1999-2019 : Les 20 ans du miracle Agassi
Nous sommes le 5 juin 1999, la veille de la finale de Roland-Garros et, dans une chambre d’hôtel luxueuse de Paris, André Agassi ouvre à la volée son minibar. Il s’empare d’une bouteille de vodka. La vide entièrement. Son entraîneur, Brad Gilbert, est sidéré. Agassi a une finale de Grand Chelem à jouer le lendemain, la première depuis quatre ans, et il vient de s’enfiler une bouteille de vodka. Son mentor le sait : le "Kid" est terrorisé. Terrorisé d’apercevoir le bout du tunnel et de pouvoir encore passer à côté. Comme il serait terrible d’être revenu de la 140e place mondiale, d’avoir bravé dépression, divorce, méforme physique, critiques de la presse pendant deux longues années, pour finir par manquer l’occasion de revenir au sommet. Terrorisé également parce qu’il affronte Andrei Medvedev en finale. Celui qu’il a lui-même contribué à remettre sur selle.
Agassi a aidé un Medvedev ivre mort deux mois auparavant
Deux mois auparavant, Agassi croise Medvedev dans une boîte de nuit monégasque en marge du tournoi de Monte-Carlo. Medvedev est ivre mort. Il a perdu, il n’y arrive plus et désespère de pouvoir un jour retrouver son éclat d’antan (l’Ukrainien a été demi-finaliste à Roland à 20 ans, avant d’accumuler les déceptions). Agassi le prend à part. Lui remonte le moral avec l’affection protectrice d’un grand frère. "Comment oses-tu ? s'exclame Agassi. Regarde-moi, j’ai 29 ans, je suis blessé, divorcé, et tu te plains à 24 ans ? Ton futur est brillant." Il lui glisse quelques conseils de vieux briscard de la balle jaune. Pure solidarité tennistique. Comment aurait-il pu imaginer qu’il érigeait là, sans le vouloir, l’ultime muraille qui se dresserait entre lui et un sacre à Roland-Garros ? Car, quoi qu’Agassi ait dit à Medvedev, le déclic a bien lieu. L’Ukrainien disparaît de la circulation pendant un mois, avant de ressurgir Porte d’Auteuil, plus fringant que jamais, enchaînant les victoires homériques pour atteindre la finale. Lui, le 100e mondial. Lui, le joueur qui était au fond du trou, prêt à tout balancer quelques semaines auparavant. Jusqu’à ce que André Agassi vienne lui glisser quelques mots à l’oreille.
Peut-être cet épisode n’a-t-il eu qu’une importance minime dans le retour en grâce de Medvedev. Mais André Agassi, lui, en est convaincu : il est "en feu" grâce à lui. "Il a mon jeu. Je le lui ai donné. Il a même le même prénom que moi... Ce sera André contre Andrei... Moi contre mon sosie". A la veille de son match, Agassi se torture l’esprit. Très superstitieux, il croit dans les signes. Retrouver là, en finale, ce joueur qu’il a lui-même remis sur pied ? C’est le destin. Que lui réserve ce destin pour le lendemain ? Une victoire à Roland, synonyme de Grand Chelem en carrière ? Son plus grand exploit sportif couplé à sa plus grande émotion personnelle, lui qui a survécu à l’enfer pendant deux ans ? Ou le vertige d’une immense déception, peut-être plus grande encore que lors de ses deux première finales parisiennes perdues (en 1990 contre Andre Gomez et en 1991 contre Jim Courier) ?
Ainsi en a décidé le ciel
Il est certain que son obsession des signes ne l’a pas quitté pendant la finale. Les deux premiers sets sont catastrophiques. Agassi est submergé par l’enjeu. Son adversaire marche littéralement sur l’eau. Comme il le craignait. Son double, son reflet, est en train de l’avaler sans qu’il n’ait les armes pour se défendre.
Et puis, le ciel s’en est mêlé. La pluie s’est abattue sur le court Philippe-Chatrier alors que les deux joueurs regagnaient leur chaise. Elle était intense, il fallait protéger la terre battue ; alors les deux joueurs ont été renvoyés au vestiaire. Vingt minutes d’interruption. Un cadeau sacré pour André. Un poison pour Andrei.
L’Américain revient sur le terrain le pas certain, le regard fixe, concentré. Il est métamorphosé. L’interruption a eu une signification claire pour lui. Son destin était de remporter ce match. Coûte que coûte. Le titre était pour lui : ainsi en a décidé le ciel. Agassi remporte les trois sets suivants, 6-4 6-3 6-4. Son jeu est limpide, sa tactique est claire. Il remporte tous les points importants. Sur la balle de match, il tremble à peine. Agassi a gagné le match dans les vestiaires. Quand il s’est convaincu que c’était écrit.
Premier joueur de l'histoire à remporter les 4 Grands Chelems sur 4 surfaces différentes
Sur la balle de match, il se prend la tête dans les mains. Il a l’oeil qui vacille au moment où il se retourne vers son camp. Enfin. Le revoilà au sommet, plus haut qu’il ne l’a jamais été. Tous en avaient douté. Même lui. "C'est certainement le sentiment le plus fort que j'aie jamais ressenti sur un court de tennis, a-t-il avoué après le match. Je crois que ne trouverai jamais les mots pour le décrire." Il devient le premier joueur de l’histoire à remporter les 4 tournois du Grand Chelem sur 4 surfaces différentes. Il a traversé le bout du tunnel et a explosé en plein jour. Il a accompli son destin.
Ce même destin qui ponctuera sa quinzaine de rêve de la plus étrange des manières, comme il le racontera plus tard dans son autobiographie "Open". Quelques jours après son sacre parisien, dans l’avion qui le ramène aux Etats-Unis, Brad Gilbert lui demande : "Tu sais qui a gagné le titre chez les femmes ?" C’était Steffi Graf. Son grand amour secret depuis dix ans. Celle qui deviendrait sa femme, deux ans après.
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