Cet article date de plus de deux ans.

ENTRETIEN. "Il faut faire tomber les barrières du handicap et continuer à rêver", plaide la médaillée paralympique Erika Sauzeau

Médaillée de bronze à Tokyo l'été dernier en aviron après être passée par le programme La Relève, la rameuse de 39 ans revient sur la journée de détection du Comité paralympique et sportif français qui a changé sa vie en 2019.

France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Erika Sauzeau, médaillée paralympique à Tokyo en 2021, est membre du team La Relève, le programme de détection lancé par le Comité paralympique et sportif français (CPSF) en 2019. (CPSF)

Les yeux rivés sur l'atelier de tir de précision, Erika Sauzeau est très attentive aux prestations des 35 participants à la journée de détection du Comité paralympique et sportif français (CPSF). Ce samedi 23 avril, dans sa tête, ce sont beaucoup de souvenirs qui remontent à la surface. Il y a trois ans, lors de la première édition de ce programme de repérage des athlètes à haut potentiel en situation de handicap, intitulé "La Relève", elle a vu sa vie prendre un tournant à 180 degrés. Pour franceinfo: sport, elle revient sur son expérience et nous livre ses impressions à deux ans des Jeux de Paris.

Franceinfo: sport : En 2019, vous participiez à la première édition de "La Relève". Aujourd'hui, vous êtes de retour pour cette troisième édition en tant que "marraine" en quelque sorte. C'était important pour vous de venir voir les nouveaux participants ?

Erika Sauzeau : Absolument, et c'est aussi une marque de soutien envers le CPSF qui a créé ce programme. Les membres du Comité nous disent que ce n'est pas grand-chose mais pour nous, et pour moi, ça a été un déclic. Savoir que l'on pouvait s'orienter vers différents sports, de voir que des fédérations étaient intéressées par nos profils... Et prendre conscience que l'on pouvait faire tomber des barrières, essayer de nouvelles disciplines sans se dire : "ah bah non, avec mon handicap ça va être compliqué".

Justement votre exemple est saisissant. En un an et demi, vous vous êtes retrouvée à disputer les Jeux paralympiques de Tokyo en aviron alors que vous n'aviez jamais pratiqué...

Oui, ce n'est pas du tout un sport que j'aurais choisi par moi-même parce que je ne faisais que des sports en fauteuil. Je faisais du basket et je découvrais le tennis. En plus, je suis très sensible au froid et c'est un sport d'extérieur... Et en fait j'ai accroché tout de suite. Comme quoi, parfois, il faut aller découvrir ! On peut se révéler dans un sport et y trouver un intérêt. C'est vraiment ce message là que j'essaie de faire passer. Que les participants vivent bien cette journée, qu'ils en profitent pour échanger avec les personnes qui sont autour d'eux. Je sais ce qu'ils ressentent, je suis passée par là. Désormais je suis dans le circuit haut niveau, j'ai fait les Jeux... Tout cela pour dire qu'avec un gros investissement, on peut avoir des résultats.

Erika Sauzeau, médaillée paralympique en aviron lors des Jeux de Tokyo, lors de la journée de détection du programme La Relève, le 23 avril 2022. (PHILIPPE MILLEREAU / KMSP)

"Quand on regarde cinq ans en arrière, on peut dire que j'ai connu de belles réussites. Comme quoi il ne faut pas se fixer de barrières, et il faut avoir des rêves, continuer à rêver, plus que jamais !"

Erika Sauzeau, médaillée paralympique en aviron

à franceinfo: sport

Vous êtes arrivée dans le handisport à la suite de deux accidents qui ont provoqué une usure prématurée de l’articulation de votre genou gauche. Avec un peu de recul aujourd'hui, vous diriez que le sport a eu quel impact sur votre vie d'après ?

Un gros impact, c'est sûr. À travers le sport, j'ai accepté mon handicap. Ensuite, j'ai pris du plaisir et cela m'a conduit à une orientation plus compétitive. À reprendre une vie sociale, aussi. Quand on a un accident, on a des problèmes de mobilité, on reste souvent au coeur de la cellule familiale, c'est compliqué de sortir. Et là on retrouve des liens, des modes de fonctionnement d'avant. Et puis on peut faire du sport et s'éclater, cela ouvre plein d'autres portes. Ma famille et mes enfants peuvent voir qu'aujourd'hui je suis capable de faire des trucs de dingue, que je m'en suis sortie et ça c'est fou. Quand on regarde cinq ans en arrière, on peut dire que j'ai connu de belles réussites. Comme quoi il ne faut pas se fixer de barrières, et il faut avoir des rêves, continuer à rêver, plus que jamais !

