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Lorant Deutsch dans "Bankable", cinéma ton univers impitoyable !

L’univers impitoyable du cinéma pour un agréable moment au théâtre Montparnasse. Ce moment, on le doit à Philippe Madral, qui fut scénariste environ soixante-dix fois dans les années 90. Le scénariste de sa pièce, c’est Lorant Deutsch : une forme d’autobiographie ?
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
"Bankable" au Théâtre Montparnasse
 (J.Stey)

Soient, donc, un scénariste survolté, un acteur quadragénaire encore "bankable", c’est-à-dire réunissant sur son nom le maximum de spectateurs, y compris lors des diffusions à la télévision ; et un producteur, avec les rondeurs du producteur, mais sans le cigare puisqu’on ne peut plus fumer dans les lieux publics. Ces trois-là sont amis de trente ans, au moins, le scénariste écrivant pour l’un, et produit par l’autre. Mais voilà : pour leur nouveau projet, il faut un coproducteur américain, et celui qui se présente a pris l’acteur en grippe. D’autant qu’être "bankable" en France n’est évidemment pas être "bankable" aux States. Pour virer l’acteur (qui ne se doute de rien) du projet, le producteur convoque le scénariste : transforme-moi ton personnage de cycliste façon Richard Virenque en un jeune trader façon Jérôme Kerviel. Mais évidemment cela ne va pas tourner comme prévu…

Lorant Deutsch et Jérôme Anger
 (J.Stey)

Madral se limiterait-il à cette simple histoire, même adroitement tissée, sa pièce ne vaudrait pas forcément grand-chose : le producteur a une tête de producteur, l’acteur, entre le Jean Dujardin d’aujourd’hui et le Thierry Lhermitte d’hier, se demande constamment si ses quelques cheveux blancs de quadragénaire continuent à plaire aux minettes qui défilent dans son lit. Et le scénariste speedé passe son temps à refaire la nuit ce que le producteur ou l’acteur (qui ne sont même pas d’accord entre eux) s’acharne à défaire le jour. Bien sûr, comme nous faisons de la télévision et que le monde du cinéma est quelque peu cousin germain du nôtre, nous surestimons peut-être la connaissance de ces pratiques en forme de coups bas par le grand public. Et il est donc possible que ledit grand public apprenne sur l’univers impitoyable du cinéma des choses affreuses qu’il ne soupçonnait pas. On en doute tout de même.
Lorant Deutsch et Caroline Maillard
 (J.Stey)

La fine écriture de Madral

Mais justement : la bonne idée, et que l’on comprend très vite, c’est que l’histoire du trio est presque secondaire. Sinon qu’elle est révélatrice de bien autre chose, le temps qui passe, le fait d’avoir été amis autrefois ou même il y a seulement quelques années et de découvrir, lors d’une crise ou d’un événement heureux, qu’on n’a plus grand-chose à se dire, le poids d’une famille, d’une conjointe ou d’un conjoint qui ne regarde pas nos connaissances comme nous continuons de les regarder. Le fait que les enfants des autres nous paraissent toujours très agaçants, d’autant plus quand les autres en question essaient de nous convaincre que ce sont les plus beaux enfants du monde ("Mais enfin tu ne mets pas une barrière de sécurité pour tes enfants autour de la piscine -Tu sais, mes enfants ont vingt ans. Ils savent plonger")

C’est cette humanité-là, inhérente à chacun de ses personnages, que Madral fait ressortir joliment, d’une fine écriture qui ne cherche jamais le mot d’auteur à tout prix -cela lui vient naturellement. L’acteur a beau avoir des comportements de star, exigeant de son producteur qu’il lui trouve du blanc de poulet, en pleine cambrousse, à trois heures du matin, il est touchant dans sa découverte de la paternité tardive, jonglant avec les couches de ses bouts d’chou comme avec les horaires de ses conquêtes. Le producteur ne rêve que de cultiver ses rosiers (ce qu’il fait très bien) et de finir ses jours tel Mathieu Ricard, en récitant des mantras dans un monastère tibétain. Le scénariste est hypocondriaque comme peu, ce qui n’est pas bien original, mais Madral en fait un ressort du personnage et Deutsch le défend très bien.

Beau casting

Deutsch est parfait dans ce rôle qui lui va comme un gant, sur les nerfs mais lucide, et bon garçon au fond (« Bruno, je veux plus te voir. Allez, à bientôt »). Vincent Winterhalter est remarquable en acteur "bankable" (que Winterhalter aurait pu être) se posant des questions sur sa séduction et, la minute d’après, papa poule, et perdu entre ces deux pôles ; de plus meilleur danseur encore que Ryan Gosling dans "La la Land", Jérôme Anger, ex "Docteur Sylvestre" sur France 3, a la bonhomie coriace et le recul blasé du producteur et il y est parfaitement crédible.
  Vincent Winterhalter et Lorant Deutsch
 (J.Stey)

Et il y a tout de même, dans cet univers d’hommes, quelques femmes. Le rôle de Sabine, la femme de Deutsch, n’est pas très intéressant (on a peine à l’imaginer éditrice) mais Caroline Maillard fait très joliment exister cette épouse qui a encore tendresse et amour pour son grand gamin angoissé de mari. Manoëlle Gaillard est excellente, sans jamais en faire trop, en grand-mère un peu indigne : convoqué par son Bruno pour jouer les grands-mères-gâteaux, elle ne s’intéresse qu’à son fils ("Si tu veux que je m’occupe de ta progéniture, commence par me trouver des couches qui tiennent"), s’immiscant dans sa vie privée et dans ses repas, et développant une délicieuse phobie de la campagne : "C’est quoi cet animal qui crie ? – C’est une chouette, maman - Et pourquoi elle crie comme ça ? -Parce que c’est la nuit et que les chouettes, ça crie la nuit" ("Une chouette, ça ne crie pas, ça hulule", reprendra le scénariste un peu plus tard)

Habile mise en scène

Mise en scène habile de Daniel Colas qui se montre en plus un fin directeur d’acteurs. La vidéo d’Olivier Louis Camille caractérise joliment les différents lieux, une grande maison francilienne, une propriété à Saint-Paul-de-Vence ; pour Belle-Ile il suffit d’entendre quelques mouettes ! Malgré une fin un peu convenue et même si l’on ne garantit pas qu’on se souviendra dans six mois de "Bankable" dans tous ses détails, on se souviendra en tout cas que, grâce à Deutsch et ses camarades, on y a passé une bonne soirée.

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