Une pièce réhabilite "Chocolat": 1er artiste noir en France
L'historien Gérard Noiriel et le metteur en scène Marcel Bozonnet ont adapté l'histoire de Rafaël Padilla (1868-1917), alias Chocolat, peint par Toulouse-Lautrec dans les cabarets de Montmartre et filmé par les frères Lumière dans un numéro célèbre de clown où il est maltraité par son comparse Footit. Ce duo est devenu la traditionnelle séquence de cirque entre le clown blanc et l'auguste.
Restés à l'affiche pendant quinze ans, ces sketches reposaient en partie sur les humiliations subies par le clown noir qui suscitaient l'hilarité du public. Le numéro s'achevait presque immanquablement par la formule : "Monsieur Chocolat, je vais être obligé de vous frapper".
Le destin tragique et "merveilleux" de Chocolat
Sur 2.000 affiches et tableaux de clowns de cette époque, aucun n'évoque Chocolat. "C'est quand même scandaleux que cet artiste-là n'ait aucune place dans la mémoire culturelle", s'insurge Gérard Noiriel. "Il y a vraiment là une exclusion de la mémoire".
Rafael de Leïos ou Rafael Padilla, plus connu sous le nom du clown "Chocolat" est né à Cuba en 1868. Vendu à l'âge de 11 ans comme esclave à un riche portugais, il arrive en Europe où il reprend sa liberté en s'enfuyant. Il survit de petits boulots avant de rencontrer en Espagne un clown anglais avec qui il part se produire à Paris.
En France, Rafael fait la connaissance d'un autre clown britannique Georges Tudor Hall, alias "Footit". Ensemble il vont faire les belles heures des salles de spectacles de la capitale, et en particulier du Nouveau-Cirque ou des Folies Bergères, avec un duo noir-blanc emblématique des rapports coloniaux de l'époque.
En ce temps là, Jules Ferry expliquait que "Les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures". "Chocolat" et Footit vont illustrer ce paradoxe d'une France qui affiche son universalité, mais où le racisme et les principes coloniaux restent très ancrés. Si plus d'un siècle a passé, les préjugés raciaux demeurent et certains hommes politiques français revendiquent toujours la supériorité de certaines "civilisations" sur d'autres.
Une gestuelle que l'on retrouve aujourd'hui dans le hip hop
Quand les Noirs américains sont arrivés, il n'était plus l'exotisme à lui tout seul", raconte Yann Gaël Elléouet, le jeune acteur noir choisi pour jouer Chocolat dans la pièce. Alors qu'il avait été le premier à montrer en France la gestuelle des esclaves noirs américains, des mouvements qu'on retrouve aujourd'hui dans le hip hop,les artistes américains qui arrivent nombreux à Paris éclipsent Chocolat qui meurt dans la misère, avant d'être oublié de tous.
Pour Gérard Noiriel, une autre raison de "la descente aux enfers de Chocolat" est la survenue de l'affaire Dreyfus. "Avec la critique de l'antisémitisme, du racisme, il devient impossible de montrer sur une scène française un noir frappé par un blanc", affirme-t-il. "Les Français ont un peu honte des raisons pour lesquelles on l'avait célébré, c'est la raison pour laquelle il va disparaître de la mémoire collective" malgré son talent, estime l'historien.
Gérard Noiriel a résuscité Chocolat pour illustrer un pan de l'histoire de l'immigration. Mais l'image même de "Chocolat" ne s'est jamais totalement effacée de l'imaginaire populaire grâce aux dessins de son compère noctambule Henri de Toulouse Lautrec, aux affiches publicitaires de la Belle époque qu'il illustra régulièrement et à cette expression familière "être chocolat" (être fait marron) dont il est directement l'inspirateur.
DU 14 au 18 mars: Théâtre des bouffes du Nord
"Chocolat, clown nègre, l'histoire oubliée du 1er artiste noir de la scène française". par Gérard Noiriel. Sortie prévue le 1er mars 2012
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