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Les "Sujets à vif" du Festival d’Avignon : la magie des rencontres improbables

Nul ne destine à priori un sonneur de cornemuse à danser avec un chorégraphe, ni un marionnettiste à être mené par les mots d’une écrivain. La magie du Festival d’Avignon a opéré dans cette série des "Sujets à vifs" (mais ce n’est pas toujours escompté), réunissant Célia Houdart et Renaud Herbin dans "La vie des formes" et Erwan Keravec et Mickaël Phelippeau dans "Membre fantôme".
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Mickaël Phelippeau et Erwan Keravec dans "Membre fantôme"
 (Christophe Raynaud de Lage)

Le "Sujet à vif" du Festival d’Avignon est une expérimentation. Un jeu de l’esprit et du corps basé sur un pari : que la confrontation d’artistes de disciplines différentes du spectacle vivant, ou plutôt la mise en commun de leur créativité, dans un temps court (une demi-heure environ) puisse donner quelque chose. Depuis le 8 juillet, quatre artistes s’y sont essayés pour les Sujets à vifs du matin (il y en a également le soir, avec quatre autres contributions) : l’écrivain, dramaturge et metteure en scène Célia Houdart avec le marionnettiste Renaud Herbin (dans "La vie des formes"), puis le sonneur de cornemuse Erwan Keravec avec le danseur et chorégraphe Mickaël Phelippeau (dans "Membre fantôme").

Deux danses à trois

Dans le cadre bucolique du Jardin de la vierge du Lycée Saint-Joseph d’Avignon, ces rencontres ont tenu leur promesse. Elles ont provoqué leur étincelle, suscité des interrogations, créé un véritable dialogue. A la fois intellectuel et émotionnel pour les premiers, physique et spirituel pour les seconds. Dialogue ? Rencontre à trois serait plus exact. Entre Célia Houdart et Renaud Herbin, la marionnette est le troisième personnage : de taille quasiment humaine, magnifique objet articulé, au visage évoquant celui d’une statue antique.
La marionnette de Renaud Herbin le 8 juillet sur la scène du Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph.
 (Christophe Raynaud de Lage)

La cornemuse aussi - l’autre troisième personnage - a une dimension humaine, vivante par ses sons et grâce à sa poche d’air dont les mouvements rappellent ceux de la respiration. Les deux rencontres sont des danses à trois, plus en retenue et en poésie pour les premiers, d’une extrême puissance physique, comme dans une transe pour les seconds. Mais dans les deux cas il s’agit de danses.

Vaste divagation littéraire

Les mots régissent la première. Ils dictent le rythme, donnent le "la" au marionnettiste qui emmène son inséparable complice. Le texte de Célia Houdart est une évocation de la marionnette : une libre et vaste divagation littéraire qui prend appui sur l’art, l’histoire, la nature, et même sur sa propre mémoire personnelle. Célia Houdart, auteure d’un très beau livre dédié au marbre de Carrare, repense par exemple au maniement de la matière quand elle faisait de la sculpture sur marbre. Et surtout, l’écrivain se souvient des marionnettes elles-mêmes, ces êtres dont elle a toujours été entourée, car elle est fille de marionnettistes. Leur forme, leur odeur, l’atmosphère de l’atelier de fabrication habitent son texte.
Un moment rare du spectacle où Célia Houdart tient la marionnette de Renaud Herbin dans ses bras.
 (Christophe Raynaud de Lage)

Renaud Herbin y répond, patiemment, faisant se mouvoir l’être sur lui, avec lui, donnant parfois réellement l’impression que la danse est menée, animée par les deux. C’est un exercice de force et de grande douceur. Renaud Herbin, la marionnette et Célia Houdart jouent également sur l’espace, l’occupant pleinement, mais peu à peu, par phases, un peu comme les danses de salon du 18e. L’écrin s’y prête, les façades couvertes de vigne vierge du patio enveloppant joliment la chorégraphie.

Transe

La rencontre entre Erwan Keravec et Mickaël Phelippeau prend dès les premiers instants une dimension spirituelle. Il faut dire que la tenue du chorégraphe s’y prête : vêtu d’une robe noire avec un tablier blanc, Mickaël Phelippeau a des allures de madone (même si la tenue noire et blanche évoque aussi celle des bigoudens, mais sans la coiffe) au visage christique (barbe et cheveux longs) très prononcé. Leur danse est d’abord une sorte de prière, silencieuse, moment de concentration et de recueillement. Peu à peu le mouvement se dessine, balancement du corps en avant et en arrière à la manière des prières juives, et arrivée progressive du son de la cornemuse, au rythme de la respiration : inspiration, expiration.
Le sonneur de cornemuse Erwan Keravec avec le danseur et chorégraphe Mickaël Phelippeau dans "Membre fantôme".
 (Christophe Raynaud de Lage)

Et puis tout prend forme : les airs bretons d’abord, joyeux, drôles, puis une musique de plus en plus abstraite, belle et puissante, aux sons stridents, inquiétants comme des sirènes. La danse aussi était joyeuse, faite de bonds et de balancements des bras, elle est maintenant de plus en plus circulaire aux mouvements obsessionnels, comme la danse des derviches tourneurs. C’est une transe, intense, extrêmement physique enveloppant les deux (ou plutôt les trois, avec l’instrument) dans les moindres recoins de la scène et au sol, jusqu’à épuisement. Le sonneur et le chorégraphe sont arrivés au bout d’un chemin, comme transformés (d’ailleurs Mickaël Phelippeau a eu le temps de changer plusieurs fois d’apparence), libérés.

« Sujets à vifs » dans le cadre du Festival d’Avignon
« La vie des formes » avec Célia Houdart et Renaud Herbin
« Membre fantôme » avec Erwan Keravec et Mickaël Phelippeau
Jusqu’au 14 juillet 2016 à 11h.


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