"Les Trois Soeurs" du maître russe Lev Dodine à Lyon, avant New York
Né en Sibérie en 1944, saint-petersbourgeois d'adoption et couvert de récompenses, Lev Dodine est un metteur-en-scène que l'on ne présente plus tant il s'est forgé une réputation de génie au niveau mondial. Celui qui fut en 2000, le premier vainqueur du prix "Europe pour le théâtre" peut s'enorgueillir de diriger le Maly Drama Théâtre, "l'une des plus extraordinaires troupes au monde" selon les termes de Peter Brook. C'est en 1983 que Lev Dodine prend la direction de cette petite salle de sa ville qui dépend de la région de Léningrad. Six ans plus tard, alors que l'Union soviétique s'apprête à vivre ses dernières heures, son théâtre est connu à l'échelle de la planète.
"L'une des oeuvres les plus complexes d'Anton Tchekhov"
La notoriété du maître le précédant, c'est avec impatience que l'on découvre au Théâtre des Célestins, ses "Trois Soeurs" d'Anton Tchekhov, "l'une des plus grandes pièces du répertoire théâtral mondial, mais aussi l'une des oeuvres les plus complexes de l'auteur russe" d'après Lev Dodine. Et le résultat est à la hauteur. Le directeur artistique livre une oeuvre d'une grande clarté. Dans cette pièce qui décrit l'existence sans horizon de trois jeunes femmes dans une petite ville de garnison à la fin du XIXème siècle, Lev Dodine se montre fidèle à la langue d'Anton Tchekhov et à son époque.
Le metteur-en-scène, peu coutumier des décors somptueux et des artifices, place ici son équipe dans un univers sobre qui se veut réaliste et symbolique. Le mur d'une maison sans porte, ni fenêtre avance vers le public à mesure que le récit progresse. Les personnages lestés par le poids de la vie et du destin semblent happés par cette façade comme s'ils étaient rattrapés par leur condition humaine où la mort est inéluctable.
Jouer vrai et au plus près du public
Le superbe texte d'Anton Tchekhov que l'on peine parfois à suivre en sur-titres est porté par des acteurs impeccables. Entre rires et larmes, farce et tragédie, les comédiens, toutes générations confondues, certains accompagnant Lev Dodine depuis plus de trente ans, se mettent totalement au service de leurs répliques quitte à parfois, paraître figés. Ces fanatiques du "jouer vrai", dans la plus pure tradition russe, évoluent au plus près des spectateurs jusque dans les allées de la salle. Une manière d'inviter le public à se laisser emporter dans les méandres de l'âme humaine.
Pour le directeur artistique russe, c'est justement cette exploration qui fait de ce chef-d'oeuvre, une pièce intemporelle. "Quelque soit l'époque," lance-t-il, "chacun d'entre nous espère trouver un sens à sa vie, quelque chose qui puisse justifier notre passage sur terre," avant d'ajouter : "Je suis convaincu que si les gens vont au théâtre, c'est pour voir les mêmes questions posées." Lev Dodine se propose ainsi de redonner aux planches, toute leur intensité : "Malheureusement le théâtre de nos jours n'accorde que très rarement au public la possibilité d'éprouver de grands bonheurs ou de grandes douleurs." Quant à envisager la trace que Lev Dodine laissera après sa mort, il répond par une pirouette : "le théâtre et l'art en général se bercent eux aussi d'illusions" parce qu'"ils portent en eux, un questionnement."
Collaborations internationales
Le metteur-en-scène aime s'interroger, mais aussi sortir des sentiers battus. Il multiplie notamment les collaborations avec des scènes étrangères dans le monde entier et en France comme avec le MC 93 de Bobigny et le Théâtre des Célestins où il avait présenté "Vie et destin" d'après Vassili Grossman en 2007. Cette fois, son Maly Théâtre est à Lyon avec un doublé : "Les Trois Soeurs" et "Lorenzaccio." Et c'est sous la direction de Claudia Stavisky que ses comédiens interprèteront en russe, la plus shakespearienne des pièces d'Alfred de Musset, celle où l'auteur dénonce les abus du tyran de l'époque et l'inutilité de l'assassinat politique dans une société corrompue. Cette pièce créée en décembre 2010 à Saint-Petersbourg est accueillie pour la première fois en France.
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