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Akira Kurosawa, le Japonais qui a influencé les plus grands du cinéma mondial

Considéré comme le plus grand réalisateur japonais du XXe siècle, Akira Kurosawa est encore une source d’inspiration pour les cinéastes contemporains. Avant-gardiste, il est l’inventeur du cinéma d’action et précurseur du cinéma hollywoodien. Guidé par une maîtrise hors pair de la caméra et du mouvement, il expose mondialement le 7e art japonais alors jusque-là peu reconnu. Réalisateur d’une trentaine de films en 57 ans de carrière, certains ont permis la naissance des classiques les plus populaires de notre temps.
Article rédigé par Julia Solans
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 13min
 

Pour une poignée de dollars, Les Sept Mercenaires ou encore Star Wars, cela vous dit quelque chose ? Vous ne le saviez peut-être pas mais leur point commun s’appelle Akira Kurosawa. Imaginez si les films qui ont bercé votre enfance sont en réalité des remakes ou des copies ? Eh bien pour certains d’entre eux, c’est le cas. 

Né en 1910, Akira Kurosawa est depuis toujours attiré par le monde artistique. Grand amateur de peinture et frère d’un commentateur de films muets, il entre dans le milieu du 7e art en tant qu’assistant-réalisateur puis scénariste. Son premier film, La Légende du Grand Judo, sort à Tokyo en 1943. En mettant en avant le sport principal de son pays, le cinéaste rencontre alors un énorme succès à l’échelle nationale. Mais ce n’est pas suffisant pour percer hors du pays :  l’époque, on pensait que le cinéma japonais était trop différent dans ses codes. Les gens ne le comprenaient pas forcément, il a fallu une habitude", explique Stéphane du Mesnildot, journaliste aux Cahiers du cinéma. A l’aube des années 50, l’archipel nippon est encore très marqué par la Seconde Guerre Mondiale et les bombardements atomiques qui ont touché Hiroshima et Nagasaki. Akira Kurosawa, lui, s’apprête à réaliser le film qui changera à jamais le cinéma mondial.

Révélation d'un avant-gardiste

Nous sommes le 10 septembre 1951 à l’un des festivals les plus prestigieux du cinéma européen : la Mostra de Venise. Dans la liste des nommés pour remporter le fameux Lion d’Or figure Rashomon, un film japonais alors inconnu du grand public. Le réalisateur ? Akira Kurosawa. Et à la surprise générale, il remporte le prix tant convoité. Pascal-Alex Vincent, réalisateur et spécialiste du cinéma japonais, raconte ce tournant dans l’industrie du 7e art : "Le coup de génie vient de la femme qui a choisi Rashomon parmi tous les films que les studios lui ont envoyés. Elle a vu que cet homme allait faire bouger les lignes, qu’il filmait comme personne. Il y a une dynamique dans sa mise en scène qu’il n’y avait pas à cette époque."

"On est dans le Japon d'après-guerre et d'un seul coup il devient culturellement un pays fréquentable"

Cette mise en lumière du cinéma japonais est un événement national : "On est dans le Japon d’après-guerre et d’un seul coup il devient culturellement un pays fréquentable", poursuit le cinéaste français. Le scénario de Rashomon, qui raconte l’histoire d’un crime relaté de manière différente selon les témoins, fait carton plein. Si bien que le réalisateur américain Martin Ritt en fera un remake 14 ans plus tard. Entraîné par le légendaire Paul Newman dans le rôle principal, L’Outrage (1964) s’inscrit dans le genre cinématographique du western. Et c’est loin d’être le seul.

Pionnier du western

Tout le monde se souvient du duel de regard entre Charles Bronson et Henry Fonda sublimé par la bande originale d’Ennio Morricone dans Il était une fois dans l’Ouest (1968). Et si vous appreniez que le grand Sergio Leone a débuté sa carrière par un des plus gros plagiats de l’histoire du cinéma ?

