Paris 2024 : "Demander des médailles à des gens à qui on ne laisse pas une piscine, c'est culotté"... La galère du plongeon tricolore pour préparer ses Jeux

L'équipe de France de plongeon a dû préparer les Jeux olympiques de Paris 2024 en dépit de nombreux obstacles et difficultés, notamment avec la fermeture longue durée de l'une de ses piscines d'entraînement
Article rédigé par Loris Belin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le plongeur français Alexis Jandard à l'entraînement à l'INSEP, le 15 avril 2024 (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

C'est comme "mettre Lewis Hamilton en karting ou en Clio sur un circuit de Formule 1 en espérant qu'il gagne". Benjamin Auffret, quatrième des Jeux olympiques de Rio en 2016, décrit ainsi la situation des plongeurs français, à l'aube des JO de Paris. Même retraité des plateformes, même habitué des difficultés de sa discipline dans l'Hexagone, il n'a pas été au bout de ses surprises pour ses ex-congénères dans leur quête vers Paris 2024. Les Bleus ont vécu une préparation entre système D permanent, et espoirs de réussite à partir du 27 juillet prochain.

L'épopée débute fin janvier 2023. Ce n'est que le début de la préparation des Jeux, alors un horizon assez lointain, 18 mois plus tard. Mais la mise en route devient rapidement le branle-bas de combat. La piscine de Montreuil, bastion historique de l'équipe de plongeon à 10 mètres, doit subir des travaux en vue, justement, du rendez-vous olympique. Initialement programmés au mois de juin 2023, ils doivent débuter plus tôt et bouleversent les calendriers. Si l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la plateforme) dispose de tremplins à 3 mètres, il n'existe aucune alternative en région parisienne pour les plongeurs à 10 mètres. Les futurs olympiens sont alors des "sans plongeoirs fixes".

La tête la première dans les remous

"On a saisi l’opportunité des JO pour obtenir des financements", admettait auprès du Parisien [article payant] Anne-Marie Heugas, vice-présidente en charge des sports d'Est Ensemble, la communauté de commune à laquelle appartient la ville de Seine-Saint Denis. La réfection est avancée mais la date butoir de fin de chantier reste inchangée pour Montreuil, retenu pour accueillir le water-polo et les entraînements des équipes qualifiées. Quitte à sacrifier ceux de l'équipe de France de plongeon.

"On a vécu une année assez dure, raconte Emily Hallifax, qualifiée en plongeon synchronisé à 10 mètres. On a dû faire beaucoup de déplacements, on est allés en Allemagne, on a fait de nombreux stages pour trouver une piscine." Allers-retours dans la journée à Schiltigheim, près de Strasbourg, l'un des seuls bassins français disposant d'une plateforme aussi haute, déplacements à Londres… L'encadrement des Bleus a dû trouver des plans B à la hâte, et sans lendemains. Presque de quoi en faire regretter le vieux Stade nautique Maurice-Thorez montreuillois.

Le plongeoir de la piscine Maurice-Thorez de Montreuil, ici en 2018 durant les Gay Games (JULIEN MATTIA / MAXPPP)

"On n'a pas le choix, on va dans une piscine publique, c'est le seul pôle de haut niveau où il y a du 10 mètres, résume Benjamin Auffret, toujours proche des plongeurs français. Et ils leur ferment la piscine à un an des Jeux. Peu importe qui a pris cette décision, ce n'est pas une bonne idée. Déjà que pour faire du plongeon en France, il faut être un peu maso… Ce n'est déjà pas facile. Nous, on a besoin de silence et il y a tous les petits scolaires autour qui sont en train d'apprendre à nager, qui sont impressionnés et qui se mettent à hurler. Il n'y a pas de système de vidéo, pas de tapis, pas de trampoline, pas toutes les hauteurs, la plateforme n'est pas assez large pour faire du synchronisé, donc sur les quatre disciplines olympiques, il y en a une qui ne peut pas travailler. C'est déjà vachement compliqué."

Ce qui n'était déjà "pas grand-chose" comme l'évoquent de concert Benjamin Auffret et son compère Alexis Jandard n'est alors plus rien du tout. "C'est une situation très précaire qui n'a pas lieu d'être à 18 mois des Jeux de Paris, quand on attend d'athlètes qu'ils soient opérationnels, nous expliquait Alexis Jandard, plongeur à 3 mètres, en février 2023. Quand on fait l'état des lieux aujourd'hui, c'est ridicule. C'est sidérant quand on sait que les pays étrangers mettent des moyens dingues, que d'autres attendent de venir ici en stage et on ne peut même pas les accueillir parce qu'on n'a pas de piscines, et le peu qu'on a, elles ferment."

Kilomètres, fatigue sont au programme des nageurs qui, pour certains, ajoutent au plongeon des études sur Paris. "C'est finalement drôle d'aller tester plein de piscines, en sourit Emily Hallifax. On gagne en adaptation. Quand on arrive en compétition, c'est juste une piscine de plus." Les plongeurs à 3 mètres ont, eux, dû partager les équipes d'encadrement, entraîneurs ou kinés, le temps de leurs déplacements. "Moi j'ai été un peu épargné par tout ça à 3 mètres, mais j’aurais aimé être avec mon équipe de A à Z. Malheureusement on n’a pas toujours cette chance", souligne Alexis Jandard, interrogé le 17 avril.

