GP Explorer : "L'intérêt ne porte pas sur le niveau sportif mais sur l'intrigue", décrypte un chercheur à propos du succès de la course créée par Squeezie
Il y a un an, ils explosaient les compteurs. Avec 2 825 099 viewers sur la plateforme de streaming Twitch le 8 octobre 2022, le Grand Prix Explorer avait réalisé un énorme succès. Il revient pour une seconde édition sur le circuit Bugatti du Mans, samedi 9 septembre. À l’origine de cet événement, un homme de 27 ans : Lucas Hauchard, plus connu sous le nom de Squeezie. Fort de ses 18,3 millions d'abonnés sur YouTube, le vidéaste, streamer et entrepreneur français, s'était associé à l'Automobile Club de l'Ouest (ACO) pour créer une course de Formule 4, avec 22 personnalités issues d'Internet. Un réel succès qui l'a conduit à revenir cette année, avec 24 stars du web.
L'événement, à nouveau retransmis sur Twitch de 8 heures à minuit, s'appuie sur une recette simple : essais libres, qualifications, course, en plus d'un concert et d'autres animations. Pour franceinfo:sport Baptiste Brossillon, chercheur à l'Université Paris-Saclay, spécialiste des mécaniques d'écosystème entre sport professionnel et divertissement, analyse cette stratégie marketing bien ficelée.
Franceinfo:sport. Comment expliquez-vous un tel succès ?
Baptiste Brossillon : Il y a plusieurs facteurs clés, à commencer par un choix stratégique autour des communautés de chaque personnalité qui participe à la course. Quand vous prenez les spectateurs de Prime et de Djeuna, l'ensemble commun est assez faible. Ce sont des communautés différentes, l'objectif consiste donc à les mélanger afin d'avoir une masse diversifiée. C'est une réelle réflexion marketing, du cobranding. Ça permet de faire monter, tous ensemble, la marque Grand Prix Explorer qui est une marque déposée.
Qu'en est-il du storytelling créé par Squeezie ?
C'est l'un des autres facteurs. Il y a toute une histoire autour de ce projet qui est racontée au grand public, sous la forme d'un documentaire, sur la chaîne Youtube de Squeezie. L'idée qu'ils se sont rassemblés entre potes, se sont demandé qui était chaud pour participer à une course automobile, est en réalité bien plus réfléchie. C'est le principe du storytelling, qui est très bien mené par Squeezie et sa société de production, accompagnés d'une autre boîte de production spécialisée dans le divertissement. Ça fonctionne puisque ça mobilise plus d'un million de personnes et plus de 40 000 spectateurs au Mans l'an passé, 60 000 cette année.
Quel est l'intérêt sportif de cette course ?
L'intérêt ne porte pas sur le niveau sportif de la compétition mais plutôt sur son intrigue. On est vraiment dans le divertissement. Le sport est entré dans cette nouvelle ère, ce qui n'était pas le cas il y a encore 20 ans où le sport professionnel avait une exception culturelle très forte en Europe et était vecteur d’une certaine forme d’identité sociale. La consommation du spectacle sportif fait désormais partie du divertissement. L'émergence de la télévision, puis de l'Internet et plus récemment de la digitalisation et la dématérialisation du spectacle sportif a tout bousculé. Le spectacle sportif se confronte désormais à des plateformes comme Netflix et Youtube, qui rencontrent un immense succès grâce au travail de la scénarisation. Le rythme donné est plus dynamique et l'intrigue est contrôlée. Ce n'est pas possible dans un match de football, pendant 90 minutes personne n'a la main sur la dynamique du spectacle.
Le format du GP Explorer est très proche de la Formule 1 avec des essais, des qualifications et enfin la course. Qu'est-ce qui le différencie ?
Squeezie a modifié le cadre compétitif, les règles et le format de la course automobile en condensant toutes ces épreuves sur une seule journée. Les pilotes ne sont pas professionnels, même s'ils sont entraînés pendant six mois et les voitures ne sont pas les mêmes. S'ajoute à cela, l'énorme storytelling qui explique le sens et les raisons pour lesquelles c'est intéressant à suivre. Il y a toute une série de vidéos sur Youtube, des lives Twitch, de la communication sur les réseaux pour développer cette attente auprès des fans. Cette impatience est d'autant plus importante que l'événement n'a lieu qu'une fois par an, contrairement à la Formule 1. L'organiser tous les mois, ce serait prendre le risque de perdre le caractère exceptionnel de la course. Enfin, il y a aussi une dimension spectacle sur place et à distance en live, sur un canal interactif.
