Euro d'athlétisme : Gémima Joseph, la "pépite" guyanaise prête à faire briller le sprint tricolore
"Sur mon miroir, j'ai inscrit mes objectifs de chrono sur 100 et 200. C'est entre moi et mon miroir. Mais pour le 100, ça commence par 10." Dans un doux éclat de rire, et sans une once d'arrogance, Gémima Joseph assume ses ambitions. La Française de 22 ans a atterri à Rome pour monter sur le podium du 100 mètres des championnats d'Europe, dimanche 9 juin, et "si possible" briser la barrière des onze secondes.
"Sur la ligne de départ, toutes les horloges sont remises à zéro. Je vais juste me donner à fond, je ne me mets pas de limite et j'espère une médaille", posait-elle jeudi, en conférence de presse. Forte de ses 11"04 claqués le 13 avril à Kourou lors des Jeux de Guyane, Gémima Joseph entrera dimanche directement en demi-finales. "Passer sous les onze secondes me ferait super plaisir. Je me dis que c'est possible, peut-être dès ces championnats d'Europe, avec la densité et si je fais une course parfaite techniquement. Le plus tôt je le fais, le plus je pourrai le répéter."
Des minima olympiques déjà en poche
Ce 13 avril 2024, "Mima" a changé de statut. Ce jour était coché de longue date. Le lieu choisi avec soin, à domicile pour celle qui est très attachée à ses racines. En présence d'officiels pour s'assurer que les chronos soient homologués. Avec 11"04 sur 100 mètres et 22"57 sur 200 mètres, la Guyanaise a explosé ses records personnels de plus de deux dixièmes, pré-validé son ticket pour les Jeux de Paris et grimpé respectivement aux 6e et 8e rang français de l'histoire.
Rien de surprenant pour l'un de ses deux entraîneurs Gaëtan Tariaffe, qui rappelle que l'athlète se consacre à 100% à l'athlétisme seulement depuis septembre , après avoir mis en pause ses études de comptabilité. "Elle a battu mes records. C'est une grande satisfaction. Je lui transmets le témoin", sourit Katia Benth, co-entraîneure de l'athlète et ancienne membre de l'équipe de France.
Le potentiel de la sprinteuse d'1m66 était connu depuis longtemps. Pourtant, son arrivée sur les pistes d'athlétisme est le fruit du hasard. La benjamine d'une fratrie de sept enfants au sein d'une famille modeste aimait "faire la course contre les garçons à l'école" – elle gagnait souvent – mais rêvait de danse classique. Des cours de danse incompatibles avec son emploi du temps l'ont finalement poussée vers le club d'athlétisme Rou Kou.
Un jeu avant tout
"Je n'y connaissais vraiment rien. La première fois, je suis venue en jean, t-shirt et sandales", retrace-t-elle en pouffant. Elle s'y fait des amis. Se prend au jeu. "La première fois que je l'ai aperçue, elle avait 12 ans. Je me suis tout de suite dit qu'elle était pas mal cette petite, rit Katia Beth, vice-championne du monde du relais 4x100 mètres à Séville en 1999. Le pied faisait quelque chose de dynamique."
L'ancienne internationale, qui donne alors un coup de main au club de Rou Kou, propose à Gémima Joseph de rejoindre son groupe, mais la préadolescente refuse. "Elle voulait rester avec les filles de son âge. J'étais trop carrée, trop stricte pour elle. Elle voulait rester jouer", raconte l'entraîneure guyanaise. Deux ans plus tard, la coach revient à la charge.
"Je la voyais évoluer. Je lui ai dit qu'elle pouvait viser le très haut niveau, que je voyais quelque chose de grand. Elle me disait : 'Vous êtes sûre ?'"
Katia Benth, co-entraîneure de Gémima Josephà franceinfo: sport
"Mima" finit par se plier aux conseils des adultes, intègre le groupe et passe d'un entraînement hebdomadaire à trois, puis à cinq en juniors. Très vite, les résultats suivent. Des championnats de France aux Europe de sa catégorie d'âge, avec l'argent en cadets puis juniors sur 200 mètres et le bronze chez les espoirs. "C'est une belle histoire qui a continué puisque maintenant je considère Katia un peu comme un membre de ma famille", souffle la jeune femme. "On a grandi ensemble. Avec ses résultats, il fallait que je me mette à niveau. Je me suis perfectionnée comme coach", ajoute la technicienne depuis la Guyane.
Une "bosseuse" inarrêtable
En 2019, Katia Benth fait sortir de sa retraite Gaëtan Tariaffe, son propre ancien entraîneur, pour qu'il s'occupe de Gémima Joseph, partie étudier à Cayenne. Et deux ans plus tard, les 20 printemps pas encore atteints, la sprinteuse enfile le maillot bleu aux JO de Tokyo, atteint les demi-finales sur le demi-tour de piste et participe au relais 4x100 mètres.
Une grave blessure aux championnats de France en salle en 2022 ralentit sa progression. "Cela a été un challenge de revenir au plus haut niveau. Elle est restée un mois en métropole pour les soins. C'était difficile", raconte Katia Benth.
A force d'abnégation, Gémima Joseph parvient tout de même à participer aux Europe de Munich en 2022, sur le 200 mètres et en relais, ainsi qu'au 4x100 mètres des Mondiaux de Budapest en 2023. "C'est une bosseuse, très investie. C'est difficile, pendant les semaines de repos, de lui faire comprendre que c'est important de lever le pied", décrit son entraîneur, qui salue ses "qualités humaines exceptionnelles" et sa capacité à assumer en parallèle son double projet.
"Gémima, c'est une pépite. Chez nous, on a de l'or. Elle fait briller tout le monde autour d'elle. C'est une fille très sérieuse, qui se donne les moyens. Elle ne triche pas à l'entraînement, elle va au bout. C'est très rare."
Katia Benth, co-entraîneure de Gémima Josephà franceinfo: sport
Avec un quotidien consacré cette année entièrement au sprint, Gémima Joseph a considérablement augmenté sa charge d'entraînement, avec un travail axé sur la ligne droite du 100 mètres, et amélioré son protocole de récupération. "C'est vraiment ce qui a fait basculer les choses", estime l'athlète.
En s'alignant sur cette distance aux Europe, Gémima Joseph a l'occasion de récolter les fruits de sa préparation axée sur la ligne droite, tout en gardant de la fraîcheur pour doubler 100-200 m aux JO où elle vise une finale. L'opportunité aussi de se faire connaître pour décrocher de précieux sponsors, quand chaque voyage de la Guyane vers Paris coûte entre 800 et 1 000 euros.
Si Gaëtan Tariaffe sera dans les tribunes dimanche, Katia Benth regardera sa protégée derrière son écran. "On s'appellera avant chaque course. Depuis qu'elle est cadette, c'est comme ça. On se regarde, on se parle avec nos yeux. On ne se dit rien du tout et elle fait." A Paris en revanche, le trio a déjà prévu d'être réuni.
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