Comment s'est passée cette transition vers le haut niveau ?

J'ai eu mon statut de sportive de haut niveau assez rapidement, en faisant beaucoup d'heures d'entraînement pour améliorer ma condition physique et puis surtout en apprenant à ramer car c'est très technique. Au haut niveau, il faut être capable d'envoyer les watts et avoir une technique quasi-parfaite pour ne pas freiner le bateau et être vraiment fluide. Je me suis entraînée d'abord en individuel, ensuite en couple en pointe, et après j'ai ramé en collectif avec des gens au palmarès impressionnant. Au départ c'est terrifiant : sur les deux premiers stages, on questionne sa légitimité, et au final ça se fait bien. Après il y a eu le passage à cinq, avec quatre rameurs et un barreur. Là, c'est davantage une question de confiance. Chacun de notre côté, on développe nos capacités individuelles pour les mettre à profit collectivement sur le stage. Ce sentiment est génial. Aujourd'hui on se retrouve entre sept à dix jours par mois environ.

Vous avez également intégré l'armée de champions, le programme d'accompagnement des sportifs de haut niveau du ministère des Armées...

Oui, et c'est un statut idéal pour un athlète. On est détachés à 100%, on fait juste un rassemblement une semaine dans l'année pour regrouper tous les sportifs de haut niveau de la Défense, et dans notre contrat on doit aussi parrainer une unité militaire qui est choisie par le CNSD (Centre national des sports de la Défense). Moi je suis à Douai, il faut créer un lien avec eux, je fais des petits défis sportifs, de la communication sur les Jeux, un retour d'expérience, de la sensibilisation aussi.

"Une meilleure prise en compte de l'accessibilité grâce à Paris 2024 ? Je pense que si l'on ne prend pas ce tournant, on ne le prendra jamais"

Erika Sauzeau, médaillée paralympique en aviron

à franceinfo: sport

Après cette médaille de bronze sur le quatre barré mixte à Tokyo, l'objectif est forcément l'or à Paris dans deux ans ?

Oui c'est l'objectif fixé, on veut battre les Anglais. On sait que la barre est haute, eux sont professionnels donc c'est vraiment différent comme mode de fonctionnement. Et puis c'est la course au handicap minimum, c'est le jeu pour toutes les nations pour performer. Mais rien que le fait d'être pro dans une structure, d'être payé tous les mois, cela change pas mal de choses. Mais on est très loin d'être résignés !

Pour terminer, quelles sont vos attentes concernant la question de l'accessibilité avec Paris 2024 ? Le cas de Londres 2012 est souvent plébiscité par les sportifs en situation de handicap comme un modèle à suivre, c'est aussi ce que vous pensez ?

Tous les athlètes qui ont pu aller à Londres il y a dix ans m'ont dit que c'était le top, en effet. Ensuite, si l'on ne prend pas le tournant Paris 2024, je pense qu'on ne le prendra jamais. Et la ville de Paris en est consciente, me semble-t-il. C'est une ville ancienne, ce ne sera pas possible d'aménager toutes les lignes de métro mais il y a des choses à faire. À Tokyo, j'ai découvert dans les bus des sièges accessibles pour les paras. Nous en France, on considère que s'il y a un fauteuil, il ne sera pas pour toi car tu es déjà dans un fauteuil et tu n'en sors pas. Il y a des idées à creuser et des inspirations à saisir. Par exemple aux Etats-Unis, certains commerçants utilisent des rampes pour fauteuils fabriquées en Lego, et ça marche très bien. Mais le stationnement, l'accessibilité en transports en commun et les trottoirs, c'est le trio, c'est toujours pareil. Au final, ce sont pas mal d'éléments mis bout à bout qui n'engagent pas à sortir et à être autonome. Dans l'esprit de beaucoup de valides encore, si vous sortez en fauteuil, il faut être accompagné. Les gens prennent conscience une fois qu'ils ont l'opportunité de tester. Rester une heure dans un fauteuil permet de se rendre compte des difficultés : ouvrir une porte, aller aux toilettes... Des choses du quotidien. Sans compter les aménagements que cela nécessite au niveau du logement. Il y a énormément d'enjeux sur la table et on espère que cette opportunité des Jeux à la maison fera bouger les lignes.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.