Remettons dans le contexte. En 1964, le réalisateur italien s’apprête à populariser le western spaghetti en sortant Pour une poignée de dollars avec Clint Eastwood en tête d’affiche. Le long-métrage comptabilise plusieurs millions d’entrées (plus de 4 millions en France). En réalité, ce chef-d’œuvre est une copie du film Le Garde du Corps réalisé par Akira Kurosawa en 1961, dont le rôle principal est assuré par son acteur fétiche Toshiro Mifune. Tout y est. Le personnage solitaire, errant et malpropre, qui fait étape dans un village frappé par la mort. Loin des cow-boys propres et positifs à la John Wayne, le réalisateur transalpin suit les pas de Kurosawa et crée des protagonistes magouilleurs qui se vendent uniquement au plus offrant. Les similitudes sont nombreuses, à commencer par le kimono de Toshiro Mifune et le poncho de Clint Eastwood.

 

Évidemment, cette copie ne passe pas inaperçue : "Il y avait cette naïveté de Sergio Leone et de ses producteurs. Ils ont pensé que personne ne découvrirait le plagiat d’un film japonais", explique Pascal-Alex Vincent. Au contraire, le cinéaste nippon et son studio de production n’apprécient pas du tout le geste : "Il y a eu un procès. La Toho contre les producteurs de Sergio Leone qui ont évidemment perdu. Depuis 1964, 25% des recettes du film remontent donc à Kurosawa et à son studio et puis désormais à ses héritiers." 

"C'est l'un des plus gros succès de l'histoire des westerns."

Certains sont plus malins et demandent l’accord du génie en personne. Le chiffre 7 vous parle ? Les Sept Samouraïs, sorti en 1954, est le plus grand succès d’Akira Kurosawa : "Beaucoup d’adolescents de cette époque-là ont vu les Sept Samouraïs. C’était un film hyper populaire et je crois même qu’il a été doublé en français", explique Stéphane du Mesnildot. Ce coup de maître suscite un vif intérêt chez John Sturges qui souhaite en faire une version américaine tout en suivant les règles : "C’est un remake officiel et un des plus gros succès de l’histoire des westerns. Il y a eu une négociation des droits et un contrat entre Hollywood et la Toho", témoigne Pascal-Alex Vincent. Les Sept Samouraïs deviennent alors Les Sept Mercenaires en 1960. Tout comme les guerriers japonais, les mercenaires de Sturges viennent à la rescousse d’un village attaqué par des bandits et tentent de le défendre. Avec un casting de luxe composé notamment de Steve McQueen et Charles Bronson, l’Américain réussit à surpasser le maître en passant d’un Japon médiéval au Mexique avec réussite. 

 

Inspirateur de Star Wars

Bien au-delà des déserts américains, des westerns spaghettis, de Clint Eastwood et des cow-boys, le cinéma d’Akira Kurosawa vient même se loger chez les admirateurs de science-fiction. Dans une galaxie lointaine, très lointaine, un jeune réalisateur du nom de George Lucas s’est inspiré du Japonais pour créer une saga qui deviendra la plus célèbre de tous les temps : Star Wars. En réalité, le premier épisode appelé originalement La Guerre des étoiles (1977) est un "décalque sidérant" de La Forteresse Cachée, sorti en 1958 au Japon. Chose que le créateur de Dark Vador a toujours assumé en interview.

"C'est un film de samouraïs dans l'espace." 

Mais comment peut-on comparer un film japonais à un film de science-fiction hollywoodien ? Là encore, Akira Kurosawa est en avance sur son temps. Sa manière de filmer et raconter le cours de l’histoire plaît énormément à Lucas. Dès la séquence d’ouverture, la ressemblance est frappante : une phrase d’introduction sur fond noir puis une amorce sur deux paysans perdus au milieu du désert. Ce ne sont pas des robots mais le duo est incontestablement de la même morphologie que C-3PO et R2-D2. On y retrouve également une princesse au style très futuriste qui engage un mercenaire pour traverser le territoire ennemi. Une survivante, chargée de refonder son clan décimé tout comme la princesse Leia, guide de l’Alliance Rebelle. Star Wars est un véritable nid à références pour les fans du cinéaste japonais. Des volets comme outil de transition entre les plans, au casque de Dark Vador semblable à celui d’un samouraï, les similitudes sont nombreuses. 

