Romain Duris seul sur scène dans "La Nuit juste avant les forêts" au TNP
Un lit d'hôpital posé sur un grand carré blanc avec à ses pieds deux grands cabas et une paire de baskets. Voilà le décor de cette "Nuit juste avant les forêts" version Patrice Chéreau. De cet univers va émerger Romain Duris. Quand le spectateur s'installe, il est déjà là, sur scène, sous les draps. Il laisse le silence s'installer puis il surgit soudain, hagard et haletant, le visage ensanglanté par une plaie au front. Le monologue commence et ne s'arrêtera pas. Duris joue un homme qui n'a ni travail, ni foyer et qui vit à l'hôtel. D'où vient-il ? On ne le sait pas mais il se sent "étranger" dans cette ville où il pleut continuellement . Et comme la pluie qui tombe sans cesse, c'est un torrent de mots et de souvenirs que l'homme adresse à un inconnu rencontré dans la rue, un soir de solitude. "Il rebondit d'une histoire à l'autre pour ne pas mourir et cela devient les derniers instants d'une vie" explique Patrice Chéreau.
Koltès-Chéreau, une relation particulière
Le metteur en scène a attendu plus de trente ans avant de monter ce texte écrit par celui qui fut son ami, Bernard-Marie Koltès. Ce dernier a 28 ans quand il publie ce long monologue d'une seule phrase, qui coure sur soixante pages, sans aucune ponctuation. A l'époque, il a déjà signé huit textes, aucun n'a été publié. "La Nuit juste avant les forêts" n'échappe pas à la règle. Mais l'auteur et metteur en scène Paul Wenzel décide de créer la pièce au Festival Off d'Avignon. Le public sera au rendez-vous, la critique aussi et pour Koltès, c'est le début de la reconnaissance. En 1983 débute la collaboration avec Chéreau, qui montera quatre pièces de Koltès : " Combat de nègre et de chien" "Quai Ouest", "Dans la solitude des champs de coton" et "Le retour du désert". Pourquoi a t-il attendu si longtemps pour monter "La nuit..." ? Koltès lui avait apporté le texte en 1979, mais, explique Patrice Chéreau, "à l'époque, je ne l'ai pas compris".
Romain Duris, exalté, fragile...convaincant
Aujourd'hui, le texte frappe toujours par son actualité en abordant le thème de la solitude, du manque de travail, de la marginalité et de ce sentiment d'être un étranger quelque soit le pays où l'on se trouve. Comme souvent chez Koltès, il est basé sur la répétition. Un procédé qui martèle les esprits mais qui peut parfois devenir lassant. Il faut s'accrocher à certains moments pour ne pas décrocher. Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang ont fait le choix d'un décor sobre et d'une mise en scène minimale. Le spectateur a peu de choses sur lesquelles s'appuyer. Romain Duris aussi. Il reste un très long moment sur ce lit d'hôpital, allant et venant du pied à la tête, s'y accrochant, comme on s'accroche à une bouée, à une île. Il se cramponne et le spectateur se cramponne aux mots que le comédien égrène d'une voix grave et sourde, bien différente de celle qu'on lui connaît d'habitude. Il finit par tomber de ce lit, donnant un autre souffle à l'espace et au texte. Mais il ne sera pour ainsi dire jamais debout. A genoux, recroquevillé, rampant et allongé, Romain Duris doit habiter seul cette scène et tenir ce soliloque tourmenté. "Il a fallu lui trouver des appuis physiques, des appuis dans le corps pour que Romain puisse se sentir autrement que dans la parole" explique Thierry Thieû Niang. Il reste que pour le comédien, c'est une performance, et pour une première au théâtre, il est très convaincant . "C'est un grand effort d'être faible" reconnaît-il pour parler de ce personnage à qui il donne son côté sauvage, viril et écorché.
Pour la deuxième fois, Patrice Chéreau lui offre un rôle complexe . La première, c'était au cinéma en 2009 dans "Persécution" avec Charlotte Gainsbourg et Jean-Hugues Anglade. Un film sans complaisance, un rôle âpre et intense que Romain Duris avait parfaitement habité.
A la fin de la pièce de Koltès, c'est avec une certaine humilité et timidité que Romain Duris revient sur le devant de la scène pour saluer le public (à Villeurbanne, il était très concentré et ses applaudissements chaleureux). Sans emphase, comme s'il devait encore apprivoiser ce nouvel espace de jeu. On espère simplement qu'il reviendra y jouer plus souvent.
"La Nuit juste avant les forêts" de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, avec Romain Duris. 1h25 - Jusqu'au 17 mars au TNP à Villeurbanne puis en tournée dans toute la France
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