spécifiquement la Russie et le Kenya. Des soupçons existent aussi en sprint et dans les épreuves de force, où le dopage se fait aux hormones et aux micro-doses d'anabolisants... là où la Russie a décroché 11 de ses 18 médailles olympiques à Londres (Royaume-Uni). L'AMA a eu beau préciser qu'aucun soupçon ne pèse sur les épaules de la superstar Usain Bolt, "ce n'est que la partie émergée de l'iceberg", a reconnu Dick Pound.

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