D'hyper favori à outsider de choix, Renaud Lavillenie a changé de statut
"Je suis conscient que ça va être très compliqué de gagner”. Quand il évoquait il y a un mois, après le meeting de Charléty, la conquête d’un premier titre mondial à Doha le 1er octobre prochain, Renaud Lavillenie reconnaissait sans langue de bois qu’ils sont peu, lui le premier, à parier sur une victoire du Français. Car il est pour l’instant fini le temps où Renaud Lavillenie planait sur le monde de la perche. Elles sont déjà loin les images de son saut à 6.16m pour aller chercher le vieux record de Sergueï Bubka. C’était il y a cinq ans, à Donetsk. Aujourd’hui, Renaud Lavillenie est retombé sur terre.
La barre des 6,00 m, il ne l’a plus franchie (en extérieur) depuis juillet 2015. Depuis, le Français s’est fait déloger du trône par une jeunesse déterminée à voler toujours plus haut. Sam Kendricks (27 ans), Armand Duplantis (19 ans) et Piotr Lisek (27 ans) : voilà les trois noms qui dominent les concours mondiaux depuis deux ans maintenant. Tous trois ont franchi les 6,00 m cette saison - dont 6,06 m pour Kendricks, devenu le deuxième meilleur performeur de tous les temps en extérieur derrière Sergueï Bubka - , une densité au sommet de la perche rarement vue ces dernières années comme le confie Damien Inocencio, coach de Renaud Lavillenie jusqu'en 2012 et présent à Doha en tant qu'entraîneur des perchistes chinois. "Je n'ai pas de souvenirs récents de voir trois gars passer les 6,00 m dans la même saison (dernière fois en 2008, ndlr). Il y a eu un gros creux générationnel à la perche et on assiste à une sorte de renaissance aujourd'hui, avec un niveau qui a énormément augmenté, notamment chez les garçons." Et Inocencio l'assure, sur une piste rapide comme Doha, "il faudra sauter haut" pour aller chercher le titre mondial.
Sauter haut, pas vraiment ce qu'a su faire Renaud Lavillenie cette saison. Alors que les trois candidats au titre ont tous plané plus de dix fois au-dessus des 5,80 m, le champion olympique 2012 ne s'est lui envolé que trois fois au dessus de cette marque, pour une meilleure performance à 5,85 m aux championnats de France fin juillet. Surtout, à chaque confrontation face à l’un ou plusieurs de ses rivaux cette saison, Renaud Lavillenie n’a jamais été en mesure de se mêler à la lutte pour la victoire, finissant toujours à 10 cm ou plus du vainqueur du concours. Dernier exemple en date au meeting de Zurich le 29 août. Pendant que Sam Kendricks (5,93 m) s’imposait devant Duplantis et Lisek (5,83 m tous les deux), Lavillenie devait lui se contenter d'une cinquième place avec un saut à 5,73 m et trois échecs à 5,83 m, son objectif annoncé avant le début du meeting.
Année tronquée
"Il y a des adversaires qui sont vraiment chaud patate, confiait son entraîneur Philippe d’Encausse fin août après le meeting de Charléty, où Lavillenie s'était arrêté à 5,60 m. Mais il faut tout remettre dans son contexte”. Le contexte, c’est une tendinite coriace à l’ischio-jambier droit qui l’a tenu loin des sautoirs et l’a obligé à faire l’impasse sur toute la saison en salle. Presque six mois d’arrêt et une reprise seulement le 14 juin dernier, seulement trois mois et demi avant le début des Championnats du Monde.
Depuis, Renaud Lavillenie, qui espérait monter en puissance au fil de l'été, n’a pas fait d'éclat. Neuf sorties, pour seulement trois sauts à plus de 5,80 m (dont un 5,85 m aux championnats de France, faisant du perchiste le 7e performeur de l’année) et quelques revers sévères, à l’image de ce zéro pointé à 5,51 m à Aix-la-Chapelle début septembre, pour son dernier concours avant Doha. "Je n'ai pas grand-chose à dire, a-t-il alors avoué. Je n'ai pas réussi à trouver mes repères au décollage."
