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JO de Paris 2024 : quatrièmes aux Jeux, ils racontent le moment fatidique où ils ont frôlé la médaille olympique

Pierre Godon

Publié

Le podium olympique, ils l'ont touché du doigt, effleuré, entrevu, rêvé. Mais ils en sont restés au pied, à la "place du con", détenteurs amers ou virtuels de la médaille en chocolat qui n'apparaît sur aucun palmarès. Pour certains, c'est une banale histoire de chrono ou de dixièmes de points. Pour d'autres, c'est une histoire incroyable, un concours de circonstances ou un improbable alignement de planètes. En voici sept d'entre eux. A vous de choisir si vous la préférez amère, fière, injuste, larmoyante, alcoolisée ou virtuelle.

Eamonn Coghlan

"Est-ce que ma vie aurait changé si j'avais décroché une médaille ?"

JO - Récidiviste (Léa Girardot et Jérémie Luciani)

"Raymond Poulidor ? Jamais entendu parler !" Pourtant, Eamonn Coghlan est bien l'un de ces serial losers de l'histoire du sport. De l'athlétisme et du demi-fond, en l'occurrence. Si, en Irlande, on se souvient de ses titres et de ses records, dans les livres d'histoire, il reste à tout jamais l'homme qui a fini au pied du podium des JO deux fois de suite.

"La première, à Montréal [en 1976], j'étais le petit jeune qui montait sur le 1 500 m." Mais son cerveau mouline : son coach américain, en club, lui a fixé une tactique prudente, son coach irlandais, en sélection nationale, une autre, plus offensive. "J'ai paniqué" , se remémore Coghlan, qui s'est porté en tête "trop tôt" . Résultat, dans le dernier tour, "ils m'ont fumé un par un au finish" .

Le pire est encore à venir. "En bon Irlandais, mon coach m'a emmené pour une tournée des bars le soir, histoire d'éponger la défaite." Et sur qui tombe-t-on dans les pubs montréalais ? Des supporters irlandais, of course .

"Je suis à peine entré dans le bar que j'ai entendu une voix rugir : 'Hey, Coghlan, qu'est-ce que tu as branlé ? J'y suis de 10 livres de ma poche à cause de tes conneries !'"

Eamonn Coghlan

à franceinfo

Quatre ans plus tard, à Moscou, il mise sur le 5 000 m pour décrocher l'or. Le plan se déroule d'abord sans accroc, tant Eamonn Coghlan enquille les titres à la fin des années 1970, notamment celui de champion d'Europe. Qui c'est le plus fort ? Evidemment, c'est l'homme qui court en vert. Ce n'est pas un grain de sable qui va se mettre en travers de sa route, mais un microbe. "Deux semaines avant les Jeux, j'attrape la pire gastro de ma vie. Fièvre, diarrhée, pas moyen de chausser les pointes pendant une semaine. Juste avant de prendre l'avion, je me teste une fois. J'ai la poitrine compressée, mal aux jambes, pas de jus. On me détectera une fracture de fatigue après les Jeux."  

Le fondeur irlandais Eamon Coghlan lors d'un meeting à Los Angeles (Californie), en 1986. (TONY DUFFY / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Sans rouler des mécaniques, Eamonn Coghlan parvient tant bien que mal à passer les séries. En finale, le scénario de course le propulse en tête dans l'ultime tour de piste. L'Irlandais jette alors ses dernières forces dans la bataille. "Je tiens le rythme un moment. Et puis, à 75 mètres de la ligne, je perds tout. Mais au moment de franchir la ligne, je ne me dis pas : 'Merde, je suis encore quatrième.' Je suis juste dégoûté. Encore." 

Le double effet Kiss Cool se prolonge, comme quatre ans plus tôt, le soir après la course. Aucun parieur courroucé pour le rappeler à l'ordre, cette fois. Mais pire. "Mon père était le président de la Fédération irlandaise d'athlétisme. Il n'avait jamais bu une goutte d'alcool de sa vie. Et ce soir-là, je l'ai vu se mettre une mine." Pourtant, quatre décennies plus tard, pas une once de regret dans sa voix. "Est-ce que ma vie aurait changé si j'avais décroché une médaille ? On me reconnaît partout en Irlande, à New York, en Espagne. Je suis fier de la manière dont les choses se sont passées. De toute façon, je ne peux rien y changer !"