Peu de moyens mais des résultats

Avec ces moyens du bord, ils ont préparé l'événement olympique mais aussi les compétitions pour s'y qualifier : les Mondiaux de Fukuoka en juillet 2023, puis ceux de Doha en février dernier. "En début d'année, c'était vachement compliqué parce qu'on ne savait pas trop quand on allait avoir une piscine en France, raconte Emily Hallifax. On a tout fait pour avoir une piscine à notre disposition pour pouvoir s'entraîner parce qu'on avait les championnats du monde en février qui approchaient, et c'était la dernière épreuve de qualification pour les Jeux. Les entraîneurs se sont bien débrouillés."

Si le plongeon avance dans l'ombre de la natation, des Léon Marchand ou autres Maxime Grousset, les Bleus ne font pas que de la figuration. Associé à Jules Bouyer, Alexis Jandard a décroché le bronze du tremplin à 3 m synchronisé lors des Mondiaux 2023. "Je trouve qu'on ne se débrouille pas si mal, disait-il avant sa médaille. C'est ça qui me désole encore plus. Avec le peu qu'on a, on arrive à faire des résultats. On a eu des champions d'Europe, des vice-champions du monde… Punaise, il ne nous faut pas grand-chose ! On y arrive quand même mais ce n'est pas une raison pour rester sur nos lauriers. Si on veut des médaillés olympiques, mettez les moyens. Là c'est trop tard, il aurait fallu y penser il y a dix ans."

Le Centre aquatique olympique, indispensable et indisponible

Pour tenter d'y remédier, la France a construit le Centre aquatique olympique (CAO) de Saint-Denis, écrin dans lequel auront lieu les compétitions de plongeon, et futur nouveau camp de base du Pôle France. "C'est la plus belle piscine de France, sûrement la plus belle piscine olympique dans l'histoire du plongeon", s'enthousiasme Emily Hallifax. Inauguré en grande pompe le 4 avril dernier, le CAO a offert un mois de répit et de répétitions à l'équipe de France en mars. Un avantage court, mais salutaire, sur la concurrence, qui découvrira les lieux uniquement du 8 au 10 mai pour un "test event".

Jeux olympiques : visite du nouveau centre aquatique

Saint-Denis et Montreuil encore fermés d'ici les JO

Sitôt le test event passé, le Centre aquatique olympique fermera de nouveau ses portes jusqu'à fin juillet. "On attendait cette piscine depuis toujours. Malheureusement, on n’a pas encore le droit d’y accéder, regrette Alexis Jandard. Après les Jeux, elle fermera un an [ouverture au grand public en juin 2025]. Donc voilà, on a cette piscine, c’est en train de se mettre en place, mais c’est vrai que pour l’instant, les accès sont vachement limités."

L'équipe de France va donc "revoyager un peu" dans les prochaines semaines, selon Emily Hallifax. Ce en dépit de la pression de l'événement, et des attentes. "Quand on est athlète, qu'on nous demande des résultats mais qu'on ne nous en donne pas les moyens, c'est dur de devoir se justifier, poursuit Alexis Jandard. On ne veut pas mettre la faute sur les autres éléments, alors on se la met sur nous-mêmes."

"Je l'ai plutôt bien vécu, ça ne m'a pas trop dérangé non plus de me déplacer. Maintenant qu'on approche de plus en plus de l'échéance… [elle soupire] J'ai un peu plus peur."

Emily Hallifax, qualifiée pour Paris 2024 en plongeon synchronisé à 10 mètres

à franceinfo: sport

Les plongeurs tricolores ne devraient pas non plus avoir la possibilité de retrouver Maurice-Thorez à Montreuil, avant que les équipes olympiques de waterpolo n'en prennent possession. Alors que l'accès à la piscine était espéré dès le mois de mai, elle ne sera finalement mise à disposition de Paris 2024 qu'en juillet, a appris franceinfo: sport auprès d'Est Ensemble, communauté de commune gestionnaire de la piscine. Soit, au mieux, un peu plus de trois semaines avant la cérémonie d'ouverture. "Aller demander des médailles à des gens à qui on ne laisse même pas une piscine, c'est un peu culotté", s'agace Benjamin Auffret.

"C'est dans ces moments-là qu'on arrive à trouver quelque chose de beau, il ne faut pas tout voir en noir, philosophe Alexis Jandard. Mais on ne joue pas avec les mêmes armes, c'est dommage." Sa médaille de bronze de Fukuoka 2023, il était allé la chercher en dépit des aléas. "Si je dois construire la Tour Eiffel avec un morceau de bois et une pierre, eh bien, feu, on y va. Ça fait dix ans qu'on fait comme ça, on ne va pas se laisser abattre maintenant."

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