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Prolo, gaucho, "Capitaine Marleau" : qui est Corinne Masiero ?

La comédienne qui incarne la gendarme préférée des spectateurs français détonne autant que son personnage.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Corinne Masiero dans la série "Capitaine Marleau". (FRANCE 3)

"Atypique." L'adjectif colle à la chapka de la capitaine Marleau, héroïne éponyme de la série de France 3, au succès fou, qui revient sur France 3, mardi 23 octobre, avec un épisode inédit. Corinne Masiero, qui interprète cette gendarme bourrine mais sensible, est tout aussi "atypique", selon la réalisatrice Josée Dayan. L'actrice et son personnage ont en commun d'être "impertinentes, et puis elles sont généreuses et à la fois pudiques", liste-t-elle. Elles ont aussi "un sens de l'humour" à dérider les plus austères enquêteurs du PAF.

Masiero, Marleau, même topo ? Le costume de la capitaine est cousu "sur mesure" pour la comédienne de 54 ans. Josée Dayan l'avait déjà recrutée dans sa Collection Fred Vargas, pour le rôle de la lieutenante Violette Retancourt, il y a dix ans. En 2014, elle a demandé à la scénariste Elsa Marpeau d'écrire un rôle de "femme gendarme décalée", pour un téléfilm. "Je voulais retrouver Corinne Masiero", justifie la réalisatrice. "On tournait à Belle-Ile, il faisait froid, alors je lui ai mis une chapka et une parka, qui sont restées", se souvient Josée Dayan. Les routes étaient boueuses, "alors il lui fallait un 4x4". Capitaine Marleau était née, plus proche de Fargo, des frères Coen, que de Julie Lescaut.

"Je suis pas keuf"

Gare à ne pas mélanger l'actrice et son personnage, quand même. "Je suis pas keuf", insiste souvent la comédienne, avec le sourire. Et si le parcours de Marleau (qui n'a pas de prénom connu) reste mystérieux, Corinne Masiero, elle, ne planque pas ses casseroles. Elle s'en sert. Elle naît et grandit à Douai (Nord), en témoigne l'accent qui escorte sa voix grave et le ch'ti qui se glisse parfois dans les répliques de Marleau. Son grand-père, immigré italien, mineur, est "mort silicosé à 100%". Son père, galibot (jeune manœuvre dans les mines), devenu patron d'une petite auto-école, et sa mère, femme de ménage, ont sept enfants qu'ils trimballent en manif. "Un milieu prolo et coco à fond les ballons, avec réunions de cellule chez mes parents", raconte l'actrice à Libération.

Petite, Corinne Masiero s'ennuie ferme à l'école. Elle rêve d'ailleurs, mais "dehors, y a rien" et "tout le monde est au chômage". A 13 ans, après le divorce de ses parents, la gamine vrille. Elle découvre, très jeune, les "orgasmes synthétiques" : "acides, coke, un peu l'héro..." A 15 ans, Corinne part faire un tour d'Europe en stop, avant de rentrer en France pour obtenir, quand même, un bac littéraire. Mais "pour décrocher, tintin ! La méthadone n'existait pas encore", raconte-t-elle encore à Paris Match. Inscrite en fac de lettres à Paris, Corinne Masiero n'y met jamais les pieds, enchaîne les petits boulots, se prostitue, deale, et assume cette trajectoire qui aurait pu lui coûter la vie.

Avant d'être actrice, j'ai tenu un bistrot, j'ai été femme de ménage, j'ai gardé des gosses, j'ai vendu de la came, j'ai vendu mon cul (...) j'ai dormi dans ma ­bagnole.

Corinne Masiero

Télérama

Du théâtre de rue à Jacques Audiard

Le théâtre lui sauve la vie en l'attrapant par le colbac, un jour pourtant comme un autre, à Douai. "J'avais 28 ans, j’étais en train de zoner", raconte-t-elle encore à Paris Match. Des copains théâtreux lui demandent un coup de main "pour porter le matériel". Elle "poireaute" dans un coin quand on lui demande de monter sur scène, pendant les répétitions. "Je devais improviser des gestes. Déclic. Pour la première fois de ma vie, j’avais le droit de parler, d'exister, et les gens m'écoutaient", se souvient-elle. Pas question de redescendre. "C'est ça que je veux faire", se dit Corinne Masiero. La metteuse en scène lui offre un petit rôle, qui en appellera d'autres. "J'ai eu un de ces bols", confie la comédienne à Télérama.

Sans formation, Corinne Masiero jongle entre le théâtre de rue, "la meilleure école, celle de l'improvisation", les planches, la télévision et le cinéma. Elle débarque en Solange, la sœur de Fabienne Lepic, dans plusieurs saisons de Fais pas ci, fais pas ça, autre série à succès. Elle rayonne sur grand écran en 2012, dans Louise Wimmer de Cyril Mennegun, l'histoire d'une femme précaire mais fière, qui dort dans sa voiture, bercée par Nina Simone, et qui remue ciel et terre pour s'en sortir. Un personnage écrit juste pour elle, par ce réalisateur qui "la trouve extrêmement belle, extrêmement gracieuse, et avec une classe folle". Résultat : une nomination aux César l'année suivante. A la même époque, elle côtoie Marion Cotillard, dans De Rouille et d'Os, de Jacques Audiard, et découvre Cannes, "t'imagines ?". "Le festival avec le palace, le mec qui attend pour te maquiller les yeux ! Mettre une robe du soir, ça va pas la tête ! Avec des ­copains, on est allés acheter des ­bijoux chez Tati", se rappelle-t-elle pour Télérama.

