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Eric Delaunay, le tir par ricochet

A 29 ans, Eric Delaunay va découvrir les Jeux Olympiques à Rio pour la première fois de sa carrière. Ce tireur, dont la discipline est le skeet olympique, n’a pas ménagé sa peine et ses efforts pour s’envoler pour le Brésil cet été. Dans sa carrière, il s’est relevé de tout. Ou presque.
Article rédigé par Thierry Tazé-Bernard
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
Le Français Eric Delaunay

Comme un caillou sur l’eau, Eric Delaunay rebondit. Après chaque coup du sort, il revient. Comme si son destin était écrit, tracé, presque dès sa naissance.

Une carabine à sa communion

« Je suis né dedans, comme Obélix avec la potion. » Eric Delaunay sourit de cette formule pour expliquer le choix de son sport. « Mes parents étaient armuriers, et en même temps ils avaient un stand de ball-trap. J’étais dans ma poussette, mais déjà sur un stand de tir ». Le tir est devenu rapidement une évidence : ramasser les plateaux, tenir la caisse, il a tout fait. « En échange de ce coup de main, à la fin de la journée, mon père me faisait tirer quelques plateaux. Et à un moment, il m’a appris à tirer. J’étais très heureux de travailler, et d’avoir cette petite carotte. Ca apprend le goût des choses, le goût du travail. Cela permet d’apprendre les valeurs basiques de la vie. » A sa communion, il a reçu une carabine. Original…

Derrière ce bonheur rapidement trouvé, il y a aussi une contrainte, liée au travail de ses parents. Commerçants et teneurs d’un stand de ball-trap, il leur était difficile d’emmener leur fils à droite et à gauche les week-ends pour faire du tennis, qu’il a pratiqué jeune. Le tir, il aimait ça, et en plus, il a trouvé dans le club de Bréville-sur-Mer, lieu de sa première compétition et son club encore aujourd’hui, un soutien inattendu. « C’était un championnat de Normandie, et j’avais 13-14 ans », se souvient le Normand. « Mes parents m’ont déposé là-bas et les gens du club se sont occupés de moi toute la journée. Le président du club m’a proposé, à la fin, de m’emmener aux championnats de France. J’y ai fini 3e en cadet. J’avais mis un pied dans l’engrenage des compétitions, et c’était fini. »

Anévrisme cérébral en février 2011, champion d'Europe en juillet

Ce premier obstacle passé, Eric Delaunay s’est ensuite frotté à la difficulté de mener un sport de haut niveau et des études. Pour avoir son DUT de gestion et administration, il n’a pas toujours été aidé. « Je me souviens d’un professeur de droit administratif, qui m’avait fait passer un oral et posé des questions sur des cours qui avaient eu lieu lors d’une semaine où j’étais en compétition. Je l’avais prévenu de mon absence. J’étais arrivé à Paris à 5h du matin, et il avait placé l’oral 9h à Caen. J’avais pourtant bossé mes cours durant ma compétition. Mais il s’en fichait. »

En 2011, Eric Delaunay a 24 ans et subit un sacré coup d’arrêt. Opéré d’un anévrisme cérébral en février, il est à ce moment-là en quête d’un quota olympique pour Londres. Son avenir se fait plus incertain. Pourtant, en juillet, il l’obtient en devenant champion d’Europe. « C’était un moment inoubliable ce titre, car j’avais trouvé que tout était facile lors de cette compétition. J’étais sur un nuage, tout en contrôle. Je n’ai réalisé que longtemps après. » Ce bonheur intense va néanmoins laisser place à un nouvel accroc, une énorme déconvenue. Moins bon durant l’année 2012, il n’est pas envoyé à Londres, pour les Jeux Olympiques, alors qu’il avait gagné ce quota (non nominatif). « Je connaissais la règle. C’était le jeu. En 2012, je n’étais pas bon. C’était logique que la Fédération envoie Anthony Terrasse aux JO. »

Le rebond vers Rio

Il fallait aussi trouver un travail. Coup de chance, il a bénéficié d’une Convention d’insertion professionnelle (CIP), avec un accord entre la Fédération, la Région et son employeur, qui « me permettait de dégager du temps pour m’entraîner et aller en compétitions. » Manque de chance, la société met la clé sous la porte. Le repreneur ne veut plus d’un employé qui ne soit pas à 100%. Le chômage est au bout du chemin. « Pendant deux ans, j’ai galéré au chômage. Quand on est absent entre 100 et 130 jours dans l’année pour des compétitions, c’est difficile de trouver un employeur. » Son couple explose, il doit lâcher sa maison pour revenir chez ses parents. Rien ne va plus mais le tir demeure son point central. Mais en septembre 2015, alors qu’il arrive en fin de droits, il est tout prêt de raccrocher son fusil. « A ce moment-là, la Fédération m’a proposé de passer le professorat de sport à l’Insep cette année. Ca m’a complètement libéré. J’ai appris ça juste après les Jeux européens de Bakou, et derrière j’ai fini 4e du championnat d’Europe, en décrochant un quota olympique. »


Toutes ces embuches, Eric Delaunay les a passées avec conviction, envie, même si cela n’a pas été facile. « Il a fallu se reconstruire derrière, retrouver le haut niveau », glisse-t-il au sujet de 2012. « J’ai l’impression d’avoir accompli tout ça pour aller chercher cette nouvelle place aux Jeux cette année. » Comme tout grand champion, il s’est relevé de chaque chute, de chaque coup du sort. « Je ne sais pas si j’ai besoin de ça pour rebondir », rit-il. « Finalement, cela me prouve peut-être que mentalement, je suis assez costaud. » Et comme il estime que sa discipline, c’est « 70% mental », tout cela l’a sans doute fait progresser dans son sport.

Et cette qualification pour Rio lui a ouvert certaines portes. « Les sponsors se sont manifestés un petit peu plus, comme les aides de la Fédération », explique-t-il. Car chaque cartouche tirée à l’entraînement lui coûte 40 centimes. « J’en tire 30-35 000 sur l’année. Cette année, je vais en tirer 50 000. » Avec une campagne de crowdfounding, il a pu pratiquement boucler son budget pour tenir un rôle au Brésil. « Comme je suis le seul Bas-Normand à aller aux JO, des entreprises locales s’intéressent à moi. » Après avoir été aidé par ses parents, après avoir mis toutes ses économies dans le tir, Eric Delaunay estime pourtant : « Je n’ai pas à me plaindre. »

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