Evan Dunfee

"Il n'y a rien à contester, je suis quatrième, point"

JO - Gentleman (Léa Girardot et Jérémie Luciani)

Ce 19 août 2016, juste avant de franchir la ligne d'arrivée du 50 km marche, l'épreuve la plus éprouvante des Jeux de Rio, après 3h41 d'effort, Evan Dunfee titube. "Je n'arrivais plus à marcher sur les cinq derniers kilomètres. Je parlais à mes jambes : 'Allez, encore un pas…' Je me rapproche imperceptiblement d'Hirooki Arai, le concurrent japonais, classé troisième, 45 secondes devant moi. A un kilomètre de l'arrivée, je l'ai en ligne de mire. Je suis sur le point de le dépasser. Il n'arrivait plus à marcher très droit, moi non plus, et on s'est percutés. Ma première réaction n'a pas été : 'Oh non, je perds la troisième place !' Mais : 'Oh non, je ne vais jamais arriver à finir cette course.'"

Evan Dunfee puise dans ses dernières ressources pour passer la ligne, au pied du podium. Un temps de récupération mérité plus tard, il retrouve son bourreau, Hirooki Arai, au contrôle antidopage pour faire pipi dans une éprouvette. "On était deux à attendre que ça vienne, on a brièvement évoqué l'incident. Il s'est excusé, j'ai dit que ça faisait partie de la course, que je ne lui en voulais pas." C'est quand tout le monde se retrouve pour la cérémonie du podium que l'écran indiquant le classement bouge, envoyant Evan Dunfee sur le podium et son concurrent japonais à la 4e place. "Je n'ai alors aucune idée de ce qui se passe" , souffle le marcheur.

C'est donc dans la peau d'un médaillé de bronze potentiel qu'Evan Dunfee retourne dare-dare au village olympique. Mais une fois installé dans la salle vidéo de sa délégation, le Canadien se retrouve de nouveau avec la médaille en chocolat : les juges ont estimé qu'il était en tort lors de la fameuse collision. "J'avais prévenu mon coach : 'Je visionne les images et personne ne décide de faire appel sans mon aval. Il n'y a rien à contester. On est quatrièmes, point.'"  

Le marcheur canadien Evan Dunfee lors du 50 km marche des Jeux de Rio, au Brésil, le 19 août 2016. (STEPHEN MCCARTHY / SPORTSFILE)

Un choix spontané, sans regret. "Le moi de 2012, qui avait assisté en spectateur à la course de Londres, le long d'une barrière avec une pinte dans chaque main, faute d'avoir le niveau requis, aurait fait appel juste pour tenter sa chance. Mais je n'étais plus comme ça." Le garçon timide et mal dans ses baskets qui avait trouvé dans la marche un moyen de briller a fait du chemin, réfléchi à ce qu'il voulait faire de sa carrière. "L'objectif de gagner des titres n'avait pas changé. Mais ce n'est pas la seule chose qui comptait. Si j'avais tout donné sur la route, je n'avais rien à me reprocher."  

L'histoire aurait pu s'arrêter là. Or, cinq ans plus tard, à Tokyo, Evan Dunfee tient sa revanche sur l'histoire. A quelques kilomètres de l'arrivée, le voilà encore à la "place du con". Quand un coup de pompe de l'Espagnol le précédant lui offre la médaille de bronze sur un plateau. "Le plus drôle, c'est que j'ai eu bien plus de retombées médiatiques pour ma quatrième place à Rio que pour la troisième à Tokyo, qui n'était qu'une médaille de plus dans un sport réservé à des dingos."

"J'ai fait le compte, je détiens le record de quatrièmes places en grands championnats parmi les marcheurs actuels."

Evan Dunfee

à franceinfo

Il a aussi terminé deux fois 4e aux championnats du monde. "Le meilleur quatrième de l'histoire de la marche ? Je devrais en faire ma devise."

