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Le plaisir de courir avec la Jamaïque

Quand il s'agit de sprint, la Jamaïque fait régner sa loi. Et depuis cinq ans, depuis les JO de Pékin, cela est devenu une évidence, comme les résultats encore obtenus lors de ces Mondiaux l’ont confirmé. Mais pourquoi la Jamaïque domine-t-elle à ce point ? Shelly-Ann Fraser, très impliquée dans la transmission du savoir, donne quelques éléments de réponse. Car pour celle qui vient encore de triompher sur 100 m et 200 m, transmettre c’est aussi enseigner un apprentissage qui certes, peut conduire à la gloire, mais qui demande du travail, de l’investissement, un attachement viscéral à l’histoire du sprint en Jamaïque et surtout, ingrédient essentiel, le plaisir de courir.
Article rédigé par Christian Grégoire
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
 

Fraser: "En Jamaïque, nous mangeons et dormons sprint"

Depuis quelques années les Jamaïcains se sont émancipés du grand frère américain. Pendant longtemps, les athlètes qui avaient du potentiel, souvent issus de milieux pauvres, bénéficiaient de bourse pour rejoindre les universités américaines et beaucoup dans l’histoire ont ensuite couru sous la bannière des USA. Ils se sont aperçus que les méthodes américaines, usantes et tournées vers l’excellence, n’étaient pas pour eux. En restant et en s’entraînant sur leur île, ils gagnent en sérénité et en fraîcheur. Et ils expriment justement ce plaisir de courir.

Ce qu’exprime autrement Shelly-Ann Fraser: « en Jamaïque, nous mangeons et nous dormons sprint». Elle explique qu’à « chaque début de printemps, à Kingston, s’affrontent toutes les écoles du pays. Plus de 2.500 jeunes s'y défient pendant quatre jours devant une foule de spectateurs estimée quotidiennement à 20-30 000 spectateurs. Manifestation unique en son genre. Tous les samedis matins, les écoliers, par centaines, ont pris l'habitude de se réunir pour des entraînements collectifs et il est notoire de constater qu'ils portent tous des pointes, même à leur plus jeune âge. Devoir courir vite fait partie de leur ordinaire ». résume Shelly-Ann Fraser.

Rester sur l’île

Tous petits, les enfants courent et aiment cela. A 6 ans, ils se lancent dans des relais. « ils aiment la vitesse. Ils sont la vitesse » précise Shelly-Ann Fraser. Même si la discipline laisse à désirer « les enfants pensant davantage à courir pour s’amuser », ils se prennent pour leurs idoles, Bolt, Powell et bien sur Shelly-Ann, qui vient très souvent dans ces écoles, invitée à venir rencontrer les enfants. Comme tous les sprinteurs du pays, elle fait partie des héros pour les enfants de Jamaïque.

«Je suis toujours tout sourire quand je les vois, car ils sont spontanés. Ils m’interpelle Shelly-Ann ! Et je les salue. Et ils font du bruit par leurs acclamations. Et ça me fait chaud au cœur. Je sais qui ils sont. Moi aussi, je viens de leur monde. Ma mère m’élevait seule. Elle était vendeuse de rue. Et j’ai beaucoup tergiversé avant de vraiment prendre l’athlétisme au sérieux à 21 ans, après plusieurs années d’entraînements poussés ».

"Quand je suis arrivée au centre UTech, tout le monde disait que j'étais trop petite et je ne devais pas penser à courir vite, que cela allait me prendre un certain temps ». dit Fraser-Pryce. «Je n’avais pas c’est vrai une bonne posture. Mon exécution n’était pas performante. Comme tous les enfants, je ne savais pas qu’il ne suffisait pas de courir, mais qu’il fallait aussi de la technique,. Mes entraîneurs ont vu tout cela et il m’a fallu un an pour acquérir les bases ».

« Mon entraîneur  Stephen Francis, n’est pas très bavard. Il est absorbé par son chronomètre. Et quand il s’exprime, c’est à travers son mégaphone pour donner ses instructions. Avec une succession de coureurs et de sprints.»  Pour Shelly-Ann, il n’y a pas de secret. L’envie et le travail vont de pair. « J’ai suivi ce rythme de travail acharné durant sept ans ». C’est ce qui a permis au principal club de Kingston de se constituer une belle collection de talents. Rester en Jamaïque est un atout : "L'atmosphère, le climat, tout est parfait. "Famille, amis, tous sont ci. Je m'entraîne à l'aise en Jamaïque."

L’effet Johnson

Le changement qui a permis aux sprinters de classe mondiale à rester réellement en Jamaïque est arrivé, en grande partie, grâce à  Dennis Johnson, le roi philosophe du sprint jamaïcain. Johnson, cependant, ne prétend pas à l'originalité de ses idées. Il était un sprinter de classe mondiale en Californie dans les années 1960 et est rentré en Jamaïque avec de la sagesse : « on peut rivaliser beaucoup mieux si l’on est détendu ». Il a alors développé une méthodologie et des exercices, et il a effectivement révolutionné les choses. 

Johnson estimait que les gens ont une fausse idée de la vitesse. Il prétendait qu'un sprinter détendu maintient la vitesse, alors que le sprinter stressé, qui se concentre trop, peut se fatiguer rapidement ou céder sur la fin. Et tandis que pour beaucoup, plus de coaching, plus de motivation, plus de travail très dur sont mis en avant pour obtenir des résultats, à Kingston on évoque « la philosophie Johnson ».  Mais aussi, précise Shelly-Ann « des habitudes alimentaires. Des glucides ». Et puis l’on parle aussi, dans le milieu de l’athlétisme de prédispositions physiologiques, notamment « une capacité à lever le genou, ce que l’on apprend jeune, lever le genou et étendre la jambe pour accentuer la foulée ». Mais au-delà de ces prédispositions, beaucoup de scientifiques ont balayé la notion de génétique du sprint.

Fraser: "Nous travaillons différemment"

« Nous ne travaillons pas mieux que les autres, nous travaillons différemment. Pour éclairer toutes les explications sur la réussite de la Jamaïque en sprint, rien n’est plus parlant que cette scène de jeunes enfants au Stade National. Peut-être que les Jamaïcains sont les meilleurs sprinters du monde, parce qu'ils veulent vraiment l'être ».

Peut-être aussi est-ce que, pour eux, courir n’est pas une astreinte mais un plaisir et qu’ils apprennent de leurs échecs autant qu’ils célèbrent leurs succès. Tout cela reste une fête. Comme Shelly-Ann qui veut faire aimer le sprint, l’icône Usain Bolt aussi l’a parfaitement compris : courir peut aussi être un spectacle.

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