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"Truckstop", un polar social qui ravit les ados au festival d'Avignon

Un routier dans une chapelle, c'est le décor dans le décor de "Truckstop", de la néerlandaise Lot Vekemans, mis en scène à la Chapelle des Pénitents blancs par Arnaud Meunier (sa première dans le IN). Le spectacle est destiné au jeune public, une cible qu'Olivier Py a décidé de choyer cette année. "Truckstop" est un polar social qui réunit trois personnages en quête d'une vie meilleure.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
"Truckstop", Mise en scène Arnaud Meunier. Avignon 2016
 (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)

Au fronton l'enseigne s'affiche fièrement en lettres de néons : "Truckstop". Sur la scène, un intérieur de routier, ces restaurants qui bordent les routes pour accueillir les chauffeurs. Quelques tables, quelques chaises, des rideaux crochetés aux fenêtres. Le décor est entièrement passé au gris. Uniforme. Deux chaises sont à terre. Dans la pénombre, une grande fille debout, presque sur la pointe des pieds, se lamente : quelque chose a été cassé. Une lampe, et pas qu'à moitié. "Des centaines de morceaux", pleure-t-elle. Que s'est-il passé cette nuit-là dans la salle du restaurant routier que tient sa mère. Un accident, dans le monde bien rangé de Katalijne, jeune fille un peu "spéciale", élevée par sa seule mère. Et que faisait Remko, le fils d'un agriculteur du voisinage dans la salle du restaurant, avec Katatalijne ?

Maurin Ollès, Claire Aveline et Manon Raffaelli dans "Truckstop"
 (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)
On sait qu'un drame a eu lieu. On ne sait pas quoi exactement et c'est ce que va révéler la pièce, bribes par bribes, morceau par morceau, en essayant d'y mettre de l'ordre, comme annoncé métaphoriquement en préambule. Par un jeu scénique de sons et de lumières, de Flashback et sauts dans le temps, on recolle petit à petit les pièces du puzzle de ce drame qui met en scène la mère, la fille, et son amoureux, trois êtres humains en quête d'une vie meilleure. Les personnages se révèlent à travers leurs mots, avec en toile de fond une peinture de la société mondialisée d'aujourd'hui.

"J'ai bien aimé le suspense"

Un récit morcelé, avec des registres narratifs conjugués (on passe du mode direct du dialogue, au récit narratif indirect, aux apartés, sans transition) font de ce drame un spectacle singulier et exigeant, qui aurait pu rebuter les ados. Les commentaires recueillis à la sortie du spectacle prouvent qu'il n'en est rien. Au contraire. "J'ai bien aimé le suspense", explique Noah, 14 ans. Ils sont toute une classe, des 5è du collège du Parc de Betterans, dans le Jura, venus à Avignon avec leurs professeurs "Moi j'ai bien aimé l'amour entre les deux jeunes", ajoute Clarisse, 14 ans. "C'est marrant, l'histoire commence par la fin", ajoute un autre adolescent.

Ils font cercle, ça se met à fuser : "J'ai bien aimé parce qu'au début on ne comprend pas trop, et puis ensuite c'est comme dans une enquête policière, les fils se démêlent. C'est bien tourné", remarque cet autre élève, "et c'est une pièce qui permet de développer l'esprit critique, comme dirait madame Prost-Jacquot (le professeur de Français)", ajoute-t-il en souriant. "Et aussi, ils disent leurs pensées!", ajoute une jeune fille, "oui, un peu comme des apartés", relève une autre, qui ajoute "C'est intéressant comme façon de faire, on voit pas ça souvent, c'est rare", conclut-elle, avant que les profs ne battent le rappel. Ni rebutés, ni déroutés, les ados, donc.
Les élèves de 5ème du collège du Parc de Betterans (Jura), à la sortie du spectacle "Truckstop", à Avignon, Chapelle des Pénitents blancs
 (LH / Culturebox)

"Une écoute de grande qualité"