Karin Donckers

"A quoi ça tient d'entrer dans les livres d'histoire…"

JO - insouciante (Léa Girardot et Jérémie Luciani)

Imaginez une cavalière à peine sortie de Belgique, qui a monté son premier poney douze ans plus tôt, qui n'a pris part qu'à une poignée de compétitions internationales et qui frôle le hold-up parfait aux JO de Barcelone. Voilà l'histoire de Karin Donckers, qui, avec l'équipe belge, termine en 1992 au pied du podium du concours complet par équipes, cette épreuve qui cumule les points des cavaliers de chaque pays en dressage, cross-country et saut d'obstacles. Juste derrière les poids lourds de la discipline, dont l'Australie, "alors qu'un de leurs chevaux avait frôlé la disqualification. Si cela avait été le cas, j'aurais eu la médaille autour du cou…" 

C'est elle, la débutante, qui porte son équipe après sa huitième place au classement général individuel et une performance exceptionnelle sur le cross-country. "J'étais encore étudiante. On n'était pas parmi les favoris, même pas dans les outsiders. Moi, j'y ai vu une bonne raison de faire la fête après le concours. J'étais jeune, je pensais que le monde était à mes pieds. Aujourd'hui, je me demande un peu pourquoi." Karin Donckers se fait évasive sur cette nuit barcelonaise d'après concours. Un naturel pudique, l'envie de ne pas remuer le couteau dans la plaie, voire un mélange des deux.

"J'ai mis des années à mesurer à quel point ce résultat était vraiment exceptionnel."

Karin Donckers

à franceinfo

La preuve : plus de trente ans après, elle n'est jamais montée sur la boîte aux JO, alors qu'elle est toujours en activité. "Ce qui est très difficile avec l'équitation, c'est que vous pouvez être dans la forme de votre vie, il faut que votre cheval le soit aussi, et je ne parle même pas d'une épreuve par équipes. A quoi ça tient d'entrer dans les livres d'histoire… Ou d'en rester en marge, comme moi." Elle égrène ses regrets, ses occasions manquées, "des années difficiles où [elle] était vraiment dans le dur" . "Juste avant Sydney 2000, il y a eu un incendie dans mon écurie, j'ai perdu neuf chevaux, dont celui que je devais monter aux Jeux. A Pékin, en 2008, je finis neuvième, mais clairement, j'avais la capacité de jouer la médaille [elle était deuxième à l'issue du dressage] . Puis, un jour, vous réalisez que vous menez une vie où vous passez plus de temps avec votre cheval qu'avec votre compagnon."  

La cavalière belge Karin Donckers sur Gazelle de la Brasserie, lors des épreuves équestres des Jeux de Londres, le 30 juillet 2012. (ALEX LIVESEY / GETTY IMAGES EUROPE)

Qui plus est, dans un sport où la carrière s'étale sur plusieurs décennies. "J'ai vu le niveau augmenter avec les années. Aujourd'hui, on ne peut plus rattraper les points perdus lors du dressage via le cross-country." Elle ne dira jamais que sa chance est passée. Jamais. Pour elle, l'aventure olympique n'est pas terminée. Désormais quinquagénaire, elle n'a pas renoncé à l'idée d'effacer un jour ce traumatisme barcelonais. Pourquoi pas sur la piste installée dans les jardins du château de Versailles ?

Franck Elemba

"Si je monte un jour sur le podium, je me débrouillerai pour trouver un drapeau congolais"

JO - Banni (Léa Girardot et Jérémie Luciani)

"Je savais que ça allait être une soirée spéciale. Lors de l'échauffement, je m'entraînais aux côtés de Tomasz Majewski, rien de moins que le champion olympique sortant, et je ne comprenais pas comment mon poids partait aussi loin." La nuit magique de Rio 2016 reste gravée dans la mémoire du lanceur Franck Elemba, maillot jaune pétard de la République du Congo sur le dos. Quand il s'agit de raconter sa préparation olympique, il décrit plus un parcours du combattant pour décrocher quelques fonds que des moments passés sur le tartan. Même au village olympique, son coach l'exfiltre du secteur congolais, trop bruyant. "Je me suis retrouvé avec des Israéliens, c'était beaucoup plus calme."

Franck Elemba lors des qualifications du concours du lancer du marteau des Jeux de Rio (Brésil), le 18 août 2016. (IAN WALTON / GETTY IMAGES SOUTH AMERICA)

Le soir de son concours, Franck Elemba tient la forme de sa vie. Sa place en finale est rapidement assurée. "C'était déjà le meilleur résultat de l'histoire olympique de mon pays" , souffle celui qui a révisé ses fiches. Rapidement, un jet canon le propulse sur le podium. Une place qu'il occupe provisoirement jusqu'au dernier essai, quand un concurrent néo-zélandais lui grille la politesse. Le colosse de 130 kg se retrouve le dernier à lancer, les caméras du monde entier braquées sur lui.

