Athlétisme : on vous explique pourquoi le projet de réforme du saut en longueur, qui vise à retirer la planche d'appel, suscite la controverse

La Fédération internationale d'athlétisme planche sur une réforme de cette discipline. L'une des pistes est l'introduction d'une zone d'impulsion à la place de la traditionnelle planche d'appel pour limiter le nombre de sauts mordus.
France Télévisions - Rédaction Sport
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Le Français Erwan Konaté lors du concours du saut en longueur du meeting de Paris indoor, le 11 février 2024, à l'Accor Arena, à Paris. (HERVIO JEAN-MARIE / AFP)

World Athletics veut du changement. La Fédération internationale d'athlétisme a indiqué, par la voix de son directeur général Jon Ridgeon, son intention de retirer la planche d'appel des épreuves de saut en longueur et la remplacer par une zone d'impulsion. Comprenez : une zone d'appel plus large, avec mesure du saut à partir du point d'impulsion.

"Nous mesurerons depuis l'endroit où l'athlète décolle jusqu'à l'endroit où il atterrit dans le bac à sable, a-t-il annoncé jeudi 22 février dans le podcast "Anything but Footy", dont les propos ont été repris par le journal L'Equipe. Cela donnera plus de suspense à la compétition. Nous allons passer les prochains mois à tester cette réforme avec de très bons athlètes. Si les tests ne sont pas concluants, nous en resterons là. Nous cherchons notamment des moyens d'obtenir des résultats instantanés, sans attendre 20 à 30 secondes avant que le résultat n'apparaisse comme actuellement."

33% de sauts mordus aux derniers Mondiaux

Concrètement, cette réforme, dont les tests sont en cours mais qui "ne devrait pas être utilisée en compétition avant 2026" selon son directeur, permettrait de valider tous les sauts, à condition qu'ils partent de cette zone d'impulsion. Un changement voulu par World Athletics, qui a constaté lors des championnats du monde de Budapest en 2023 que 33% des sauts étaient mordus (et donc invalidés). D'après l'instance, les interruptions trop fréquentes nuisent à la qualité du spectacle télévisé.

Mais le projet fait déjà débat sur les tartans. A commencer par le quadruple champion olympique et double champion du monde de la longueur entre 1983 et 1996, Carl Lewis, qui n'adhère pas au projet. "Le saut en longueur est l'épreuve la plus difficile de l'athlétisme et cette réforme en ferait disparaître l'élément technique le plus délicat. Est-ce qu'on agrandit le panier de basket parce que beaucoup de joueurs ratent leurs lancers francs ?", a taclé l'Américain sur X. 

Même réticence de la part du jeune athlète tricolore Erwan Konaté, double champion du monde juniors du saut en longueur, qui y voit "plus de négatif que de positif". "Je suis une personne qui mord souvent et je ne suis pas du tout pour, même si cela pourrait franchement m'avantager", tranche le sauteur de 20 ans. "Cette réforme irait à l'encontre des belles histoires et de la surprise de notre sport. Cela dénaturerait notre discipline et on deviendrait un spectacle plus qu'un sport. Ce qui fait la beauté d'un concours, c'est de voir le leader mordre à plusieurs reprises, mais arriver toutefois à valider un saut à 8,60 m", vulgarise-t-il. 

Le Français Kévin Mayer lors de l'épreuve du saut en longueur lors des Mondiaux de Eugene, le 23 juillet 2022. (MAXPPP)

Surtout, Erwan Konaté, qui n'a eu que peu d'informations de la part de World Athletics, "aime ressentir la planche en bois" au moment du saut, qui apporte plus de renvoi et de meilleures sensations que du tartan. "Il vaudrait mieux que les réflexions se portent sur les types de planches, pour fabriquer des planches qui renvoient plus et qui agrippent bien", propose-t-il. 

"Cela changera complètement la discipline"

L'ancien champion du monde du 400 mètres haies, Stéphane Diagana, n'est pas non plus favorable à ce projet. "La grosse incertitude, c'est la zone d'impulsion valable. Si vous en faites une de 10 cm, ça ne changera pas grand-chose, cela revient à peu de chose près à une planche. En revanche, si elle est d'un mètre, il n'y aura plus d'essais mordus, mais cela changera complètement la discipline."

"Vous enlevez une contrainte, vous changez le sport et les qualités requises pour être un grand sauteur en longueur. On peut courir librement et, forcément, ce sera favorable à la performance et aux records."

Stéphane Diagana, champion du monde du 400 m haies en 1997

à franceinfo: sport

Pour le consultant de France Télévisions, cette réforme est "une course désespérée pour regagner de l'audience" qui ne "résoudra pas les problèmes", ni même "ne remplira les stades" alors que le circuit principal, la Diamond League, peine à maintenir le même niveau d'attractivité qu'à l'époque d'Usain Bolt, retraité depuis 2017.

"Je trouve cela un peu désolant d'aller sur des mesurettes qui, finalement, n'apporteront pas grand-chose, si ce n'est de perdre encore un peu plus de repères. Je ne suis pas contre les évolutions, mais il y a d'autres choses à faire pour faire briller l'athlétisme au-delà de ce qui brille", appuie Stéphane Diagana, qui regrette des solutions "cosmétiques", alors que l'athlétisme traverse une crise de visibilité, en dehors des championnats du monde et Jeux olympiques.

Face à ces nombreuses critiques, Jon Ridgeon a mis de l'eau dans son vin. "Vous ne pouvez pas apporter de changements dans un sport qui a été inventé il y a 150 ans sans susciter une certaine polémique, reconnaît-il. Si vous avez consacré votre vie d'athlète à perfectionner votre technique pour sauter avec une planche d'appel et qu'elle est soudainement remplacée par une zone d'appel, je comprends tout à fait qu'il puisse y avoir une résistance initiale."

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