Le prix de la place est fixé à 54,15 euros. En trente minutes, les 60 000 places disponibles ont été prises d'assaut. Comment l'expliquez-vous ?
C'est un phénomène assez logique au vu du nombre de places disponibles et la taille des communautés. Le prix est assez attractif pour une journée qui commence à 8h30 avec de nombreuses animations. Là aussi, on sent une volonté de ne pas aller trop vite même s'ils avaient fixé un prix deux à trois fois plus élevé, ça aurait sûrement fonctionné et ça aurait été plus lucratif. Mais il y aurait eu aussi plus de pression. Ils se sont plutôt basés sur un business model reposant sur le sponsoring, comme sur Internet. C'est aussi l'une des clés du succès, car ils bénéficient d'une grosse présence économique sans trop en demander aux spectateurs.
Est-ce que le COVID-19 a eu un impact sur les streamers, qui ont eu envie de sortir de leur studio, de leur chambre ?
Il y a plusieurs déterminants liés à cette crise. Le premier est la montée en puissance de Twitch et de cet écosystème d’Internet qui a fait un bond monstrueux pendant cette période. C'était l’une des seules sociétés de divertissement capables de fournir du contenu. Le sport traditionnel était complètement à l’arrêt, en France ça a été encore plus long que dans d’autres pays. Les autres offres de divertissement ont aussi été impactées. On a bien vu à quel point ça avait été compliqué de rouvrir les cinémas et les théâtres. Il n’y avait donc plus que les plateformes, certaines ont même avancé leurs programmes comme Netflix avec la série The Last Dance. Il y avait une réelle demande, comme tout le monde devait rester chez soi, et l’offre était majoritairement produite par les streamers. Ça a provoqué une réelle prise de pouvoir de ces acteurs-là, ce qui leur a ensuite permis de passer aux événements physiques et de sortir du digital.
Pour les sponsors dont on a parlé précédemment, c'était donc une aubaine ?
Oui, car après la crise du Covid-19, le secteur du sport a souffert d'une vraie fragilité économique. Les acteurs, habituellement partenaires d'événements sportifs, ont eu besoin de retrouver du cash à court terme et de renouveler leur offre. Le sport spectacle a aussi perdu une partie de ses consommateurs, dits "intenses" ou "moins intenses", qui ont réalisé qu'ils pouvaient s'en passer. Le Grand Prix Explorer est donc une opportunité pour les acteurs du sport, en difficultés économiques ou qui y voient une opportunité de se rapprocher d'une nouvelle communauté. Les marques sont donc devenues plus ouvertes à ce type d'événement, qui sort du sport traditionnel. Samsung est par exemple devenu le sponsor principal.
Parmi les sponsors, il y a aussi des entreprises proches des jeunes et qui n'avaient jamais été dans le monde du sport.
Oui c'est aussi un choix très stratégique de travailler avec des marques comme Deezer, TikTok, qui parlent aux jeunes. C’est également une opportunité pour d'autres, comme les entreprises NordVPN, Subway, Displate qui représentent chacune une écurie. Ça leur coûte beaucoup moins cher que de monter une équipe cycliste ou que d'être sponsor principal dans le monde du football.
Qu'est-ce que cet événement peut espérer cette année ?
C'est difficile de dire s'ils vont à nouveau battre des records mais c'est une bonne idée d'avoir modifié quelques paramètres par rapport à la première édition. Quelques binômes ont changé, ça permet d'éviter la comparaison et une potentielle lassitude des spectateurs. Quatre rappeurs, très présents sur Internet, ont été intégrés, ça permet d'apporter de nouvelles communautés. Ils ont également féminisé davantage leur grille de départ.
Le choix de la date a certainement été revu, ça tombe au moment de la trêve internationale de football, après une énorme actualité internet liée à l'influenceuse Lena Situations et ça correspond à un public scolaire, assez jeune, au moment de la rentrée. Le démarrage de la Coupe du monde de rugby ne devrait pas avoir de grande influence sur le public visé.
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