"Je n'ai pas su gérer la pression”

Franck Elemba

à franceinfo

"Ce n'est pas quelque chose qu'on apprend, qui demande de l'entraînement. J'ai essayé de forcer mon lancer et j'ai mordu mon dernier essai." Franck Elemba reste au pied du podium, ce qui constitue déjà un exploit considérable pour un pays aux infrastructures inexistantes.

La médaille se dérobe pour 16 cm. Qui se transforment en gouffre à son retour au pays. "Le Premier ministre est le seul à m'avoir reçu pour me dire que j'aurais dû décrocher la médaille" . S'ensuit un silence de trois ans, selon sa version. Contactées, les autorités congolaises contestent vigoureusement cette version des faits. "Je leur ai envoyé un devis pour financer ma préparation pour les prochains Jeux. 40 000 euros sur quatre ans. Raisonnable,non ? J'attends toujours la réponse."

En 2021, la fédération congolaise l'enlèvera au dernier moment de la liste des athlètes retenus aux Jeux de Tokyo pour une histoire de refus de bourse que Franck Elemba conteste. "Ils ont mon numéro, ils ont mon mail. Je n'ai rien reçu. Rien." Il espérait tenter de nouveau sa chance à Paris sous les couleurs de son nouveau pays, la France, dont il a pris la nationalité en fin d'année 2023. Espoir douché après avoir échoué à réaliser les minima aux championnats de France, fin juin. "Si un jour, je monte sur le podium , je me débrouillerai pour trouver un drapeau congolais en plus du drapeau français. Pas question pour moi d'oublier d'où je viens. Ce n'est pas le peuple congolais qui m'a tourné le dos."

Fabe Dia

"On aurait dû être reclassées"

JO - Dépitée (Léa Girardot et Jérémie Luciani)

Un relais 4x100 m féminin, sur le papier, dure une quarantaine de secondes. Mais pour les relayeuses tricolores engagées sur la piste de Sydney, le marathon va durer plus de dix ans. Dans la nuit australienne du 30 septembre 2000, le résultat semble clair. La dernière relayeuse française, Christine Arron, coupe la ligne une vingtaine de centièmes derrière les Américaines, médaillées de bronze. Voilà la France au pied du podium. "Quand tu finis à un mètre de la troisième place… Merde, on y était presque" , jure deux décennies plus tard Fabe Dia, qui avait lancé la course pour les Bleues. "Bon, ce n'étaient pas des touristes devant." Les Bahamas de Veronica Campbell, la Jamaïque de Merlene Ottey et les Américaines de Marion Jones, donc… Que des grands noms du sprint de l'époque. Affaire classée ? Pas du tout.

Sept ans plus tard, un gigantesque scandale de dopage, l'affaire Balco, frappe de plein fouet l'athlétisme américain, à commencer par Marion Jones, trois médailles d'or et deux de bronze récoltées en une semaine. L'une des deux médailles de bronze est précisément celle du relais où les Américaines ont battu les Bleues d'un souffle. Fabe Dia s'attend à être reclassée à la troisième place avec ses coéquipières.

"La médaille, on ne l'a jamais reçue, mais quand je faisais mon CV, je mettais 'médaillée de bronze aux Jeux de Sydney'."

Fabe Dia

à franceinfo

Avec Linda Ferga, la sprinteuse est l'une des deux athlètes les moins connues de cette période bénie du sprint français, Muriel Hurtis et Christine Arron s'étant arrogées une place au panthéon de l'athlétisme tricolore. 

Au fil des ans, la médaille ne vient pas, pas plus qu'une quelconque communication du CIO. De toute façon, pour la sprinteuse, "c'est déjà trop tard" . "Les retombées, les contrats, on les avait perdus depuis longtemps. On aurait dû être reclassées dès 2001 [le début des démêlés de Marion Jones avec les instances antidopage]. Mais le symbole était fort. Je me disais qu'il y avait une justice."