Ancrage à gauche et taquet "aux patrons voyous"

Corinne Masiero prend vite ses marques dans le cinéma social, qui raconte les classes populaires et la précarité. En 2018, elle sera à l'affiche des Invisibles, de Louis-Julien Petit, en directrice d'un centre d'accueil pour femmes SDF condamné à la fermeture. Parfois la fibre sociale rejoint son goût de la poilade, par exemple dans Les Reines du ring (2013), où elle enfile les collants de "Kill Biloute", bouchère-catcheuse, ou dans Discount (2014), sur la révolte d'employés de supermarché menacés de licenciement par l'arrivée des caisses en libre-service.

Pas de hasard dans les choix de cette actrice, qui revendique son ancrage à gauche. En 2014, elle apparaît sur la liste du Front de gauche pour les élections municipales, à Roubaix. L'an dernier, elle soutient publiquement François Ruffin, le candidat de La France insoumise aux législatives, à Amiens (Somme). Elle intervient autant dans des écoles que des prisons et est en première ligne du combat pour les droits sociaux des intermittents, au sein de la "section bourrin" du collectif des "Interluttants" du Nord.

Son penchant à bâbord s'invite d'ailleurs dans chaque épisode de Capitaine Marleau. Un taquet aux "patrons voyous" par ci, une pique contre la réforme du Code du travail par là. La comédienne, qui réécrit souvent ses textes, ponctue les dialogues de références à l'actualité sociale. "Nous aussi, on peut arracher les chemises quand on veut", balance-t-elle à l'héritière d'une brasserie alsacienne, en clin d'œil aux syndicalistes d'Air France. "Dès que je le peux, je glisse des petits messages sur des causes qui me touchent", confie-t-elle à Paris Match : lutte contre "l'homophobie, la misogynie, les violences familiales…"

"Je reven­dique le droit d’être moche !"

En promotion pour la série, mercredi 11 avril, elle se pointe, torse bombé, portant un tee-shirt orné de l'affiche du film La Bataille du rail (1946), pour s'asseoir à côté de Guillaume Pepy, patron de la SNCF, en plein conflit social. "Très bon film et très belle bataille, qui continue dans les rues, avec mes camarades cheminots", assène-t-elle. Face caméra, elle demande au passage à Emmanuel Macron "d'arrêter de faire ses conneries". "Je trouve que depuis un certain temps, le service public est en train de se faire dégommer, détaille Corinne Masiero. Le Code du travail se fait dégommer, dans les Ehpad, c'est le bordel, dans l'éducation, dans la santé…"

Un franc-parler qu'elle assume. A une admiratrice qui lui lance, au festival CanneSéries, qu'elle est mieux en vrai, elle balance, selon Le Figaro : "Pourquoi faudrait-il qu'une actrice soit jolie ? Moi, je reven­dique le droit d’être moche !" La comédienne s'insurge régulièrement contre "les normes imposées par on ne sait qui" aux femmes, et notamment aux actrices.

Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas avoir la tronche refaite ? Ou défaite d'ailleurs ?

Corinne Masiero

TV Magazine

Elle refuse par ailleurs "les rôles de 'mère de', 'femme de' dévolus aux comédiennes de plus de 40 ans, martèle-t-elle à TV Magazine. Je réclame des scénarios adressés à des hommes."

Quand elle ne tourne pas, ce qui est devenu rare, Corinne Masiero retourne à Roubaix, profiter de ses copains et de son "amoureux", le metteur en scène Nicolas Grard, rencontré dans une manifestation, au début des années 2000. Le couple mène un grand projet, social et artistique, baptisé "Pataclown Tower" : mi-résidence d'artistes, mi-écovillage autogéré. "On fera de l’éducation populaire autour des arts, du théâtre, du cirque, de la danse. Chacun aura sa parcelle, pour garder son indépendance. Mais l'idée, c'est de prendre soin de chacun, de vivre ensemble. Et de s'aider quand la vie dérape", explique-t-elle à Paris Match.

Mais pas question de plaquer Capitaine Marleau tout de suite. Pas tant que Josée Dayan est aux commandes, en tout cas. Chaque fois qu'on l'interroge sur les raisons du succès de la série, Corinne Masiero répond : "Josée Dayan, Josée Dayan, Josée Dayan." D'ailleurs, elle ne supporte pas bien tout cet amour pour Marleau-Masiero. Si cela peut la rassurer, disons que c'est aussi grâce à un casting spectaculaire que la série cartonne : Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle, Victoria Abril, Pierre Arditi, Sandrine Bonnaire, Yolande Moreau… "Des cadeaux" de la réalisatrice, dont se délecte Corinne Masiero. Des partenaires à sa mesure, surtout. Pour Josée Dayan, "quand on met deux fauves dans la même cage, il se passe forcément quelque chose".

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