Accusée de tricherie, la Russie défend sa place dans le sport mondial devant le TAS
C'est un litige sans équivalent qui va être examiné ce lundi - et jusqu'à vendredi - par le Tribunal arbitral du sport (TAS). En 36 ans d'existence, jamais l'institution n'avait eu à débattre sur une telle affaire de dopage d'État. Une audience publique avait été demandé mais faute d'accord entre les parties, les trois arbitres désignés examineront ce dossier dans un lieu tenu secret à Lausanne, avant de rendre leur décision à une date non communiquée.
L'enjeu est lourd pour les athlètes russes, menacés de quatre ans sans compétitions de prestige, une punition préventive que les Russes estiment juridiquement indéfendable et qu'ils entendent bien contester.
Fondée en 1999 dans la foulée du scandale Festina, l'AMA a de son côté déployé des efforts d'enquête inédits, et joue sa crédibilité au moment où les Etats-Unis menacent de lui couper les vivres pour mener leur propre croisade mondiale contre le dopage. Enfin, le Comité olympique international et les fédérations attendent du TAS des directives claires, à huit mois des JO de Tokyo, afin d'éviter la pagaille des dernières années dans le dossier russe.
La Russie risque quatre ans de suspension de toute épreuve sportive majeure
En effet, juste avant les Jeux de Rio en 2016, l'AMA avait recommandé une exclusion des sportifs russes refusée par le CIO, tandis qu'à quelques jours de l'ouverture des Jeux de Pyeongchang en 2018, le TAS avait blanchi 28 sportifs russes suspendus à vie par le CIO. Mais le cadre juridique est cette fois clair, puisqu'il s'agit de valider ou non la panoplie de sanctions proposées en décembre 2019 par l'AMA et refusées par l'agence antidopage russe, Rusada, en raison du trucage des fichiers informatiques du laboratoire antidopage de Moscou pour la période 2011-2015.
Après avoir exigé ces données pour s'assurer de la bonne foi russe, les limiers de Montréal ont découvert deux types de manipulations: la suppression de multiples traces de contrôles antidopage positifs, et l'introduction de faux échanges visant à compromettre Grigory Rodchenkov, ex-directeur du laboratoire devenu le principal informateur de l'AMA, et deux de ses adjoints.
Le gendarme antidopage a donc pioché dans l'éventail de sanctions prévu par l'"ISCCS", texte ajouté en avril 2018 à son arsenal: il entend bannir la Russie pour quatre ans des épreuves sportives majeures, dont les JO de Tokyo, Pékin (hiver/2022) et Paris (été/2024), et lui interdire d'en organiser sur son sol. Seuls les athlètes prouvant leur absence de recours au dopage pourront s'aligner sous bannière neutre.
Une affaire d'État qui dure depuis 10 ans
Et si cette fraude informatique a tant exaspéré l'AMA, c'est parce que le contentieux russe dure depuis 2010, implique les services secrets et le ministère russe des Sports, et a attisé les tensions entre Moscou et les instances sportives perçues comme des instruments de domination occidentale. "On empêche, par des moyens pas très sportifs, nos athlètes d'atteindre les succès qu'ils méritent", lançait encore Vladimir Poutine en octobre. "Vous savez ce que disent les entraîneurs dans ces cas-là : lorsqu'on joue à l'extérieur, il ne faut pas geindre mais taper plus fort sur les têtes que les adversaires."
Il y a dix ans, la coureuse russe de demi-fond Yuliya Stepanova et son mari Vitaly, ex-contrôleur de Rusada, avaient alerté l'AMA du dopage institutionnalisé en Russie, puis s'étaient tournés vers la chaîne allemande ARD en alimentant une série de documentaires accablants. Le scandale avait viré au roman d'espionnage quand Grigory Rodchenkov, forcé de démissionner du laboratoire de Moscou et réfugié aux Etats-Unis, avait avoué au printemps 2016 avoir orchestré la dissimulation du dopage russe en coordination avec le ministère des Sports, alors dirigé par Vitaly Mutko, un proche de Vladimir Poutine.
Pour égarer les observateurs de l'AMA aux JO-2014 de Sotchi, avait expliqué le scientifique, son équipe escamotait les flacons d'urine des athlètes russes par un "trou de souris" conduisant à un membre du FSB, les services secrets russes. L'espion, déguisé en agent d'entretien, descellait le capuchon censé être inviolable avec un outil de chirurgien tordu pour l'occasion, puis remplaçait le contenu par de l'urine "propre" stockée au préalable.
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