"C'était une proposition gonflée", reconnait Arnaud Meunier, le metteur en scène de "Truckstop" à la sortie de la première du spectacle. "Je suis heureux parce que j'ai senti une écoute de grande qualité de la part des ados qui étaient dans la salle aujourd'hui", confie le metteur en scène. "C'était ma grande peur. On a très peu répété devant un jeune public, et j'étais curieux et inquiet de vérifier si mes intuitions étaient bonnes", souligne-t-il. "Mais je fais partie de ceux qui font confiance aux spectateurs. Je préfère les tirer vers le haut. Et je suis convaincu que si on est présent, si on est généreux, alors ils suivent", explique Arnaud Meunier, directeur de la Comédie de Saint Etienne qui a fait ce choix pour sa première mise en scène à Avignon.
Maurin Ollès dans "Truckstop"
 (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)
"Je partage avec Olivier Py cette idée qu'il faut développer une politique du théâtre pour la jeunesse, avec des enjeux de création exigeants", explique Arnaud Meunier. "Et quand j'ai appris qu'Olivier Py dédiait ce lieu mythique d'Avignon (Chapelle des Pénitents blancs), où j'ai vu tant de beaux spectacles (Yann Fabre, Guillaume Vincent…), j'ai été tout de suite séduit, autant par l'idée d'un spectacle pour la jeunesse que pour ce lieu!", sourit le metteur en scène.

"Une pièce sur l'empêchement"

"J'ai découvert cette pièce l'année dernière. On a fait des lectures, à Lyon, dans le cadre de "La belle saison", (CDN-Théâtre Nouvelle Génération)", et le trio d'acteurs était vraiment adéquat", raconte Arnaud Meunier, qui pressentait l'intérêt de cette histoire pour un public d'ados. "C'est une écriture très singulière, un texte morcelé, comme un puzzle, qui parle de la mort, de l'amour, de la quête d'une vie meilleure. Des thèmes qui me semblaient pouvoir être accueillis par la jeunesse", confie Arnaud Meunier.

"C'est une pièce sur l'empêchement. L'adolescence est un âge où apparaissent la gêne, la honte et des questions. "Est-ce que je peux ou pas faire les choses", se demandent les ados. Des questions qui les touchent et dont la pièce parle de manière inhabituelle", poursuit Arnaud Meunier. "Et c'est aussi une histoire politique, qui parle des classes sociales, et dont l'action se déroule aux Pays-Bas, au croisement des grandes routes marchandes d'Europe. C'est une pièce qui raconte par touches le monde contemporain des années 2010, bientôt 2020, à travers une histoire", estime Arnaud Meunier.
Maurin Ollès, Manon Raffaelli dans "Truckstop", Avignon 2016
 (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)
Lot Vekemans, l'auteure, a assisté à la première. "J'aime beaucoup cette mise en scène", confie-t-elle. Quand je découvre une mise en scène d'un de mes textes, je n'ausculte pas, j'écoute comment ça sonne!", explique l'auteure néerlandaise. "Je conçois mes textes comme des partitions, donc j'essaie de sentir si je suis connectée avec ce qui se passe sur scène. Et là, dès les premières minutes, j'étais connectée", raconte-elle. "Arnaud Meunier fait confiance aux mots. Il n'en rajoute pas et se concentre sur le reste, et cela donne une mise en scène limpide. J'aime beaucoup ce décor gris, neutre, qui permet à deux réalités de cohabiter dans un même lieu", poursuit-elle.

Un beau trio d'acteurs 

"Et les acteurs sont vraiment formidables. C'est un vrai trio. Il y a un vrai équilibre, qui n'est pas évident car le personnage de Katalijne est très fort, et souvent les deux autres sont en arrière. Là ce n'est pas du tout le cas. L'acteur qui joue Remko est vraiment le meilleur que j'ai jamais vu dans toutes les mises en scène qui ont été faites de cette pièce", ajoute Lot Vekemans.
Claire Aveline et Maurin Ollès dans "Truckstop"
 (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)
"Les trois personnages sont très humains. Il n'y a pas de manichéisme, et ça aussi je pense que c'est un message intéressant à transmettre aux adolescents", conclut Arnaud Meunier, qui se dit "très heureux" de cette première dans le IN d'Avignon. Il était venu dans le OFF en 1998 "J'avais été content, ça avait donné une visibilité à mon travail, mais je m'étais juré de ne jamais revenir dans le OFF", dit-il en souriant, avant d'aller se fondre dans le décor gris de "Truckstop" (pour la photo).
Arnaud Meunier avec Lot Vekemans, l'auteur de "Truckstop"
 (LH / Culturebox)
"Truckstop" Lot Vekemans, mise en scène Arnaud Meunier, avec Claire Aveline, Maurin Oliès et Manon Raffaelli.
13, 14, 15 et 16 juillet à 11H00 et 15H00, Chapelle des Pénitents blancs
Festival d'Avignon
 
Cette année le festival a édité un programme spécial pour le jeune public. On y trouve tous les spectacles qu'ils peuvent voir, et aussi des ateliers, une frise historique du festival, des devinettes, des jeux…
Le guide du jeune spectateur du 70e festival d'Avignon
 (LH / Culturebox)

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