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Alice Milliat, une statue pour une pionnière du sport féminin mondial

En cette journée internationale du droit des femmes, le CNOSF dévoile ce lundi 8 mars, dans son siège parisien, une statue à l’effigie d’Alice Milliat, une des plus grandes militantes du sport féminin du XXe siècle. Dans l’ombre de Pierre de Coubertin, elle a œuvré toute sa vie pour faire entendre sa voix et donner des droits aux femmes dans le sport.
Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Alice Milliat, pionnière du combat pour la reconnaissance des femmes dans le monde du sport.

Alice Milliat. Ce nom ne vous évoque peut-être rien. Pourtant c’est grâce à lui que Marie-José Pérec, Laura Flessel ou Christine Arron ont pu devenir les immenses championnes du sport français dont tout le monde peut rapporter un moment d’histoire. Ce lundi, c’est bien à la première citée, avant toutes les autres, que le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a souhaité rendre hommage en ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes. A Paris, le CNOSF dévoile une statue, une œuvre-d'art à l’effigie d’Alice Milliat (1884-1957), première dirigeante du sport français et militante de l’entre-deux-guerres pour la reconnaissance des femmes dans le monde sportif.

Une commémoration matérielle et visible par tous de l’engagement de cette pionnière du sport féminin, nageuse mais surtout rameuse émérite à la fin de la Première Guerre mondiale. "Alice Milliat a initié une dynamique, progressive mais constante, qui place aujourd'hui la question de l'égalité entre les genres et celle de la place de la femme dans le sport parmi les priorités des institutions olympiques et sportives", se félicite Denis Masséglia, le président du CNOSF. Entre 1915 et 1935, elle pose de nombreux jalons pour enraciner la place des femmes dans le monde sportif à une époque ou ce dernier n’existait que pour un seul sexe. 

Dans l'ombre de Pierre de Coubertin

Une époque où Pierre de Coubertin, dont la maxime qu'on lui prête ("L'important, c'est de participer") et l’image de fondateur des Jeux Olympiques ont traversé les décennies, n’avait rien d’un promoteur de la place des femmes dans la sphère sportive. "Qui ne connaît pas une structure ou un gymnase qui s’appelle Pierre de Coubertin ? Son nom a toujours été associé aux Jeux notamment par le fait que beaucoup de structures portent son nom. Pour Alice Milliat c’est la même chose : plus on verra son nom, plus elle entrera à part entière dans le quotidien", explique Aurélie Bresson, présidente de la fondation Alice Milliat. "Toute femme qui participe aux JO ne doit pas ignorer que c’est Alice Milliat, qui a œuvré pour cela. Dans le sport, ça n'a pas toujours été inné que les femmes puissent concourir aux JO, qu’elles puissent prendre la tête des instances", rappelle-t-elle.

Saisie au corps par toutes les injustices qui frappent les femmes à cette époque, Alice Milliat s’engage dans un mouvement qui lui sera chevillé au corps jusqu’à sa retraite sportive, en 1935. Sa carrière de dirigeante sportive commence en 1915 lorsqu’elle prend la présidence du Fémina Sport, un club omnisports féminin. Elle fait également partie des fondatrices de la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF) en 1917. Elle y gravit les échelons : trésorière, puis secrétaire pour enfin devenir présidente en 1919. Loin d’être une inconnue du combat pour le sport féminin, Alice Milliat défendait déjà ce dernier par tribunes dans le journal l’Auto.

Face au conservatisme et à l'inertie qu'on lui oppose, elle décide de dépasser le cadre hexagonal : elle fonde en 1921 la Fédération sportive féminine internationale (FSFI), organise plusieurs compétitions féminines en football, basket-ball ou hockey. Ses passages en Angleterre et son travail d’interprète lui font découvrir différents sports (comme l’aviron) et lui permettent de devenir trilingue, condition sine qua non pour devenir l’ambassadrice mondial du sport féminin. 

Des femmes aux Jeux, l'objectif d'une vie

Sa pugnacité commence à faire siffler les oreilles des dirigeants de l’époque, pour qui le sport, et notamment les Jeux Olympiques, doivent être circonscrits à la gent masculine. "Le sport féminin a sa place dans la vie sociale au même titre que le sport masculin. Il devrait même passer au premier plan des préoccupations du gouvernement : je n’exagère pas", revendiquait-elle en 1927.

