Russie : le réalisateur et metteur en scène Kirill Serebrennikov reconnu coupable de fraude ne fera pas de prison
Poursuivi pour avoir détourné entre 2011 et 2014 environ 129 millions de roubles (1,65 million d'euros au taux actuel) de subventions publiques, il a été condamné à trois ans de prison avec sursis
Le réalisateur et metteur en scène figure célébrée du milieu artistique russe, a été reconnu coupable vendredi 26 juin de fraude à des fins d'enrichissement personnel par un tribunal moscovite dans une affaire controversée. Il a été jugé avec ses coaccusés, Iouri Itine et Konstantin Malobrodski.
Ils "ont commis une fraude (...) d'une ampleur particulièrement importante", selon le jugement lu par la juge Olesya Mendeleïeva, sans immédiatement annoncer les peines infligées. Le parquet a requis six ans de prison contre le réalisateur.
Serebrennikov a remporté lundi 22 juin à Paris le prix du Syndicat de la critique du meilleur spectacle étranger pour sa pièce Outside, un-hommage au photographe chinois censuré Ren Hang et présentée en son absence au Festival d'Avignon en 2019
Six ans de prison requis
"Leurs actions ont été commises à des fins d'enrichissement personnel en escroquant les collaborateurs du ministère de la Culture", a ajouté la juge. "La réhabilitation de Serebrennikov est possible sans peine réelle" de privation de liberté, a estimé la juge Olessya Mendeleïeva, qui l'a condamné à trois ans de prison avec sursis, une interdiction de diriger tout organisme culturel, une amende et trois années de mise à l'épreuve.
Le parquet avait requis six ans de prison ferme contre l'artiste qui a toujours rejeté les charges retenues contre lui. A l'annonce du jugement, les centaines de ses partisans réunis devant le tribunal Mechtchanski de la capitale russe ont réagi par des applaudissements, ayant craint une lourde peine d'emprisonnement.
Kirill Serebrennikov, 50 ans, était poursuivi pour avoir détourné entre 2011 et 2014 environ 129 millions de roubles (1,65 million d'euros au taux actuel) de subventions publiques.
La juge a reproché aux accusés d'avoir agi en groupe et à Kirill Serebrennikov d'avoir "dirigé tous les membres du groupe et pris des mesures pour dissimuler les vols". Le parquet a demandé la condamnation des accusés à des peines comprises entre quatre et six ans de prison. La défense a demandé l'acquittement.
Arrêté en août 2017 sur le tournage à Saint-Pétersbourg (nord-ouest) de son film Leto, il avait été emmené à Moscou, puis assigné à résidence jusqu'en avril 2019.
Pour Olivier Py, "C'est un retour à l'URSS stalinienne"
Pour Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon, Kirill Serebrennikov "paie le prix" de sa liberté d'expression. "Le réquisitoire est très dur, c'est beaucoup plus dur que tout ce qu'on pouvait imaginer, pour un procès dans lequel il n'y a pas de preuves, il y a même plutôt des preuves du contraire, pour un procès qui est décidément politique", a assuré M. Py, qui connaît bien cette figure de la culture contemporaine russe.
"C'est un retour à l'URSS stalinienne", a accusé le patron du Festival d'Avignon. "Il fallait envoyer un message clair à tous les dissidents. C'est lui qui en paie le prix mais il a lutté pour la liberté d'expression, le droit à la différence. La cause homosexuelle qu'il a souvent mise en scène dans ses spectacles est un point clivant dans la Russie d'aujourd'hui", a-t-il ajouté.
Interrogé au cours d'une conférence de presse avant l'énoncé des peines, le porte-parole de la chancelière allemande Angela Merkel, Steffen Seibert, a souligné que "le droit à la liberté d'expression et la possibilité de présenter des opinions politiques différentes" valaient aussi "pour la Russie".
Soutien international
Nombre de personnalités culturelles russes et étrangères ont exprimé à Kirill Serebrennikov leur soutien, estimant que son art en contradiction avec le conservatisme des autorités russes a pu lui faire des ennemis à l'origine de ses déboires.
Kirill Serebrennikov, directeur artistique du Centre Gogol, un célèbre théâtre moscovite, a toujours nié les charges pesant contre lui.
Quelque 3.000 personnalités de la culture avaient appelé lundi dans une pétition le ministère de la Culture à renoncer aux poursuites, dénonçant une "affaire qui a été fabriquée" par les enquêteurs.
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