A l'exception de l'Allemagne, le football féminin relégué au second plan
L’Espagne, l’Angleterre, l’Italie : ces trois pays ont acté la reprise de leurs championnats respectifs, chez les hommes. En ce qui concerne les compétitions féminines en revanche, aucune reprise annoncée. Outre-Manche, l’arrêt de la FA Women’s Super League a été entériné le 25 mai, sacrant Chelsea. En Espagne, la Primera Division a été définitivement arrêtée dès le 6 mai, au plus grand bonheur du FC Barcelone. Seule l’Allemagne a relancé son championnat féminin en parallèle de celui des hommes. Mais alors pourquoi le football européen relègue ainsi ses championnats féminins au second plan en ne les faisant pas reprendre ?
Moins d’enjeux économiques
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sujet dérange, à juste titre. Après plusieurs jours à essayer de récolter des témoignages de joueuses victimes de cette situation, un agent explique : "Vous vous doutez bien de ce qu’on pense, mais malheureusement on ne peut rien vous dire. Les clubs ont pris les devants et nous ont demandés de ne pas laisser nos joueuses s’exprimer sur le sujet". Même sous couvert d’anonymat, personne ne veut prendre la parole et dénoncer l’hypocrisie de la situation. Le football masculin reprend, le football féminin non, et c’est ainsi. En vérité, cette non-décision n’a rien de sportif, mais découle d’enjeux économiques.
C’est juste une histoire d’argent. On priorise le championnat qui génère le plus de revenus.
"Si on fait reprendre les hommes, pourquoi les femmes ne pourraient pas reprendre aussi dans les mêmes conditions ? C’est juste une histoire d’argent. On priorise le championnat qui génère le plus de revenus. Encore une fois, on relègue la pratique du foot féminin au second plan", regrette Marinette Pichon, désormais entraîneure de l'équipe québécoise de l'Association régionale de soccer (ARS) du Lac-St-Louis. Délégué général de l’Union Sport & Cycle, un syndicat professionnel qui gère des entreprises de l’économie du sport, Virgile Caillet confirme : "Les enjeux économiques du football masculin sont vitaux pour la survie des clubs et ligues professionnelles. Ce qui n’est pas du tout le cas pour le foot féminin, qui n’a pas les mêmes enjeux économiques, notamment en termes de droits TV. Donc il n’y a pas ‘besoin’ d’une telle précipitation pour les femmes. C'est l'excuse avancée".
D’un point de vue économique, le ballon rond des hommes ne roule pas sur la même planète que celui des femmes. Un exemple parmi tant d’autres, le contrat de naming des premières divisions en France : 1,5 millions d’euros pour la D1 Féminine « Arkéa », 8 millions pour la « Ligue 1 Uber Eats ». "En termes de droits TV, c’est abyssal : en France on est sur des rapports de 1 à 100 au moins. Ca ne veut pas dire que le foot féminin est cent fois moins spectaculaire, c’est juste que sur le plan de la maturité économique, le football féminin n’est pas encore au niveau du masculin, qui en plus vit une surenchère depuis dix ans", explique Virgile Caillet. "On est loin de l’équivalence au niveau des salaires et du sponsoring, mais on progresse, les conditions de travail s’améliorent", préfère positiver Marinette Pichon, du haut de ses 81 buts en équipe de France.
Contre-exemple allemand et risques
De ces considérations économiques, l’Allemagne prend le contre-pied. Outre-Rhin, la Bundesliga féminine a en effet repris ses droits. "L’intérêt de la fédération allemande n’est pas nouveau, il est ancré. Le football féminin allemand est bien plus valorisé aux yeux de leur fédération. Sans parler de salaires, en termes d’infrastructures, de conditions de travail, on les traite comme des garçons. La fédération ne se pose pas la question hommes ou femmes. Pour eux, ce sont juste des licenciés, peu importe le sexe", éclaire Marinette Pichon. Pour Virgile Caillet, ce n’est pas un hasard que ce soit le championnat féminin allemand qui soit le seul à reprendre : "C’est le plus avancé, structuré et donc celui qui génère le plus d’argent. Dès lors, sa reprise répond aussi aux mêmes enjeux économiques pour les clubs. De tous les championnats féminins, c’est celui qui se rapproche le plus des enjeux économiques masculins".
Alors qu’un vent de développement du football féminin soufflait sur l’Europe depuis la Coupe du monde de l’été dernier en France, ce coup d’arrêt pourrait briser l’élan. En plein essor, les championnats anglais, italiens et espagnols vont devoir se remettre de cette coupure prolongée, tout comme la D1 française. "Ca peut freiner cette dynamique positive qui soufflait sur le foot féminin européen, mais on a été capable de montrer que ce foot est attrayant. Et, pour moi, l’élan s’était déjà essoufflé. Les passionnés du foot féminin sont là, mais le grand public de l’été dernier ne l’est déjà plus trop", analyse Marinette Pichon. A l’inverse, Virgile Caillet est plus optimiste : "Il faudra être attentif pour reprendre ce fil, cette histoire au delà du sportif, pour reprendre le feuilleton. Il y a une responsabilité de la part des ligues professionnelles qui vont devoir tout mettre en œuvre pour repartir sur des bases élevées. La question sera de voir si elles assument leurs discours en faveur du football féminin, ou pas".
Certains ont une vraie envie d’accompagner le développement du foot féminin, d’autres sont obligés par les statuts des fédérations
Sur le plan sportif, peu de conséquences sont à craindre selon l’ancienne joueuse de l’équipe de France, pour qui les joueuses sont assez entourées pour garder la forme : "Ne pas reprendre, ça a surtout un impact pour Metz et l’OM, qui ont mis de l’argent dans leurs sections féminines et qui redescendent en Ligue 2. Cela fait mal à l’image de ces clubs. Sinon, c’est une chance pour l’OL parce que l’effectif du PSG avait peut-être les qualités pour venir détrôner la suprématie lyonnaise cette saison". Jean-Michel Aulas a d’ailleurs peu communiqué sur le sujet, ce qui ne remet pas en cause la sincérité de l’engagement du président lyonnais dans le football féminin. En revanche, l’absence de lutte pour la reprise des championnats féminins européens pose la question de l’engagement d'autres grands clubs.
Pour Marinette Pichon, "certains ont une vraie envie d’accompagner le développement du foot féminin, d’autres sont obligés par les statuts des fédérations. Pour faire le tri, il n’y a qu’à voir les clubs qui ont poussé pour une reprise des championnats féminins ou pas". Du côté du syndicat Union Sport & Cycle, Virgile Caillet relativise. "A la décharge des clubs pros, il y a une gestion des priorités. Or, pour la survie économique d’un club, l’équipe masculine est aujourd’hui bien plus vitale". Selon lui, cette même gestion des priorités explique aussi pourquoi le championnat féminin allemand a repris plusieurs semaines après celui des hommes. Pour conclure, Marinette Pichon rassure : "La très bonne chose, c’est que les fédérations ont fait des plans d’aide pour accompagner ce retour à la compétition du foot féminin. Ca, ça prouve qu’on considère le foot féminin au niveau des instances, au moins".
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