"Un coeur sauvage" : quand l'éveil des sens trouble la donne
Le coeur a ses raisons
"Pourquoi mon cœur dit non quand la raison dit oui ? Pourquoi pas la fusion entre elle et moi ? Pourquoi mon cœur s’y refuse ? J’aimerais le domestiquer celui-là !". Seul, debout face au public, Mathan, 17 ans, s’interroge et nous interpelle. Il y a peu de temps encore, ce jeune lycéen avait toutes les raisons du monde pour succomber au baiser de sa meilleure amie Virginie. Et ce serait si simple, si seulement il n’était pas tombé depuis amoureux de François, le garçon avec qui sort justement désormais Virginie !Entre amour et amitié, identité et rejet, désir ou peur de vivre, qui apprivoisera le cœur sauvage du héros ? Une chose est sûre, personne ne sortira indemne de ce triangle amoureux, pas même le public, qui va trouver dans chacun des personnages la possibilité de s’identifier.
Comédien ou militant
Entre le personnage de Mathan, ce jeune adolescent de 17 ans et le comédien, Douglas Lemenu, 24 ans, le lien est fort et personnel. "Pour préparer le rôle de Mathan, je me suis beaucoup rappelé du jour de mon coming-out lorsque j’avais 18 ans, ce jour ensoleillé de juillet. Je n’avais pas envie de le faire trop tôt, non pas parce que je doutais de moi, de mon attrait pour les garçons, mais plutôt parce que j’avais du mal à accepter le fait de me justifier auprès de mes parents et plus largement des gens en général. Je n’avais pas eu le souvenir d’avoir vu mon frère dire à mes parents : "voilà, j’aime les filles". Comme si ça coulait forcément de source. "C’était certainement déjà à l’époque mon côté révolutionnaire, un peu militant" (Rires !).
Douglas Lemenu a 14 ans lorsqu’il découvre "Un cœur sauvage" pour la première fois. La pièce est comme un miroir pour lui et son auteur devient un ami bienveillant qui lui propose sa reprise cette saison. Un engagement forcément qu’il assume. L’histoire a une véritable portée pédagogique. Elle est là pour éduquer et ouvrir les consciences. Les représentations devant un public de scolaires devraient se renouveler.
Il y a toujours cette peur de jouer un gay
Sur la scène du Funambule Théâtre, le comédien offre un Mathan tout en simplicité et sincérité. Sans artifice. On le suit ainsi pendant 1h15, des premiers balbutiements de son homosexualité jusqu’à son acceptation. Mais ce rôle qui semble écrit pour lui n’est pourtant pas si évident à endosser : la question du coming-out, de l’homosexualité est "une des problématiques qui nous a frappé de plein fouet tout au long des mois de préparation de cette pièce. Pas moins de trois comédiens se sont succédés pour jouer Mathan et j’ai repris le rôle un mois avant la première.Il y a une récurrence chez les comédiens dans la peur de jouer un rôle comme celui-ci, qui demande une véritable mise à nu. Il y a toujours cette peur de jouer un gay et de se voir apposer une étiquette qui conditionnerait à l’avenir à ne jouer que ce genre de rôle !
Le jeu de l’amour
Au-delà de Mathan, le trio formé avec Virginie et François permet aux spectateurs de s’identifier à ces adolescents en pleine crise amoureuse. Qui ne s’est jamais interrogé sur la frontière entre amour et amitié ? Une fille peut-elle être la meilleure amie d’un garçon ? Quand on lui propose le rôle de Virginie, Léa Malassenet n’hésite pas une seconde.Désillusions, mensonges et trahisons sont des étapes presque immanquables du chemin de l'adolescence et la comédienne les exprime à la perfection.Ce qui m'a captivée immédiatement, c’est l'adolescence dans toute sa globalité : l'amitié, l'amour, les déceptions, les espoirs, les changements physiques et psychiques, les premières fois. Bref, la construction de l'identité.
Dernier du trio, François, c’est le beau gosse du lycée. Le champion de tennis que toutes les filles s’arrachent. Artiste-chanteur de 21 ans,Thomas Violleau endosse le costume avec beaucoup de naturel. "Les personnages que l'on joue sont facilement identifiables car ils existent dans la vraie vie, comme le rôle de François, sûr de lui et qui réussit tout ce qu'il entreprend." Pourtant Il va au fur et à mesure ôter ce masque qui nous est tous familier, pour laisser apparaître quelqu'un de tout à fait différent. "Ce double jeu est très intéressant pour un comédien, il y a une véritable évolution de ces personnages que nous avons connu pour certains dans notre adolescence." En couple avec Virginie, le garçon va lui aussi succomber au charme de Mathan. Mais il n’assumera pas :
L'intérêt de la pièce n'est pas de donner une leçon de vie mais de proposer une approche, une façon de comprendre ce sujet qui résonne encore aujourd'hui. Car même si on peut penser que notre société en 2019 a bien évolué, tout n'est pas gagné, loin de là... il y a encore du boulot !"
Un thème d’actualité
"Un Cœur Sauvage" a été écrite en 2005 et elle n’a jamais cessé d’être jouée depuis. Son auteur, Christophe Botti a imaginé cette histoire après la lecture d’un article sur le taux très élevé de suicide chez les jeunes qui découvrent leur homosexualité. "Je me suis alors rappelé de la violence verbale et parfois physique de mes années collège et lycée. J'ai eu envie de traiter de cette question au travers d'une pièce solaire qui parle d'amour, de découverte de son identité, de construction de soi. J'y ai ajouté une touche de marivaudage contemporain."Presque 15 ans plus tard, le texte est toujours d’actualité même si la société est plus ouverte. La représentation des personnes Lesbiennes, Gays, Bi.es, ou Trans (LGBT) est de plus en plus importante, mais dans le même temps, les actes et agressions homophobes explosent. "C'est un choc intime assez fort de découvrir qu'on n'est pas exactement dans la norme, cela implique un combat supplémentaire au début de l'existence pour s'affirmer. Tout le monde n'est pas armé pareil par rapport à ce genre de défi."
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