Des Barjots aux Experts, immersion dans le monde des Bleus
Les Bronzés
"Les Bronzés sont partis de zéro. Daniel Costantini a eu un grand rêve lorsqu’on lui a proposé l’équipe de France, c’est d’imposer sa patte. Il voulait conduire l’équipe de France pour la faire progresser, pas la laisser dans le Mondial C. Pour cela, il a imposé des regroupements de cinq mois avec les joueurs. Ils ont travaillé pendant des années. C’était un groupe qu’on n’attendait pas aux Jeux Olympiques. Cette bande, qui s’est construite dans la douleur, est arrivée avec une volonté de fer, une envie. Elle n’avait pas le talent de celle d’aujourd’hui. Mais il s’est construit à travers le travail. Ils venaient tellement de loin qu’ils ont fait un truc extraordinaire. Et ils l’ont fêté à leur manière, en se teignant en blond, en se rasant la tête."
Les Barjots
"C’était des gars atypiques, avec des intellectuels, des fous. Ils étaient barjots. C’est une ligne de fabrique. Pour eux, le sport était exceptionnel, et ils le vivaient comme ça sur et en dehors du terrain. Et ce n’était pas facile tous les jours pour l’entraîneur car ils avaient en même temps ce côté génial et ingérable, qui a fait qu’à un moment, le groupe a un peu implosé. Il s’est éloigné de son coach et ce dernier n’avait que deux choix : soit partir, soit enlever quelques joueurs. Après l’échec d’Atlanta, il a fait appel à de petits jeunes, comme Guillaume Gille, Jérôme Fernandez, moi-même et d’autres. C’était dur car on remplaçait des joueurs qu’on idôlatrait. Et il a fallu reconstruire alors que ceux qu’on remplaçait étaient encore largement plus forts que nous. S’est suivie une longue traversée du désert avec une comparaison quotidienne avec les Barjots. Et alors qu’on essayait de nous opposer, on allait se ressourcer dans les conseils des anciens."
Les Costauds
"Petit à petit, l’équipe s’est reconstruite, avec les mêmes qualités mais un peu moins barjots que nos anciens, faisant un peu moins la fête en tout cas moins extrême. On n’avait pas une équipe géniale, on a failli exploser sans avoir rien gagné, et il y a eu ce Mondial en France. Une nouvelle équipe est née. On n’était pas les meilleurs mais on ne voulait pas mourir. On s’est soudé, et c’est pour ça que le surnom des Costauds convenait très bien."
Les Experts
"Derrière, il y a l’arrêt de Costantini, l’entraîneur emblématique, qui nous laissait un peu orphelin. L’arrivée de Claude Onesta n’a pas été facile. On le connaissait comme l’entraîneur de Toulouse, gueulard à la tête d’une formation pas spécialement brillante. Lui-aussi est passé dans ce mode de transmission, construisant un projet. On a encore failli exploser. C’est une succession de rêves brisés l’équipe de France, avec des bonhommes qui n’abandonnent jamais. Là, Onesta a décidé de partager avec son groupe. Ils se sont enfermés pour étudier notre jeu à la vidéo, on a fait un état des lieux. On a enlevé beaucoup de choses mais on a rajouté son projet, qu’on s’est approprié. Les Experts ont utilisé tout ce qui était bon depuis toutes ces années, depuis 1989, en gommant au fur et à mesure tout ce qui était mauvais. On est entré plus dans l’expertise dans la perfection, dans l’étude des autres, dans l’étude de soit. Aujourd’hui, c’est l’individuel à l’intérieur du collectif. Cette équipe s’impose des choses très dures à l’entraînement. Les confrontations au sein de l’équipe de France sont souvent plus dures que les matches en compétition. C’est une équipe qui refuse la médiocrité. Sa force réside là. Cette équipe ressemble à la France d’aujourd’hui. Elle puise sa force dans la diversité, que ce soit de provenance, de culture, et aussi de jeu. On n’a pas de prototype comme les Suédois ou les Danois, où tout le monde joue de la même manière."
Les points communs
"Il y a une chose en commun, qui restera toujours, qui vient des Bronzés et des Barjots et qui perdure. Les joueurs peuvent changer, mais l’âme reste. Dans toutes ses générations, il y a cette transmission. Il y a beaucoup d’amitié, y compris entre les générations. Tous les joueurs actuels connaissent ceux qui jouaient à Barcelone en 1992, même ceux qui n’étaient pas nés. C’est propre au handball. Le secret, il est dans formation des joueurs. C’est cette machine invisible de formation. On n’apprend pas seulement à jouer au hand, on apprend à penser hand. C’est une philosophie. Et lorsque les jeunes arrivent en équipe nationale, ils sont déjà 'formatés', et leur intégration est beaucoup plus simple. On est tous égaux dans cette équipe, du plus jeune au plus ancien. C’est ce qui permet de reconstruire, comme aujourd’hui. Après la défaite en championnat d’Europe, les joueurs auraient pu tous rentrer chez eux. C’était très dur psychologiquement, mais ils ne l’ont pas fait. Ils sont restés à Paris, à boire des coups ensemble, et derrière ça, ils ont reconstruit à partir du mois de janvier. En revanche, le handball a évolué. Il devient extrêmement physique. Les joueurs ressemblent de plus en plus à des 3e lignes de rugby. Le physique a pris une place prépondérante dans la préparation. On fait autant de physique que de jeu. Mais globalement, c’est les mêmes hommes qui sont là, c’est juste les règles qui changent un petit peu."
Les entraîneurs
"Ce sont deux coaches qui sont aussi différents qu’on peut l’être. Cela prouve qu’il n’y a pas une manière de gagner. Ce que faisait Daniel Costantini allait avec les joueurs qu’il avait à l’époque. Ce type de management paternaliste était nécessaire, il fallait être directif car cette équipe pouvait partir en fumée à n’importe quel moment. Aujourd’hui, pour Claude Onesta, c’est beaucoup plus simple, c’est des joueurs plus ordonnés, plus investis dans le détail. Avant, ils gagnaient avec un instinct incroyable, mais cela ne suffit plus. Il a un groupe exceptionnel, qu’il a forgé à sa personnalité, qui lui permet de confier de nombreux secteurs du jeu aux joueurs. Mais le patron, c’est lui."
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