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Doha, des Mondiaux perdant-perdant

EDITO. Après plusieurs années de scepticisme fort justifié, Doha va accueillir ses Mondiaux d'athlétisme à partir de vendredi. On y annonce des chaleurs excessives, des tribunes vides et de possibles annulations d'épreuves. En trame de fond, l'enquête judiciaire sur l'attribution de l'événement et le spectre de l'affaire Semenya... Sympa l'ambiance.
Article rédigé par Andréa La Perna
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5min
 

Avoir gagné le droit de participer aux championnats du monde n'est apparemment plus une garantie. Ce lundi, la Fédération Internationale d'Athlétisme a prévenu que des épreuves avaient une chance d'être annulées : le marathon féminin et le 50 km marche (femmes et hommes). A Doha, les températures avoisinent actuellement les 45°C ressentis. Si la précaution est prise pour préserver la santé des athlètes, pas sûr que la pilule passe auprès des intéressés. D'autant que les coureurs de fond ne sauront s'ils ont fait le déplacement pour rien que deux heures avant le début de l'épreuve.

Des mois et des mois de préparation, synonymes de sacrifices physiques, familiaux et financiers, pour une petite virée à Doha ? "C'est du grand n'importe quoi", tranche Yohann Diniz. Impossible de faire autre chose que le rejoindre. Ce n'est pas comme si le Qatar n'était pas réputé pour son climat aride... Alors oui, les organisateurs avaient accepté de déplacer exceptionnellement l'événement au mois d'octobre pour éviter le plein été. Ils se sont ensuite aperçus que la mesure n'était pas suffisante. Les deux épreuves de fond ont donc été programmées à minuit (heure locale) vendredi et samedi. 

Puis à quatre jours de l'ouverture de la compétition, les 35°C attendus en nocturne ont poussé les organisateurs à prévenir les diffuseurs d'une hypothétique annulation. Peut-être espéraient-ils que cette politesse éviterait un scandale de dernière minute ? Il est en tout cas impossible d'imaginer de faire planer une seule seconde cette menace sur l'épreuve du 100 mètres. On y perdrait trop évidemment. A l'évidence, en donnant leur voix à la candidature de Doha, les 15 membres du Comité de l'IAAF avaient d'autres choses en tête que le bien-être des athlètes.

Rappelons que depuis novembre 2014, date de l'attribution de l'événement, courent doutes, suspicions et autres critiques. Une enquête du Monde est passée par là. Et le 22 mai dernier, le président de BeIn Sports Youssef Al-Obaidly a été mis en examen pour corruption active. Il lui est tout simplement reproché d'avoir acheté les Mondiaux de Doha, ou plus précisément d'avoir procédé à des virements bancaires (3,5 millions d'euros estimés) à destination du fils de Lamine Diack, ex-président de l'IAFF, homme d'influence aujourd'hui dans la tourmente. Il y a fort à parier que ces déboires judiciaires n'en soient encore qu'au stade des balbutiements.

A Doha, on remplit les stades avec des travailleurs migrants et des enfants

Ce qu'il faut retenir, c'est que le Qatar a tout fait pour accueillir les championnats du monde d'athlétisme et il semble incapable d'assurer le bon déroulement des épreuves. Mais pourquoi l'émirat y tient-il autant ? Tout simplement parce que cela correspond à sa stratégie pour exister sur la scène internationale. Comme on peut le voir avec le PSG, le Qatar n'est jamais dans une quête de rentabilité. Depuis maintenant 25 ans, les Qataris jouent la carte du soft-power et attirent un maximum d'événements sportifs pour compenser un complexe d'infériorité lié à l'insularité de leur petit pays, isolé diplomatiquement par son conflit avec l'Arabie Saoudite.

Bien plus que 3,5 millions d'euros ont a priori été mis sur la table pour convaincre la Fédération internationale d'athlétisme de programmer les Mondiaux à Doha en 2019. Cela pourrait expliquer qu'on accepte de déplacer l'événement du mois d'août au mois d'octobre, de faire courir des athlètes à minuit et qu'on ferme les yeux sur les conditions de travail des ouvriers dans les stades... Les organisateurs savaient également très bien que l'événement n'attirerait pas foule sur place. 

Lundi, The Guardian a révélé que seulement 50 000 tickets avaient été vendus pour les 10 jours de compétitions, tout juste de quoi remplir le Khalifa Stadium (40 000 places) une journée, alors qu'un billet ne coûte environ que 15€. Mais attention, les organisateurs qataris ont déjà tout prévu ! Des invitations vont être offertes à des travailleurs migrants et à des enfants. Et puis, si ça se voit encore que le stade sonne creux, on va fermer les tribunes hautes et demander aux caméras ne pas trop s'y attarder. 

Récapitulons : ne vous attendez pas à une fête populaire, mais à voir des athlètes privés de compétition. L'athlétisme et les athlètes en pâtiront. L'IAAF ajoutera un nouveau discrédit à sa collection. Quant au Qatar, la non tenue des épreuves risquent de jeter un froid. L'émirat est déjà assuré d'accueillir la prochaine Coupe du monde de football, mais ses rêves de Jeux Olympiques pourraient s'envoler pour de bon... A moins qu'aucune leçon ne soit tirée et qu'une belle valise remplie de billets ne plonge tout le monde dans l'amnésie.

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