La native de Nantes essuie plusieurs refus lors de ses tentatives d’ajouter des épreuves féminines aux Jeux de 1920 à Anvers (Belgique), mais elle n’en démord pas : elle parvient malgré tout à organiser des Jeux Mondiaux féminins entre 1924 et 1936 en alternance avec les Jeux Olympiques. Une avancée gigantesque dans une société sexuellement polarisée. Le succès de ces manifestations est tel que les femmes obtiennent de concourir à cinq épreuves d’athlétisme des Jeux Olympiques d’Amsterdam, en 1928. Et comme une récompense de son engagement, Alice Milliat est invitée au jury des épreuves.

Un patronyme oublié, un héritage concret

Prise en grippe par l’histoire et ses conteurs, le combat d’Alice Milliat a traversé les époques mais pas son patronyme, comme beaucoup de femmes dans la grande histoire du sport. "Alice Milliat dérangeait, donc elle a été mise aux oubliettes", confie Aurélie Bresson. Isolée, Alice Milliat se retire de son engagement à partir de 1935, laissant vacante sa place de défricheuse pour le sport féminin. "Au milieu des années 1930, la FSFS s'éteint faute d'argent, tandis que la fédération internationale et les Jeux mondiaux disparaissent pendant les Jeux Olympiques de Berlin en 1936, piégés par le puissant dirigeant Edström (président du CIO entre 1921 et 1952, ndlr)", écrit dans un article qui lui est consacré l’historienne Florence Carpentier.

Dilué dans la luxuriante histoire du sport olympique, son héritage envers les femmes dans le sport n’est pas à trouver dans une compétition à son nom mais dans une idée : la possibilité. A son époque, Alice Milliat a posé les premières pierres de l’existence du sport féminin au côté du sport masculin. "Son héritage ? Ce sont ces femmes militantes, qui prennent des responsabilités. Dans le domaine sportif on a Sarah Ourahmoune, Estelle Mossely, Mélina Robert-Michon… Emmanuelle Bonnet-Oulaldj a elle déposé sa candidature pour la présidence du CNOSF. Il y a quelques années, est-ce qu’une femme aurait eu le cran, l’audace, aurait considéré qu’elle avait sa place à la présidence du CNOSF ? Quand on n’a pas eu de rôle model, on se dit que ce n’est pas possible. C’est ça le vrai héritage d’Alice Milliat", continue Aurélie Bresson.

Un nom à faire raisonner

Il y a un an, Ayodelé Ikuesan-Oudart, vice-championne d’Europe 2014 du relais 4 × 100 m, et membre de la commission des athlètes de haut niveau du CNOSF, avouait au Monde que le nom d'Alice Milliat lui était inconnu. Une raison supplémentaire de la présence de sa statue dans le hall du CNOSF à partir de ce lundi. " Je ne connaissais pas Alice Milliat. Cette sculpture servira à montrer les combats d’hier et aussi ceux d’aujourd’hui. Il faut encore se battre pour être considérée au même titre que les hommes et pour ne plus avoir à préciser 'féminin' après le mot 'sport'."

Signe le plus évident d’un combat digne mais silencieux, Alice Milliat s'est éteinte en 1957 dans l’anonymat le plus total puisque même sa pierre tombale à Nantes ne porte pas son nom. Une iniquité que tente de corriger depuis 2016 la fondation qui porte son nom. Le choix de son nom pour la future Arena 2, qui accueillera des compétitions lors des JO de Paris 2024, témoigne de la politique de réhabilitation de son legs dans les instances olympiques, alors que les femmes représentaient 38,6 % des licences sportives en 2018, selon le décompte ministériel"Le fait que son nom ressorte dans les instances politiques pourrait être apparenté à de la récupération politique mais je vous dirais tant mieux ! Au moins, cela veut dire qu’on en parle", se félicite la présidente de la fondation. Elle aura désormais une œuvre d’art au côté de Pierre de Coubertin pour que son combat ne soit jamais oublié. 

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