La sprinteuse Fabe Dia (à droite) aux côtés de sa coéquipière Christine Arron, affiche sa déception de terminer 4e du relais 4x100 mètres des Jeux de Sydney, le 30 septembre 2000. (OLIVIER MORIN / AFP)

Espoir déçu. "C'est quand vous m'avez contactée que je suis allée vérifier. Au début, je pensais vraiment que Wikipédia se trompait sur mon palmarès. Après, j'ai réalisé. Je n'ai jamais rien eu dans les mains. Cette troisième place est restée virtuelle." Et pour cause. Au terme d'une interminable bataille judiciaire, les trois autres relayeuses américaines ont gagné devant les tribunaux le droit de conserver leur place sur le podium, au détriment des sprinteuses tricolores. 

Une exception à la jurisprudence qui prévaut habituellement en athlétisme : tout relayeur déclassé entraîne la disqualification de son équipe. Sauf cette fois. L'histoire ne se termine pas (complètement) en queue de poisson : quatre ans après Sydney 2000, Fabe Dia fait partie du relais français qui décroche le bronze aux JO d'Athènes. Mais cette fois, en tant que remplaçante . "Cette médaille ne représente pas la même chose. Je ne sais même pas si elle est gravée à mon nom."

Fanny Smith

"Ce moment, on me l'a volé"

JO - plébiscitée (Léa Girardot et Jérémie Luciani)

Un sourire jusqu'aux oreilles éclaire le visage de Fanny Smith quand elle franchit la ligne d'arrivée en troisième position de l'épreuve de skicross à Pékin. La championne suisse, qui s'était fracturé le tibia quelques semaines plus tôt, n'espérait pas être à pareille fête. Encore moins monter sur le podium, encore sous antidouleurs. Le protocole veut que les athlètes médaillés reçoivent des fleurs, sitôt la ligne d'arrivée franchie. "Un moment festif… d'habitude , commente Fanny Smith. On attend. Longtemps. Au bout d'un moment, mon nom descend d'une ligne sur le tableau d'affichage. Je lâche : 'Il se passe quoi ?' On m'annonce que je viens d'être rétrogradée. Un énorme choc."

C'est un léger contact avec la concurrente allemande Daniela Maier, déséquilibrée dans la ligne droite finale qui sème le doute dans la tête des juges. Ils épluchent, image par image, tous les ralentis pour déterminer s'il y a eu faute ou pas. "Mais vous croyez que ce qu'ils voient sur les ralentis correspond à la réalité de ce sport ?" Le jour le plus long commence pour la Suissesse.

"Je suis abattue. Hagarde. Abasourdie. On me raccompagne hors de la zone d'arrivée."

Fanny Smith

à franceinfo

Cerise sur la spatule, elle doit "se coltiner le contrôle antidopage. Je n'avais qu'une envie, partir très loin de là." Fanny Smith fait appel de la décision, qui n'est pas attendue avant plusieurs jours. C'est sans la skieuse vaudoise que se déroule le podium, les hymnes, la remise des médailles et les larmes qui coulent sur les joues des médaillées. "Ce moment, on me l'a volé" Fin de l'histoire ? Le début, plutôt.

Fanny Smith (à gauche) et Daniela Maier (à droite) attendent le résultat de la finale du skicross des Jeux de Pékin (Chine), le 17 février 2022. (PICTURE ALLIANCE / PICTURE ALLIANCE)

"Je devais disputer une épreuve de Coupe du monde quelques jours plus tard, en Roumanie. Mais dans mon état, c'était impensable." Fanny Smith va même jusqu'à envisager de raccrocher les skis. Pas longtemps. Une vague d'amour monte de Suisse, à l'initiative de Robin Carrel, journaliste au Matin , qui improvise l'opération "Du bronze pour Fanny" . Si le CIO lui refuse sa médaille, le peuple suisse la lui offrira. De tout le pays arrivent des chaudrons, des cymbales, des poids d'anciennes pièces de 10 francs français, un trophée de gymnastique datant de 1962… Au total, 30 kg de ferraille. Robin Carrel les livre à l'une des dernières fonderies locale. Il en ressort une médaille factice gravée du "Chat" du dessinateur Philippe Geluck.