Peu de repères, des doutes toujours présents et une concurrence toujours plus féroce qui font aujourd’hui de Renaud Lavillenie un simple outsider au titre mondial. Un statut que le Français n’a que très peu goûté ces dix dernières années, lui l’habituel hyper-favori lorsque sonne l'arrivée des grandes compétitions internationales. “Je dirais que cela enlève une manière de voir la compétition”, a confié le perchiste à nos confrères de France 3 Auvergne. D’habitude, je sais qu’il y a une certaine attente, je suis réglé, j’ai des performances, j’ai des repères qui font que si je fais moins que troisième, c’est que vraiment quelque chose s’est mal passé.” Un nouveau rôle qui pourrait le libérer selon les mots de son ancien coach Damien Inocencio, alors que le Français a constamment échoué dans la conquête d'un titre mondial en tant que favori. "Pour lui, ça peut être une libération. A chaque championnat du monde, il est arrivé dans le costume de favori et ça ne lui a jamais vraiment servi. Il peut arriver avec une fraîcheur mentale qu'il n'avait pas les autres années."
A Doha, Renaud Lavillenie sera cette fois loin des lumières, loin des attentes dans un concours qui s'annonce dense comme rarement. Une nouvelle approche pour lui permettre d'aller chercher ce premier titre mondial qui manque tant à son immense palmarès ? Lui assurait l'an passé dans un entretien au Monde, cela fait dix ans qu'il attend d'arriver sur un grand championnat avec la simple étiquette d'un pseudo-outsider.
Joue la comme Bubka
Pseudo seulement, car Renaud Lavillenie, champion olympique en 2012 et triple champion d'Europe, reste un immense champion, capable de se transcender sur un jour, sur un seul concours pour aller chercher un podium ou un titre. Et quoi de mieux que des championnats du Monde pour montrer à tout le monde que le boss des années 2010 n'est pas mort ? Aucun doute que le Français connait l'histoire de sa discipline et se rappellera d'un des plus beaux exploits de son idole Sergueï Bubka.
Le coup d’oeil dans le rétro nous emmène 22 ans en arrière, aux Mondiaux d’Athènes, là où Bubka, recordman du monde et quintuple champion du monde, a écrit l’une des plus belles pages de son immense carrière. Comme Renaud Lavillenie, il avait passé son année sous les radars des meilleurs perchistes mondiaux. Un tendon d’Achille droit usé par les années, une opération gardée longtemps secrète à l’avant-veille de Noël en Finlande et une reprise tardive à la mi-juin, moins de deux mois avant la finale du concours mondial de la perche... La succession de Bubka, vainqueur des cinq derniers titres mondiaux, paraît plus que jamais ouverte lors des prochains Mondiaux grecs. D’autant que son plus proche rival Maksim Tarasov franchit la barre des 6,00 m à Nice le 16 juillet, pendant que le recordman du monde se contente de trois meetings et d'un timide 5,80 m au milieu de l'été en exhibition à Ostrava (République Tchèque) comme meilleure performance. Loin, très loin des standards du recordman du monde d'alors.
Prudence ou coup de bluff ? Peu importe, Bubka reste Bubka. Des impasses calculées et la réussite du champion sur un concours le jour J et l'Ukrainien s’envolera à 6,01 m à son premier essai pour aller chercher un sixième et dernier titre mondial. Si chaque histoire est unique, celle de Bubka aura de quoi inspirer Lavillenie. "Certaines performances appartiennent au passé mais il y a toujours la possibilité d’écrire l’histoire" confiait le Français il y a quelques jours. Mardi prochain vers 21h, Renaud Lavillenie peut écrire un premier chapitre doré dans son histoire tourmentée avec les Mondiaux.
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