 

Et que serait La Guerre des étoiles sans combats ? Inspirés du chanbara (genre cinématographique de bataille de sabre) très utilisé par Akira Kurosawa, les sabres lasers sont essentiels pour que la magie Star Wars opère. George Lucas reprend chaque gestuelle et technique de combat pour créer des guerriers japonais futuristes : "Il y a toute une philosophie asiatique avec le système de maître et de disciple aussi. En fait, c’est un film de samouraïs dans l’espace", révèle Stéphane du Mesnildot. Cet avant-gardisme impressionnant ne sera pas sans conséquence explique le critique : "Il a été l’une des grandes influences de tous ces cinéastes des années 70 : Steven Spielberg, George Lucas ou encore Francis Ford Coppola. À tel point qu’ils lui rendront la pareille en le produisant des années plus tard."

 

Modèle d'Hollywood

A la fin des années 60, les studios de production font faillite au Japon et Akira Kurosawa a de plus en plus de mal à financer ses films. Celui qui est appelé "l’empereur du cinéma japonais" est au plus bas. D’abord aidé par les Russes, il reçoit le financement des grands réalisateurs hollywoodiens à partir de 1979. Kagemusha l'Ombre du guerrier, produit par George Lucas et Francis Ford Coppola, sort dans les salles en 1980. Ses scènes grandioses de guerres et combats lui vaudront un large succès international et notamment la Palme d'Or au Festival de Cannes la même année.

Puis vient ensuite Rêves (1990). Produit par Steven Spielberg, qui réalisera Jurassic Park trois ans plus tard, le film est composé de huit court-métrages. Dans l’un d’eux, Martin Scorsese y tient le rôle principal. Encore un grand admirateur d’Akira Kurosawa qui s’en inspirera pour ses plus grands chef d’œuvres : "Par exemple, la scène où Toshiro Mifune dans Chien Enragé (1949) erre dans Tokyo, il y a des gros plans sur ses yeux puis de la ville en pleine pauvreté. Si vous regardez l’introduction de Taxi Driver (1976), vous aurez exactement la même chose. Des gros plans sur les yeux de Robert de Niro et les rues sombres de New-York", analyse Stéphane du Mesnildot. 

"Il a fait comprendre qu'il pouvait faire comme les Américains."

L’effet Kurosawa est aussi très présent chez les cinéastes de la génération suivante : "Il a popularisé les grosses mares de sang qui coulent de façon abondante et complètement irréelle dans Le Garde du Corps et Sanjuro. Kurosawa a fait comprendre qu’il pouvait faire comme les Américains", poursuit le journaliste. Ces mares de sang ne vous rappellent rien ? Du Quentin Tarantino par excellence. Dans chacune de ses œuvres, les règlements de compte se terminent toujours en bain de sang. Kill Bill (2003) est l’exemple même de cette inspiration. Tueuse de sang-froid, Beatrix Kiddo (Uma Thurman) incarne le style japonais : experte en arts martiaux, elle manie à la perfection le katana (sabre utilisé par les samouraïs). Son combat face à O-Ren Ishii (Lucy Liu) reste évidemment dans les mémoires et nous plonge au cœur des yakuzas.

La dernière image symbolique de sa vie ? Akira Kurosawa recevant son Oscar d’honneur en 1990, donné par deux de ses plus grands admirateurs : Steven Spielberg et George Lucas. Cinq ans plus tard, "l’empereur du cinéma japonais" chute lors d’un ultime tournage et se brise la base de la colonne vertébrale. Il finit les dernières années de sa vie en fauteuil roulant et décède en 1998 à Tokyo. L’héritage laissé par Akira Kurosawa est immense conclut Pascal-Alex Vincent : "C’est grâce à lui que les Européens, les Américains et les Russes ont vu du cinéma japonais pour la première fois. Après sa découverte, il n’a plus été possible de filmer l’action comme autrefois. Il a rebattu les cartes, y compris à l’étranger."

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