Mais dix jours après la course, nouveau virage. La fausse médaille est encore chaude quand les juges reviennent sur leur décision. Ils reclassent Fanny Smith sur le podium, le 26 février 2022. C'est au tour de Daniela Maier d'angoisser. Va-t-elle céder sa médaille ? L'attente dure plus de six mois avant le verdict. La fédération internationale de ski tort finalement le bras du CIO pour obtenir un accord à l'amiable et reclasser les deux athlètes ex æquo. Il y a donc deux médailles de bronze dans l'armoire à trophées de Fanny Smith ! "La médaille symbolique m'a autant touchée que la vraie ."

Sam Edney

"On a été reclassés troisièmes durant six semaines"

JO - Balloté (Léa Girardot et Jérémie Luciani)

"La pire place, c'est toujours la quatrième. Quand tu finis cinquième, tu l'acceptes assez facilement." Sam Edney n'a jamais revu la vidéo de sa course du relais par équipe mixte de luge à Sotchi (2014), avec ses coéquipiers Alex Gough, Tristan Walker et Justin Snith, "mais je me rappelle très bien qu'on tirait la tronche" . Forcément, un dixième de secondes les sépare du podium. Performante durant toute la saison, l'équipe du Canada se rate le jour J. "J'ai des flashs de l'après-course. On était choqués. Je revois des bières. Pas mal de bières. Mon coach qui me prend à part. Et le lendemain, on rend les clés de notre chambre au village olympique."

Le twist de Noël 2017, Sam Edney ne l'avait pas vu venir. Entre la dinde et la bûche, le lugeur apprend que l'équipage russe, classé deuxième, a été contrôlé positif après les révélations d'un lanceur d'alerte. Voilà les Canadiens qui s'imaginent tout schuss récupérer une médaille sur tapis vert.

"Forcément, on s'est fait la blague : 'Noël tombe en avance cette année !'"

Sam Edney

à franceinfo

Mais à deux mois des JO d'hiver à Pyeongchang, rien n'est confirmé. "Ce n'est pas comme si une date avait été calée pour nous remettre la médaille de bronze qui nous revenait. Il fallait qu'on reste concentrés." Le champagne reste au frigo et la Team Canada se remet au travail.   

Sage précaution. "En fait, on a été reclassés troisièmes durant six semaines" Puis, début février 2018, un appel russe casse la décision. Revoilà les Canadiens avec la médaille en chocolat. Ils l'apprennent dans un café de Pyeongchang, quelques jours avant le début des épreuves. "Un concentré d'émotion, d'incrédulité, de colère, en quelques secondes , décrit Sam Edney. D'un coup, j'ai perdu foi dans le système. J'étais désormais convaincu que le sport propre ne payait pas." Cellule de crise à la fédération canadienne, conférence de presse pour évacuer le sujet et longue nuit autour d’un Scotch pour aider les lugeurs à passer à autre chose. "Le coach a cherché à canaliser notre colère pour nous motiver."

Le lugeur canadien Sam Edney lors d'une conférence de presse à Pyeongchang (Corée du Sud), le 4 février 2018 au sujet de l'imbroglio autour de la médaille de bronze de l'épreuve de luge par équipes des précédents JO de Sotchi. (STEVE RUSSELL / TORONTO STAR)

Rétrospectivement, Sam Edney reconnaît avoir sacrément gambergé. "Quand je loupe le bronze d'un souffle en 2014, j'ai 30 ans. J'ai vraiment hésité à rempiler, ça avait fait l'objet de longues discussions avec ma compagne." Quatre ans plus tard, deux des quatre Russes qui lui ont soufflé la médaille sont encore sur le circuit. "On se croisait poliment. Bon, je n'aurais pas été jusqu'à les inviter à dîner non plus. Mais il faut faire la part des choses. Ils faisaient partie d'un système. Ce ne sont pas les sportifs qui prenaient la décision de se doper."

Il ne reste à Sam Edney que quelques souvenirs de cette triste période et un diplôme de participation aux Jeux de Sotchi qui prend la poussière dans son garage. "Dans mon cœur, c'est une médaille. Je devrais le sortir du carton où il moisit ! Et le mettre avec l'autre." La médaille d'argent qu'il a décrochée en Corée du Sud en 2018, quelques jours après que le ciel lui est tombé sur la tête. Galvanisé par la rage.

Crédits

Journaliste : Pierre Godon

Conception et design : Léa Girardot

Développement : Valentin Pigeau

Relecture : Boris Jullien

Illustrations : Jérémie Luciani

Supervision éditoriale : Julie Rasplus et Romain Scotto

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